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Écrivain Public II – Née pour un petit pain

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Conrad, l’un des doyens d’un centre communautaire d’Hochelaga (quartier populaire et l’un des plus pauvres de Montréal), vient de décéder. Des suites d’un cancer qui le rongeait à petit feu. Ce qu’il confia à Mathieu (Emmanuel Schwartz), écrivain public et employé du centre, avec lequel il s’était lié d’amitié. Avec lequel il avait même noué une relation filiale emprunte de respect et de tendresse mêlés. C’est ainsi qu’à la demande de Conrad, Mathieu lut, le jour des funérailles de ce dernier, une lettre d’adieu : les mots du défunt, retranscris de sa main. Conrad comptait parmi les analphabètes et illettrés québécois, des idées plein la tête, de nombreux traits d’esprit… les outils cruellement manquant pour les partager et leur donner vie. Un facteur d’exclusion mal appréhendé et mal géré par les pouvoirs publics qui, il faut bien le dire, ont tendance à lever le nez dessus et s’en désintéresser.

Une réalité sociale antinomique avec l’image et les valeurs que l’ensemble des sociétés occidentales souhaite renvoyer à l’international. Difficile d’imaginer tout un pan de la population d’un pays riche incapable de lire et écrire. Une incrédulité notamment portée par Mégane, la très jeune fille de Mathieu, qui du haut de sa dizaine d’années parfaitement éduquée (au point d’apparaître presque lisse, sinon aseptisée) sera la seule à se demander pourquoi et comment Conrad  a pu se retrouver malgré lui dans pareille situation. La vérité, paraît-il, sort de la bouche des enfants.

Un adage qui pourrait attendrir tout en prêtant à sourire s’il ne s’appliquait autant à toutes les strates du récit de cette seconde saison d’Écrivain Public. Pétri de bons sentiments, sincère dans sa volonté de dénoncer des injustices et des manquements sociétaux flagrants, le scénario de Michel Duchesne et Eric Piccoli (également réalisateur du projet) n’en souffre pas moins d’un manichéisme patent, l’empêchant constamment de pousser ses concepts plus avant. Passées l’évocation d’un fait scandaleux moralement (la destruction du centre communautaire au profit d’un complexe d’appartements que seule une clientèle aisée pourra se payer), la mise en scène d’un événement tragique par nature (le viol et l’agression de Jojo, cliente du centre communautaire souffrant de dysfonctionnements cognitifs, par son voisin sous protection policière), rien ou trop peu sera fait par la suite pour en approfondir la portée, pour apporter corps et substance à des thématiques aux implications pourtant complexes. Politiques, sociales, économiques, morales, éthiques : le sujet de l’analphabétisme possède un potentiel certain, riche en nuances et en messages qu’Écrivain Public II ne cherche jamais à exploiter. Préférant plus souvent qu’autrement se contenter de clamer « c’est pas bien, c’est comme ça » sans vraiment vouloir (ou pouvoir) expliquer pourquoi. Pourtant seulement composée de cinq épisodes, cinq « chapitres » d’une vingtaine de minutes chacun, Écrivain Public II peine ainsi à justifier sa durée, la faute à des cartes thématiques abattues trop vite, aux conclusions si évidentes que leur résurgence à intervalles réguliers se fera dès lors redondante. Une problématique dont les personnages se font l’écho à leur corps défendant, aucun d’entre eux n’étant suffisamment approfondi (à l’exception de Conrad, de loin le plus intéressant et touchant du lot) pour proposer une évolution à même de maintenir l’intérêt et créer un sentiment d’adhésion dignes de ce nom.

Se pose donc de ce point de vue la question du public visé, et du respect dont la série fait preuve vis-à-vis de ce dernier. En prenant le parti d’une peinture archétypale, à la fois flatteuse pour les employés travaillant sur le terrain au quotidien, et nettement moins amène pour les individus en position d’autorité (le directeur du centre, le promoteur immobilier, le policier de quartier, le député couard et faussement intéressé), Écrivain Public II s’écarte d’emblée d’une quelconque recherche d’exigence et de subtilité, et se rapproche sur ce plan du commun des productions consensuelles telles que Médecin de Campagne au cinéma, ou Louis la Brocante et autres séries estampillées TF1 ou France 3. La charge politique et sociale voulue s’efface devant la candeur de l’ensemble, à même de ravir le plus grand nombre, à défaut de le questionner et de le confronter à ses propres certitudes. En somme, si le sujet de l’analphabétisme reste méconnu du grand public, trop peu sera paradoxalement mis en oeuvre au cours de la saison pour en saisir l’ampleur et les conséquences au quotidien, hormis quelques dialogues explicites et cousus de fil blanc. En résulte un décalage manifeste entre les intentions des créateurs et leur concrétisation à l’écran, ces derniers s’étant in fine enlisés dans une comédie dramatique de moeurs aux enjeux convenus, là où la promesse était belle de proposer une série réellement engagée. Et ce ne sont pas les quelques revendications jamais vraiment justifiées apposées ci et là au chausse-pied (la légalisation du cannabis en particulier) qui changeront la donne : Écrivain Public II, par manque de subtilité, flirte bien trop souvent avec un populisme (de gauche, mais populisme tout de même) larvé pour être convaincant quant à ce qu’il entend dénoncer.

À sa décharge, soulignons tout de même qu’Écrivain Public II, à défaut de se montrer enlevée, se suit sans déplaisir aucun. Visuellement soignée, la série de Michel Duchesne et Eric Piccoli jouit ainsi, pour une production web, d’une direction photo (à sa mesure) plutôt travaillée. Ne trahissant jamais, et c’est tout à son honneur, son manque de moyens.

Volontaire, d’aucuns pourront donc arguer qu’Écrivain Public II fait de son mieux et (un peu) plus encore avec les moyens du bord. Mention « Bel effort ». Que sa sincérité et l’évidence de son propos ne peuvent que fédérer, que seuls les cyniques, au fond, ne sauront apprécier. Gageons même que le grand public saura, lui, s’en contenter. En soi, pourtant, un désaveu criant pour toute démarche ambitieuse, pertinente et sensée. L’analphabétisme, outre les mots, aurait bien mérité des images fortes sur les maux. Le palier à franchir était hélas encore sans doute beaucoup trop haut.

Écrivain Public II est désormais disponible en ligne sur TV5 à l’adresse suivante

Écrivain Public II – Bande annonce

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