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Kirill Petrenko dirige un Siegfried de couronnement à l'opéra de Munich

Publié le 05 février 2018 par Luc-Henri Roger @munichandco

Kirill Petrenko dirige un Siegfried de couronnement à l'opéra de Munich

Stefan Vinke (Siegfried) et les figurants du Bayerische Staatsoper.
Crédit photographique pour toutes les photos: Wilfried Hösl


Avec Siegfried la reprise de l'Anneau des Niebelungen au Bayerische Staatsoper a atteint un climax jubilatoire qui confine à l'explosion. Le Ring dirigé par le magicien Kirill Petrenko avec un Orchestre d'Etat de Bavière et une distribution exemplaires recueille tous les suffrages, et, pour ceux qui la connaissaient déjà, revoir l'excellente mise en scène d'Andreas Kriegenburg permet de l'apprécier mieux encore, la cohérence du propos s'en voit renforcée et on y découvre une foule de détails qui échappaient presque nécessairement à l'attention  lors d'une première vision. Ainsi, et particulièrement en ce qui concerne Siegfried, Kriegenburg a-t-il souligné l'humour qui sous-tend l'écriture wagnérienne.

Kirill Petrenko dirige un Siegfried de couronnement à l'opéra de Munich

Okka von der Damerau (Erda), Egils Silins (Wanderer), figurants du BSO


Dans Siegfried, les dieux ont déjà commencé à emprunter des chemins crépusculaires, comme c'est ici le cas d'Erda et de Wotan, pour faire place au héros dont l'opéra nous raconte l'histoire aussi impétueuse que glorieuse. La narration se déroule dans un décor de fables pour adultes et, à l'instar d'un roman de formation, suit le développement du personnage de Siegfried. Elle souligne tant ses capacités héroïques que les balbutiements de sa psychologie naissante, une fois qu'il émerge du moule héroïque dans lequel il a été coulé. Si Siegfried est un héros sans peur et sans reproche dans le déploiement de ses activités physiques au sein du monde des hommes, il est particulièrement sensible et vulnérable dès qu'il s'approche du féminin: la quête incessante de la mère disparue, l'effroi naissant lorsqu'il découvre la Walkyrie endormie, les hésitations du premier amour qui le fait pénétrer dans un univers de lui inconnu, bien plus terrifiant que celui des dragons ou des parâtres empoisonneurs.
Andreas Kriegenburg raconte son histoire en la mettant en scène comme un conte mythologique. Siegfried parcourt un monde mythique enchanté, dont l'enchantement, comme, mais encore plus que dans les deux premières parties, est rendu par la présence d'une centaine de figurants conçus comme éléments du décor. Un décor fait de chairs mouvantes, un décor incarné. Kriegenburg se saisit de la chair humaine qu'il pétrit comme de la plasticine et confie aux mains précises de sa chorégraphe Zenta Haerter, ce qui a pour effet d'offrir aux quelques protagonistes un public humain et muet, manipulable à souhait, témoin impuissant, mais qui est à la fois la chambre d'écho sensible de l'action. Ces corps qui composent des remparts, un cercle de feu, une forêt ou un sol mouvant, meublent l'espace narratif par les lents mouvements de leur masse grouillante. Le travail chorégraphique est stupéfiant de précision. Des amas de corps dont les mouvements ne sont jamais spontanés mais reflètent les humeurs des personnages. Cela crée des tableaux d'une beauté saisissante. Les mouvements des figurants ne sont jamais gratuits, jamais ils ne détournent l'attention du verbe wagnérien, qu'ils servent ou soulignent. Le verbe wagnérien se fait chair, mais cette chair n'a pas d'existence propre. Et c'est là une des toutes grandes qualités de cette mise en scène, c'est qu'elle est au seul service de la musique, du texte, du chant et du théâtre. On sort émerveillé par le théâtre total de Wagner, porté par la mise en scène de Kriegenburg, qui sert Wagner avant toute chose et ne cède jamais à la tentation de la récupération de l'oeuvre à son propre profit.

Kirill Petrenko dirige un Siegfried de couronnement à l'opéra de Munich

Ain Anger (Fafner), figurants du  Bayerische Staatsoper


Et comme c'est beau de voir par exemple les devinettes de Mime et de Wotan représentées par des figurants qui rappellent la mythologie en action et reproduisent des tableaux des deux premières parties de la tétralogie. La mise en scène utilise elle aussi le leitmotiv en reconstituant des éléments du décor humain de la mise en scène des deux premières parties du Ring: ainsi de la muraille du Walhalla ou des dés ce chair compressée sur lesquels étaient postés les Géants . Comme c'est beau de voir aussi l'évocation mimée de la naissance de Siegfried, de suivre sa progression dans le monde de la forêt enchantée de l'oiseau dont les arbres sont entièrement construits avec les corps des figurants. Fafner dans son avatar de dragon est représenté par une énorme tête de dragon chinois, suspendue dans le vide de l'espace scénique, et dont la structure métallique est remplie de figurants dont les mouvements  simulent les chairs de la gueule de l'effrayante bestiole.
On le voit avec la représentation de Fafner, la lecture kriegenburgienne de Siegfried laisse aussi de la place à l'humour. Ainsi aussi de l'idée de transformer Alberich en un truand tabagiste, avec des détails significatifs qui indiquent l'état du personnage: ainsi Alberich allume-t-il une clope, mais voyant le Wanderer s'approcher, l'éteint et range soigneusement le mégot; ce détail nous indique qu'Albérich est à présent fauché comme les blés et se voit obligé de mégoter.  Pour marquer l'antagonisme d'Alberich et de Wotan, Kriegenburg leur fait pointer simultanément un revolver, comme les poor lonesome cowboys de la bande dessinée ou des films d'action. Et plus tard, les images de la cristallisation amoureuse entre Siegfried et Brünnehilde sont empreintes d'humour et de tendresse, une tendresse qui est la marque du regard que porte le metteur en scène sur le héros wagnérien.

Kirill Petrenko dirige un Siegfried de couronnement à l'opéra de Munich

Nina Stemme (Brünnhilde), figurants


La direction de Kirill Petrenko  force  à nouveau l'admiration par la combinaison bien dosée d'une précision et d'un souci du détail extrêmes et d'une vision d'ensemble unifiée qui souligne les mouvements de l'oeuvre et atteint au sublime. L'attention au travail des chanteurs est patente mais le maestro peut ici se permettre plus d'intensité car de très grandes voix occupent le plateau. Le propos est lumineux et sa maîtrise sert l'émotion, le tempo est rapide, le son remarquablement clair, la complicité synchrone avec l'orchestre atteint la perfection. Kirill Petrenko, tout au service scrupuleux de la partition, fait chanter l'oeuvre de Wagner dans toute sa plénitude. Après le final, c'est comme une fore houle qui soulève tout le public et Petrenko et l'orchestre reçoivent un ouragan d'applaudissements délirants, éperdus de reconnaissance. Et la distribution est à l'aune du travail du chef et de l'orchestre.  Stefan Vinke porte le rôle-titre de sa voix puissante d'un bout à l'autre de l'oeuvre sans jamais donner l'impression de devoir ménager ses forces, un exploit au vu de la difficulté de sa longue partie. Les qualités de l'expression dramatique, la belle étendue de la tessiture et l'assurance dans l'aigu même le plus explosif, toutes ces qualités atteignent leur paroxysme dans le troisième acte, et c'est d'autant plus heureux que Nina Stemme, la Brünnhilde incontestée du 21ème siècle, y est à nouveau sublime. Nina Stemme brûlerait les planches de son intensité dramatique si le brasier qui entoure son personnage ne s'en était déjà chargé, la voix est puissante, chaleureuse et lumineuse,  et le jeu scénique qui doit exprimer la transformation d'une vierge farouche en femme amoureuse et désirante est sans égal. Wolfgang Ablinger-Sperrhacke donne un superbe Mime, avec une diction et un phrasé magistrals, avec un travail théâtral complexe et intelligent qui permet au chanteur de faire résonner son beau ténor tout en représentant la médiocrité boutiquière, les bassesses et les infâmes vilenies de son personnage. Et puis vient le festival des voix basses dans cet opéra surtout masculin: Egils Silins en Wanderer déploie les ors sombres de son baryton-basse doté de belles profondeurs dans cette mise en scène qui souligne si bien la fragilité de ce dieu déjà déchu qui paye dans son errance vagabonde ses erreurs passées. John Lundgren, dont par contraste avec Silins le puissant baryton sonne cette fois plus clair, continue de jouer ici avec une grande finesse psychologique un Albérich à présent finissant dont le seul et misérable objectif est de recouvrer l'anneau perdu, dans cette scène remarquable où Wotan lui conseille de se méfier de Mime. Ain Anger, dont la stature semble faite pour jouer les géants, prête les profondeurs sonores de sa voix caverneuse au dragon et donne, derrière le grand masque déjà évoqué un Fafner impressionnant. Une Okka von der Damerau tellurique et impériale irradie le réveil d'Erda des couleurs chaudes de sa voix riche et enveloppante dotée de beaux graves somptueux, dans une des plus belles scènes de l'opéra, magnifiquement rendue par le ballet lent des figurants dénudés et terreux. Enfin Mirella Hagen a  donné une représentation aussi élégante que délicieuse de l'oiseau de la forêt de son soprano  aigu doté de brillance et de légèreté.
Avec ce Siegfried Kirill Petrenko, le Bayerisches Staatsorchester et les éblouissants chanteurs ont à nouveau tutoyé l'excellence.

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