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Voir Sagan, lire Sagan, écrire comme Sagan. Vivre et mourir comme…

Par Georgesf

 

 

Voir Sagan, lire Sagan, écrire comme Sagan. Vivre et mourir comme…

Françoise Sagan.

Longtemps, je n’ai su de Françoise Sagan qu’une vérité énigmatique : le seul prof qui nous en ait parlé était celui de philo, en terminale. Un gros prêtre au visage de paysan contrarié et à la lourde odeur de tabac froid qui nous lâchait parfois, lorsque nous commentions nos notes avec un peu trop d’âpreté : « Françoise Sagan, elle a eu 20 en Français au bac ! 20 ! Et pfff… »

20 au bac, à l’époque, c’était la note impossible. L’éblouissement de la pensée. Et nous nous demandions ce qu’il signifiait par cet « et pfff… » : un scepticisme face aux critères de notation ? un dépit devant le gaspillage qui avait suivi de telles promesses ? un agacement devant nos pitoyables admirations pour les 16 ou le 15 des vedettes de la classe ?… ou le regret de ne pas pouvoir nous parler de ce phénomène hors programme et surtout hors des normes morales dans lesquelles on tentait de nous baigner une dernière fois avant l’envol des aiglons en juin.

Tous ces souvenirs me sont revenus hier soir quand je suis allé voir « Françoise Sagan », le magnifique film de Diane Kurys, avec la pathétique Sandrine Testud

Je suis mal placé pour vous parler de Sagan : ma vie n’a jamais fasciné personne, je n’ai jamais conduit les pieds nus, ni mon vélo, ni ma vieille Ulysse 13 ans cette année. Les seules lignes auxquelles je suis accro sont celles de l’écriture. Je n’ai jamais été assez riche pour mépriser l’argent.

Je suis mal placé pour vous parler de Sagan. Je n’ai lu que quelques-unes de ces œuvres, au roman et au théâtre : Bonjour tristesse, Aimez-vous Brahms, Château en Suède, les autres, j’en suis moins sûr.

Je n’avais pas été impressionné par ses récits, ses histoires. En revanche, la qualité, la finesse de son écriture m’ont toujours fait un fort effet. Et notamment celles du premier paragraphe de son premier roman. Elle l’a écrit à moins de vingt ans : "Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C'est un sentiment si complet, si égoïste que j'en ai presque honte alors que la tristesse m'a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l'ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd'hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres. Cet été-là, j'avais dix-sept ans et j'étais parfaitement heureuse." Elle avait déjà compris que, pour arrêter un éditeur, la première page est essentielle.

Il y a des réminiscences latines toutes fraîches dans la cadence de ces phrases. Mais elles paraissent déliées, amples. Et même faciles. C’est la beauté de l’écriture de Sagan : elle semble déployée sans effort, elle ne sent pas la transpiration. C’est peut-être ce qui a perdu Sagan, cette facilité. Elle a dû croire que la vie, comme l’écriture, était un jeu. Et seuls quelques élus en avaient le mode d’emploi.

C’est dans cet état d’esprit commode que je suis allé voir « Françoise Sagan »,. Je suis allé m’offrir en voyeur l’histoire d’une surdouée découvrant – au prix de quelles tragédies finales que tout devient difficile, la vie comme l’œuvre, quand la facilité vous tourne soudain le dos.

Et je découvre Sandrine Testud, prodigieuse, sensible, déchirante. Au bout d’un quart d’heure, on ne voit plus que Sagan. On devient un frère, un copain, peut-être un amant, tout ça, mais impuissant. On souffre avec elle, on voudrait tant l’aider.

Et surtout, on entend autrement ces mots de Sagan, dits en off. Des mots qui décrivent les rapports entre l’auteur et l’écrit avec une telle vérité, une telle finesse… et j’ai compris que j’avais très mal lu Sagan. Ces quelques phrases, dites par une cocaïnomane déglinguée, une alcoolique allumée, sont des paroles de voyant.

Je dois être honnête : chacune de ces phrases a été un choc. Un choc si fort que j’en oubliais les mots aussitôt après les avoir entendus. Des mots qui me semblaient soudain dévoiler des rapports très intimes à la vie, à l’écriture, des émotions que je croyais très personnelles, étouffées, même à mes yeux.

J’étais avec ma femme dans la salle. À la fin du film, je lui ai demandé d’attendre, je voulais que nous soyons les derniers à sortir, car il m’arrivait un truc que je n’avais pas vécu au cinéma depuis quarante ans : j’étais en larmes.

Si vous écrivez, allez voir ce film : il est bouleversant.

Si vous n’écrivez pas aussi. Que voulez-vous que je dise de plus : 20 et pfff…


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