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Venir grand sans virgules, de Myriam Wahli

Publié le 10 mars 2018 par Francisrichard @francisrichard
Venir grand sans virgules, de Myriam Wahli

L'arbre avait été exposé toute la journée au soleil il était donc plus chaud que mon duvet et un duvet si on y serre trop c'est comme si y en avait plus alors qu'un arbre ça reste dans les bras quoi qu'il arrive et quand à l'intérieur de la maison y a rien qui reste dans les bras quoi qu'il arrive on sort.

La petite raconte les moments qui la font Devenir grand sans virgules. Un de ces moments, c'est son embrassade d'un arbre, un noyer, dont ses bras ne font pas le tour du tronc rugueux, mais qui lui laisse des marques quelques jours sur la peau d'avoir serré trop fort.

Le fait est que le texte de Myriam Wahli ne comprend pas de virgules. Cette absence de pauses ne nuit cependant pas à la santé des phrases. Au contraire. Le texte n'est pas du tout indigeste, sans doute parce que le lecteur s'habitue très vite à le respirer par lui-même.

Ce style fluide a le mérite de restituer au regard d'une enfant sur le monde toute sa sincérité. Elle voit ce que les adultes ne voient plus et deux images reviennent sous sa plume: la couche des mots et une commode, avec ses petits tiroirs, rangée dans la tête de chacun.

La couche des mots, c'est ce qui les fixe pour donner cohésion à ce que les adultes disent, de telle manière que les enfants finissent par penser comme eux. La commode rangée dans la tête, c'est le classement de ce qu'on a vu, entendu, dans des petits tiroirs bien étiquetés.

La petite découvre que les choses ne sont pas aussi simples que le disent les adultes. Elles sont même plutôt compliquées. Comme elle est la petite, elle a compris (une claque est vite arrivée) qu'elle doit garder ses réflexions pour elle et ne pas les exprimer à voix haute.

Quand elle ne respecte par l'ordre établi des adultes, elle casse le contrat des couches: Ces couches qui font qu'on est quelqu'un qu'on fait partie d'un tout la semaine au travail au village le dimanche à l'église. Car la petite, ses trois frères et deux parents, vivent au village.

La petite appelle règles fantômes celles auxquelles l'enfant obéit sans que l'adulte ravi ait eu besoin ni de dire ni d'expliquer. Si, a contrario, l'enfant fait quelque chose de dissonant, le tiroir qui lui est réservé dans la tête de l'adulte s'ouvre et son contenu se décompose...

Le regard de cette enfant sur les êtres et les choses est critique: elle ne s'en laisse pas conter du haut de ses dix ans et c'est rafraîchissant. Quand elle est seule, elle se sent bien. Elle est sensible à la beauté du monde. Le paradis, dont l'éternité l'effraie pourtant, serait peut-être:

Se faire postillonner dessus par le soleil en marchant sur la lune.

La petite raconte donc tous ces moments d'apprentissage qui forment son histoire: à la fois elle accède à la légèreté en se faisant débarrasser des couches et à la gravité auprès de son noyer qui s'est baigné toute la journée dans le soleil, qui lui montre comment tenir debout.

Francis Richard

Venir grand sans virgules, Myriam Wahli, 94 pages, L'Aire


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