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Le joli Mai

Publié le 09 mars 2018 par Pantalaskas @chapeau_noir

« Images en luttes »

Lorsque Chris Marker filme en 1963 « Le Joli Mai » à Paris, pressent-il la vague de fond qui, quelques années plus tard, submergera d’abord Paris puis la France entière ? Précède-t-il l’intuition du journaliste Pierre Viansson-Ponté qui, le 15 mars 1968 écrit « Quand la France s’ennuie » ? : « Dans une petite France presque réduite à l’Hexagone, qui n’est pas vraiment malheureuse ni vraiment prospère, en paix avec tout le monde, sans grande prise sur les événements mondiaux, l’ardeur et l’imagination sont aussi nécessaires que le bien-être et l’expansion. » Quelques jours plus tard naît à Nanterre le mouvement du 22 mars, annonciateur de mai 68.
Sous l’intitulé
« Images en luttes », les Beaux-arts de Paris ne font pas expressément référence à une commémoration du cinquantenaire de mai 68 dans la captivante exposition qui prend comme sujet « la culture visuelle de l’extrême gauche en France (1968-1974) ». C’est bien pourtant le tremblement de terre de mai 68 qui aura pour répliques les luttes sociales développées dans les années suivantes. Avec le recul de ce demi-siècle, c’est une évocation documentée qui retrace ces années où les artistes contemporains de cette décennie confrontent leur pratique artistique à la réalité de leur temps, aux engagements qu’implique cette réflexion sur leur création.


Le joli Mai
Lorsque l’atelier des Beaux-arts de Paris entame la grève et entreprend la réalisation d’affiches militantes, c’est une histoire inédite qui s ‘écrit au quotidien. Des artistes du Salon de la Jeune Peinture, Gilles Aillaud, Eduardo Arroyo, Francis Biras, Pierre Buraglio, Gérard Fromanger, Bernard Rancillac et Gérard Tisserand organisent l’action. Le 14 mai le peintre Guy de Rougemont et Éric Seydoux, qui maîtrisent la sérigraphie, sont chargés de mettre en place un atelier et initient étudiants et artistes à cette technique nouvelle qui permet d’imprimer plus rapidement que la lithographie. La totalité des affiches imprimées atteindra le million.
L’exposition témoignage à la fois de sur cette activité débordante et sur la créativité graphique et signalétique des artistes engagés. La règle veut que ces affiches aient été anonymes quand bien même certains noms se retrouvent associés à telle ou telle création.

Le joli Mai
Les peintres désignés depuis sous l’appellation de Figuration narrative sont bien présents au Palais des Beaux-arts : Aillaud, Arroyo,Cueco, Erro, Fromanger, Rancillac, Tisserand notamment figurent en bonne place sur les cimaises.

 Faut-il peindre la révolution ou révolutionner la peinture ? 

Lorsque le mouvement de mai 68 s’essouffle, comment revenir dans l’atelier ? Il faut alors pour chaque artiste retrouver le chemin de son propre espace personnel. Ce repli n’est pas toujours aisé. Comment maintenir désormais, sur la toile, cette relation au monde vécue avec une telle intensité ?  Faut-il peindre la révolution ou révolutionner la peinture ?  Ce débat se prolongera pendant de nombreuses années. Au sein même de la Figuration narrative, les oppositions, les conflits, les susceptibilités seront tenaces.
Mais plus généralement la question de la nature et de la fonction de la peinture opposera des pratiques fort différentes comme le montre l’exposition : entre d’une part une peinture figurative directement politique ou non et d’autre part une volonté de table rase avec une analyse de la peinture au sein du groupe Supports-Surfaces, le fossé est considérable. Les Cane, Dezeuze, Devade, Pincemin, Viallat apparaissent dans l’exposition en décalage par rapport à cet engagement militant de la fin des années soixante. Seul Pierre Buraglio semble, pendant un temps,  à la croisée des chemins entre peinture figurative et approche analytique de l’art.
Cette vague contestataire déborde largement le cadre immédiatement politique pour s’élargir aux causes sociétales. Le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), le mouvement de libération de la femme (MLF) occupent le haut du pavé. Le MLF rendra notamment hommage à celle qui est plus inconnue que le soldat inconnu : la femme du soldat inconnu.
Au-delà des frontières, ce que l’exposition décrit comme « L’ ailleurs fantasmé » montre les parutions multiples souhaitant créer un front de contestation avec la Chine, le Vietnam, Cuba, la Palestine. Au-delà de la profusion des images, c’est aussi cette prolifération d’écrits, ouvrages, revues qui caractérise la période. L’exposition met à disposition des visiteurs une somme considérables de livres à consulter. C’est la période de gloire de la librairie Maspéro au quartier Latin.
Cinquante ans plus tard, les peintres ont poursuivi leurs carrières de peintres. Guy de Rougemont a sagement rejoint les bancs de l’Académie des Beaux-arts à quelques pas du Palais des Beaux-Arts. Les affiches de mai sont devenues un marché florissant. Pour autant mai 68 ne semble pas avoir été complètement « digéré » si l’on veut bien me pardonner cette expression. Entre ceux qui vouent encore aux gémonies la contestation de 68 et ceux qui gardent en eux cette mémoire rémanente d’un moment rare, les cinquante années passées n’ont peut-être pas complètement fait accéder cette ligne de fracture au plan de l’Histoire.

Photos de l’auteur

Images en luttes
21 février- 20 mai 2018

Palais des Beaux-Arts
13 quai Malaquais
75006 Paris


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