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Les mésaventures de Tante Abla Fahita ou « le monde arabe à l’envers »

Publié le 18 janvier 2018 par Gonzo

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Vidéo (en anglais, 2′) de la société néerlandaise J. Walter Thompson (dont je recommande le visionnage avant la lecture de ce billet).

Évoquée comme un des rares succès de la télévision égyptienne dans le précédent billet (et, d’un point de vue linguistique, dans cet autre, plus ancien), Abla Fahita (أبلة فهيتة) souffre, comme le reste du paysage médiatique, d’une censure pudibonde. En dépit du succès de َAl-Duplex, son show présent sur la chaîne CBC depuis avril 2015 à la meilleure heure d’écoute, la sympathique marionnette à la langue très bien pendue ne cesse d’affronter les critiques, et même les interdictions. Au point qu’on peut se demander, alors que la saison actuelle est proche de s’achever, si elle ne va pas connaître le même sort qu’Al-Barnameg de Bassem Youssef, disparu des écrans au plus fort de sa gloire médiatique (voir ce billet). De fait, les deux émissions partagent bien des points communs car l’une et l’autre, adoptant un ton volontiers critique, sont apparues sur les réseaux sociaux dans la foulée des soulèvements de l’année 2011 avant de migrer sur la même chaîne privée, CBC. Abla Fahita utilise d’ailleurs aujourd’hui le théâtre (et la société de production) où était tourné, jusqu’en juin 2014, le show de Bassem Youssef, et elle occupe désormais le créneau horaire qui était le sien avant que l’ex-chirurgien décide de tenter de faire de l’humour depuis les USA.

C’est en décembre 2013 que les problèmes ont commencé pour Tante Fahita, très officiellement accusée de diffuser, à travers un spot publicitaire pour la société Vodaphone, des messages cryptés à l’intention des partisans des Frères musulmans (article dans The Economist) ! L’affaire était tellement surréaliste que la justice égyptienne a dû enterrer une affaire qui vient malgré tout de connaître de nouveaux rebonds.

En effet, la diffusion d’une nouvelle campagne publicitaire avec Abla Fahita pour cette société de téléphonie a été interdite, juste à la fin de l’année, par le Conseil supérieur des médias (المجلس الأعلى للإعلام ). Celui-ci s’est vu contraint de prendre en urgence une mesure aussi draconienne choqué qu’il était par « des scènes avec des personnages presque nus, des expressions et des scènes qui vont à l’encontre du bon goût, se complaisent dans de mauvais comportements et offensent la morale publique, pour ne rien dire d’un langage de caniveau » (باستخدام الكاميرا، تضمنت لقطات لأشخاص شبه عراة ألفاظ ومشاهد لا تليق بالذوق العام، وتجافي كل القيم، وتحض على السلوك السيئ، وتخدش الحياء العام فضلاً عن هبوط اللغة ). Sous le titre « Pas juste le Net ! » (النت ظالم ), le spot mettait en scène un lycéen qui, mécontent d’être privé de télé pour avoir raté son examen de physique, se servait de son portable pour regarder des films « licencieux ». Il se pourrait même qu’il s’apprêtait à entrer dans un salon de discussion très privé avant d’être trahi par l’épuisement (de son abonnement) !

Entretemps, la malheureuse Abla Fahita avait connu bien d’autres déboires : concert de protestations contre la vulgarité (déjà !) du spot faisant la promotion de la saison 2015 où l’on voyait la marionnette s’extasier, en chemise de nuit, sur le physique de ses deux bodygards (vidéo ici) ; report inexpliqué du lancement de la saison en avril 2016 ; ou encore, quelques semaines après une plainte selon laquelle elle se serait moquée de la police, houleux débats au Parlement à l’inspiration de députés outragés de se voir tournés en ridicule dans une séquence inspirée d’un classique de la chanson égyptienne (la séquence est ici).

Désormais, un possible candidat à l’élection présidentielle, Mortada Mansour, le président du Football Club de Zamalek qui cultive son image à la Trump, a fait savoir que figurait sur son programme, en plus de l’interdiction de Facebook, celle de cette impertinente marionnette… De quoi être inquiet par conséquent pour le devenir d’une des rares émissions capables de redessiner un sourire sur les lèvres des Égyptiens, d’autant plus que la campagne contre la « vulgarité » de l’émission Al-Duplex s’inscrit dans le cadre plus large d’un projet de loi visant à bannir (autant que faire se peut !) des chaînes égyptiennes l’usage inconsidéré de la langue vulgaire égyptienne, au profit de la noble langue (prétendument) coranique bien entendu !

Étonnamment, on apprend par ailleurs que des contacts ont été pris pour que l’équipe de la très coquine marionnette égyptienne aille enregistrer un de ses shows sur la scène d’un théâtre du Royaume saoudien, dans le cadre de la politique d’ouverture culturelle voulue par le jeune régent et son équipe (plusieurs billets sur cette « politique du bonheur », dont celui-ci). À l’heure où les pères-la-pudeur se mobilisent pour châtrer les petits écrans égyptiens, ce sont les (officiels) Saoudiens qui affichent, quant à eux, une surprenante laxité : c’est vraiment le monde arabe à l’envers !


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