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Ma vraie vie à Rouen (2003), Jacques Duscatel et Olivier Martineau

Par Losttheater
Ma vraie vie à Rouen (2003), Jacques Duscatel et Olivier Martineau

Lorsque l’iris du caméscope d’Etienne s’ouvre, c’est notre regard qui est questionné comme un appel à témoin sur la vie de ce jeune adolescent de 16 ans originaire de Rouen. Filmé à la première personne, Ma vraie vie à Rouen, réalisé par Duscatel et Martineau, épie les moindres recoins de la vie d’Etienne. La mise en scène ne répond pas à un effet de mode pour les deux réalisateurs. Elle se glisse dans la peau de son personnage central pour offrir un regard inédit, tantôt léger, tantôt dramatique, sur la recherche de soi.

Le style semble parfois brouillon, la caméra bouge, hésite et se pose. Elle reflète les états d’âmes du jeune Etienne (formidable Jimmy Tavares), sa quête d’identité et les aléas de sa vie. Il y a les regards gênés de sa mère et de sa grand-mère, qui minaudent devant l’objectif, qui surjouent, jusqu’à retrouver le naturel. C’est du cinéma, et pourtant on y croirait presque. La mise en scène, si subtile, s’efface derrière ses mouvements insensés, car après tout, c’est le propre même de l’existence, d’être constamment dans l’action. Le cadre est vite posé : l’absence d’un père, les balades au cimetière ou à la mer, les conversations avec son meilleur ami. C’est son caméscope qui va le sortir de son train-train quotidien et lui permettre de poser un nouvel œil sur ce qui l’entoure. A commencer par son professeur d’histoire, qu’il filme avec beaucoup trop d’obstination. Son regard bascule, d’un sujet à un autre, souvent masculin : des pompiers, son meilleur ami qui lui fait un strip-tease,… Le caméscope se décline alors comme un substitut de lui-même, d’émotions qui sont tues, de désirs refoulés. L’enregistrement témoigne sans cesse du for intérieur d’Etienne, qui semble crier en silence qui il est à travers l’image.

La caméra n’est plus commune, elle interroge son sujet. Ma vraie vie à Rouen est traversé par la question identitaire. Bien qu’il soit plus souvent derrière que devant la caméra, Etienne reste le sujet central du film. Lorsqu’il filme, il devient comme transparent, invisible aux yeux des autres. Le caméscope est un rempart, un bouclier à ce qui pourrait le heurter. Lorsqu’il se retrouve devant, en revanche, le sujet est en questionnement. Duscatel et Martineau usent de ce procédé pour créer une tension dramatique en filigrane tout au long de leur film. Il y a un risque que tout explose cependant, que le sujet finisse par craquer tout comme la vie qui l’entoure. La caméra fait aussi office de barrière avec la vraie vie justement, le danger pour Etienne est de ne jamais l’atteindre, de ne jamais devenir celui qu’il devrait être. Etienne est comme enfermé dans son monde, entouré par l’incessante vie des autres, celles qui prennent plus de place que la sienne, qui se retrouve ainsi dans les non-dits. Sa mère entretient une relation avec son professeur d’histoire, son meilleur ami ne pense qu’au cul et passe de fille en fille, et sa grand-mère fabule tout en ressassant le souvenir d’un fils perdu. Où se trouve la place d’Etienne dans tout ça? Le garçon semble avoir beaucoup de choses à dire, mais il ne peut jamais les libérer. Alors de fait, sa vie stagne, trépigne, s’impatiente. Elle s’impatiente de vivre les grandes choses, de vivre l’amour. Bien sûr, il y a les compétitions de patinage artistique, mais elles ne suffisent pas à combler ce manque qui persiste dans l’existence d’Etienne. Le regard que Duscatel et Martineau posent sur cet adolescent est à la fois émouvant et perturbant, rempli de pudeur et de sensibilité. L’impulsivité que prône la caméra à la première personne n’a d’autre finalité que de souligner la tendresse qui émane de cette période délicate. Récit initiatique, Ma vraie vie à Rouen détient la force fragile de raconter la vie, de s’interroger sur sa place parmi les autres.

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