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Max | Une inquiétude sourde

Publié le 10 décembre 2017 par Aragon

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L'autre jour je discutais avec mom qui était assise dans son fauteuil paisible et je lui parlais du Vieux-Bourg de Castel-Sarrazin où j'avais été me balader. C'est le lieu de mon enfance et de la sienne. Son enfance fut pauvre, pas à la Jacqou le Croquant certes, mais infiniment modeste dans une ferme minuscule que tenait tant bien que mal son père, rescapé/gravement estropié de la "Grande" guerre.

On a parlé avec mom, des gens, des lieux et des distances, de "la montagne" Pyrénées et du phare de Biarritz dont on peut voir la lumière du haut de la colline du Vieux-Bourg, elle en convenait, elle savait. Tout à coup je l'ai vu serrer ses mains contre sa poitrine, son regard est parti vers le passé, son passé, et elle m'a dit avec une infinie émotion : " C'est comme le canon..."

Je lui ai demandé de m'en dire plus et elle m'a parlé des nuits de son enfance en 1937, elle avait treize ans et son petit frère dix. Certaines nuits de cet été 1937 ils entendaient le canon au loin, des sons lugubres, lointains et sourds. Mon pépé - leur père - leur disait au matin quand ils en parlaient, que c'était les fascistes qui voulaient faire tomber la République en Espagne, mais qu'ils n'y arriveraient pas. Elle se souvenait du sourire de son père quand son frère bien candide demandait si c'était comme à la cour de récré où on se faisait tomber...

Ces soirs-là m'a-t-elle dit l'autre jour - elle s'en souvenait parfaitement - ils se serraient dans le lit, se blotissaient comme deux petits oiseaux transis dans un nid exposé et elle m'a dit qu'ils ne ressentaient pas la peur, pas de la tristesse, mais une inquiétude sourde dans le corps et dans le coeur. La pire, continuait-elle, parce que sans savoir pourquoi...

Dans mon enfance j'ai été bercé et élevé par mon pépé de Castel-Sarrazin, anar, qui haïssait les guerres, les armées, les fascistes, l'injustice sociale. Très tôt, à partir de dix ans, j'ai tout lu et tout su de la guerre d'Espagne, de mon héros Bonaventure Durruti, son extraordinaire et formidable colonne, Durruti, assassiné par les staliniens, tout lu, tout su, du POUM, des Brigades Internationales que j'idolâtrais bien naïvement, surtout la XVième, avec ses centaines de québécois, les papineau. La guerre avait été perdue et le fascisme régnait alors en Espagne.

Je n'ai jamais aimé que deux drapeaux dans ma vie, le fleurdelisé de mon pays de coeur et celui des Brigades de la République espagnole.

Ces mots récents de mom résonnent curieusement en moi ce soir. Je suis devant mon ordi, j'écris sans hâte, sans préméditation, sans réfléchir, sans crainte, sans peur, mais j'éprouve une inquiétude sourde dans mon être entier et mon coeur à la veille de partir pour une bien dure chimio. J'écris ça sans pathos. C'est comme ça.

Le canon tonne ce soir, au lointain, en moi, mais, grâce à tous ceux que j'aime, qui me le rendent au "cent et milluple", qui m'aident, cette fois, pour cette guerre qui est mienne : no pasáran ...


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