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Foule sentimentale

Publié le 03 juillet 2008 par Dalyna

Depuis hier, Ingrid Betancourt est partout. Nous assistons en direct à ses retrouvailles avec sa maman, et à l’instant même, avec ses deux enfants. L’avion qui atterrit, la porte de l’engin qui s’ouvre, Ingrid qui n’attend pas que sa famille sorte mais qui se précipite au sommet et enfin, les retrouvailles. Heureusement, elle a selon moi la présence d’esprit de s’engouffrer dans l’appareil pour prendre le temps de retrouver les siens un tant soit peu dans l’intimité. Moi, devant ma télé, je suis presque gênée d’assister à cela, et au-delà de la bonne nouvelle que constitue sa libération, je ne peux m’empêcher de penser intérieurement qu’il n’y a aucune différence entre le Loft ou Secret Story et le programme que nous visionnons. C’est de la téléréalité pure. Cela paraît naturel, mais ça ne l’est pas.

A présent, c’est Bernard Kouchner qui s’exprime. Il est rouge de joie, mais aussi ivre d’autosatisfaction. Il remercie au nom de Sarkozy, au nom de la France, au nom de, au nom de… Chacun tire la corde pour dire que dans cette libération, il y est aussi un peu pour quelque chose. Sur les plateaux télé, les intervenants se succèdent, mais ils disent tous la même chose. Beaucoup d’émotions, beaucoup d’émotions, beaucoup d’émotions… que d’émotion. Un tapage médiatique dont je ne comprends toujours pas la source. Hier, une fondatrice de comité de soutien pleurait de joie en affirmant qu’elle n’attendait qu’une chose, c’est de serrer Ingrid dans ses bras, tout en ajoutant qu’elle ne la connaissait pas personnellement. Ca me laisse dubitative. Je me demande, comment peut-on être amenée à ressentir cela d’une inconnue ? Je m’interroge aussi sur cette ferveur, populaire, générale, intarissable, que je salue certes, mais dont je cherche encore les raisons de sa naissance et sa signification. Comment et pourquoi les français ont-ils fait de cette franco-colombienne du bout du monde leur héroïne, leur star, leur icône ? C’est un symbole Ingrid, tout le monde le dit, mais un symbole de quoi ? De courage, de liberté ? N’y en a-t-il pas chez nous ? Sommes-nous si blasés que nous avons besoin d’aller jusqu’en Colombie pour se créer… du rêve. Car je crois que la réponse est à mes questions se situe bien là. Le rêve. Le rêve et le glamour. Voilà les 2 paramètres pour renverser une foule. Les voilà, les opiums du peuple moderne. Ce matin sur RMC, un médecin se plaignait que nous n’évoquions pas ses malades qui souffrent aussi de toutes les hépatites du monde, ou encore ses patients étrangers et expulsés, condamnés à mourir dans leur pays parce qu’ils sont « mal nés » et dont personne ne parle jamais. Pire, que tout le monde semble approuver parce que voyez-vous, y’en a trop ici de ces foutus étrangers. Il se plaignait… et moi, j’avais envie de lui répondre « Mais non, voyons, non, tu oublies qu’ils ne sont pas glamour, et ne font pas rêver tes patients : ils viennent d’Afrique souvent, et en plus ils sont pauvres ».

Tout le monde dit que ce qui est fantastique chez Ingrid Betancourt, c’est qu’elle représente des valeurs de liberté et de courage. Si elle porte indéniablement ces qualités en elle, je ne pense pas que cela suffise pour créer un mouvement populaire comme celui que nous avons vécu. En effet, ce qui fait rêver, ce n’est pas les valeurs que l’on défend, sinon nous aurions trop de candidats. C’est surtout tout ce qu’il y a autour : cela commence par être bien né. Et oui, on ne rêve pas d’un pouilleux en France, sauf si le pouilleux est devenu entre temps immensément riche et a emprunté l’ascenseur social digne d’une des ex-tours jumelles de New York. Exemple : Bernard tapie, Zinedine Zidane, Sophie Marceau… Ingrid Betancourt avait déjà ça en elle. Ce n’est pas une pouilleuse. On dira ce qu’on voudra mais l’argent, ça fait rêver les gens. Même si les grandes fortunes sont souvent critiquées en secret, au bistro, au café des commerces, en réalité, la plupart des gens sont en admiration totale devant elles, pour le luxe, le glamour et l’inaccessibilité qu’elles représentent.

Ensuite, Ingrid est un symbole parce qu’elle représente l’idéal de vie que la société nous demande d’atteindre : C’est une jolie femme (qui a eu deux maris = vie sentimentale), une mère (= deux enfants), une carrière (= politicienne, candidate à la présidence d’un pays bien avant Ségolène et Hillary), et enfin indépendante (= installée en Colombie loin de sa famille avant d’être otage) bien née (issue d’une famille de sénateurs, école IEP avec de Villepin comme Maître de conférences). Bref, elle rassemble à son être seul tout le fond de commerce de nos magazines féminins, tout ce qu’ils nous exhortent de devenir dans chacun de leurs numéros semaine après semaine : Pour les femmes, Ingrid Betancourt est une héroïne parce qu’elle a réussi le pari d’être à la hauteur de cet idéal de vie, et pour les hommes, un fantasme de la femme parfaite. Le rapport avec la Colombie me direz-vous ? Euh, je le cherche encore… J’attends juste de voir la suite de l’engagement des français pour la Libertad des autres otages au cours des semaines à venir. A mon avis, je ne verrais pas grand-chose, mais sait-on jamais. A coup de glamour de paillettes, tout est possible.


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