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Philippe Delerm : Et vous avez eu beau temps

Par Stephanie Tranchant @plaisir_de_lire

Et vous avez eu beau temps de Philippe Delerm   4/5 (20.12.2017)

Et vous avez eu beau temps (176 pages) est sorti le 4 janvier 2018 aux Editions Seuil.

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L’histoire (éditeur) :

Est-on sûr de la bienveillance apparente qui entoure la traditionnelle question de fin d'été : " Et... vous avez eu beau temps ? " Surtout quand notre teint pâlichon trahit sans nul doute quinze jours de pluie à Gérardmer...
Aux malotrus qui nous prennent de court avec leur " On peut peut-être se tutoyer ? ", qu'est-il permis de répondre vraiment ?
À la ville comme au village, Philippe Delerm écoute et regarde la comédie humaine, pour glaner toutes ces petites phrases faussement ordinaires, et révéler ce qu'elles cachent de perfidie ou d'hypocrisie. Mais en y glissant également quelques-unes plus douces, Delerm laisse éclater son talent et sa drôlerie dans ce livre qui compte certainement parmi ses meilleurs.

Mon avis :

Quel plaisir de retrouver la plume de Philippe Delerm dans ses évocations de petites phrases de tous les jours, celles dont on ne fait plus vraiment attention et qui à travers ses mots reprennent tout leur sens, leur efficacité et leur piquant.

L’auteur fait mouche à chaque phrase. Il impose naturellement une réflexion sur ces phrases du quotidien, invite joliment au questionnement

« Mais elle n’existe pas, cette phrase délicieuse qui refléterait l’apogée de la délicatesse : - On pourrait peut-être continuer à se vouvoyer ? » Page 109 On peut peut-être se tutoyer ?

met le doigt sur un petit mots

« Dans ce contexte, on ne parle pas de mort. Par sa sonorité même, deuil semble paré d’un voile, d’une indécision préférable. Il s’agit pourtant ici de faire face, mais cette opération ne saurait se concevoir dans un forme d’esquive. Et puis il est question de faire. Il faudrait vouloir, inventer, fabriquer. Construire un effacement comme on prendrait des planches, des clous, un marteau pour édifier une cabane. » Page 28 Il n’a pas fait son deuil

souligne un détail dans la conjugaison

« Il aimait ça. C’est étonnant, ce pouvoir de l’imparfait. On revit les choses, comme quand on commente une photo (…), le passé simple découpe au scalpel une période précise, détachée de tout affect. » Page 99 Il aimait ça, le Monopoly

ou dans le choix d’un adverbe

« étrange, cette nuance du tu et du vous. A-t-elle pouvoir de créer un rapport différent, ou est-elle la conséquence d’un rapport préexistant ? Page 107 On peut peut-être se tutoyer ?

il porte une regard sur notre époque empreint de nostalgie

« On peut éprouver la nostalgie d’un monde où l’on disait c’est pas pour nous. Un monde plus simple. » Page 40 C’est pas pour nous

«  -Et prends –toi quelque chose ! ah comme on aimait cette abstraction ! il ne s’agissait pas de refuser. A la fierté du commissionnaire s’ajoutait cette délicatesse de plonger dans le secret, le non-dit. » Page 43 Et prends-toi quelque chose 

« Je me suis tant inquiétée pour ceux que j’ai aimés, pour ceux que j’aime.je me sens lasse et bien et j’aime cette instant. Ça n’ira pas plus bas. Laisse tomber le temps, laisse tomber la laine. » Page 77 Ça n’ira pas plus bas

et de mélancolie affectueuse

« On partage la vie, et quand on se sépare le soir c’est un peu contre nature, on ne saurait le faire sans un conseil ou deux : des mots comme une écharpe ; la fin de la phrase a cette douceur de laine au bord des lèvres, je tiens à toi, surtout ne prends pas froid. » Page 151 Ne rentre pas trop tard, ne prends pas froid

Le vocabulaire est riche, pointu, entre l’image et la précision/justesse lexicale (« Son impétuosité rentrée déferle dès qu’on cesse de la museler. Il est alors comme un chien ivre d’espace sur la plage après une longue réclusion automobile. » Page 15 N'oubliez pas...) pour évoquer ces petites phrases, ces mots du quotidien qui sonnent la pique, la surenchère, le cynisme…

Tantôt drôle, corrosif, ironiques (C’est grâce au collectif), tendre, féroce, profondément touchant, véridique…  Et vous avez eu beau temps ? est encore une fois un excellent regard sur notre quotidien, sur la simplicité des gestes et des mots, sur l’ordinaire honteux (comme ce journal qu’on ne dévore seulement chez le coiffeur. Et pour cause !) et perfide. Parce qu’il est essentiellement question de ça aussi et le sous-titre l’annonce clairement « la perfidie ordinaire des petites phrases »..

Rien de méchant dans ces pages ni de cruel, mais l’ensemble a quelque chose de mordant, d’incisif et surtout d’authentique qui rende ce petit livre si délicieux.

Et vous avez eu beau temps ? est un livre impossible de lire d’une traite pour le savourer véritablement. C’est le genre qui se déguste, deux ou trois chapitres à la fois, sans quoi on serait tenté de se lasser et ça serait vraiment dommage. Lu de manière fractionnée c’est un PLAISIR ! tout comme La première gorgée de bière, c’est le genre que j’aime relire. J’aime me replonger régulièrement dans ces textes courts pour capter ses sensations universelles, sourire à ces analyses si justes et pertinentes, reprendre la mesure de ces mots de notre quotidien dont on n’a bien souvent plus conscience.

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