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Le Cameroun ou la littérature palabreuse !

Publié le 18 mars 2018 par Joss Doszen

Texte pour le journal "Les dépêches de Brazzaville" de Mars 2018

Le K-mère est palabreur ! C’est une évidence pour nous, filles et fils d’Afrique centrale ; nous savons que nous frères Camerounais sont les grand-frères de la palabre. C’est évident, il faut connaitre ses voisins.
Vous en doutez ?
Lisez donc K-mère !

Partez des pères classiques qui ont trusté nos cerveaux de collégiens. Nous qui comprenions à peine l’aigreur humoristique – noire – d’un Ferdinand Oyono qui campe le vieux Méka ; « vieux nègre et la médaille » qui se fait spolier et traité plus bas que terre par une administration coloniale dont les autochtones attendent gloires et honneurs. Au temps du lycée, la violence des mots d’un Mongo Beti hurlant son « Main basse sur le Cameroun » nous a fait compatir avec les autorités locales qui interdisaient ce pamphlet anticolonial aussi brulant pour la France de Total-Elf que pour ses affidés présidents africains, dont le mien.

Refusant la capacité à soulever des sujets de palabres, vous tenterez de vous réfugier chez la talentueuse Léonora Miano. Oui, après tout, si l’on fuit la personnalité aussi troublante – sa voix… sa voix ! – que fauteuse de trouble que les échos du micro(pico)cosme littéraire africain nous remontent ; l’on est tenté de croire que sa littérature est moins piquante. L’enfant et la guerre de sa trilogie (« L’Intérieur de la nuit », « Contours du jour qui vient », « Tels des astres éteints »), ce sont des sujets tartes à la crème de la littérature africaine. Puis, quand on parle des afropéens dans « Afropean soul » ou le superbe « Bleues pour Élise », les africains que nous sommes sont tentés de sourire et de laisser aux banas ya poto leurs tribulations de déracinés. Mais, quand on a lu Miano, vraiment lu. Quand est entré dans l’essai « L’impératif transgressif », quand on a trainé ses guêtres derrière ceux de Ayané… l’on comprend que Miano, c’est sans doute, aujourd’hui, le porte-drapeau de la littérature camerounaise, mais c’est aussi et surtout la grand-mère maternelle de la Palabre !

Pourquoi maternelle ? Ben parce que Hemley Boum le dit dans son éblouissant « Les maquisards », le pouvoir des femmes, celle des prêtresses du nKoï, ne saurait être de la lignée paternelle. Hemley Boum et son récit-fiction de l’épopée de Ruben Um Niobé qui m’a amené la larme aux yeux. Hemley Boum et ses personnages de femmes puissantes, princesses et reines féminines qui prennent en pleine poire la question du SIDA dans « Si d’aimer… », celles qui transmettent les valeurs dans « Le clan des femmes ». Hemley Boum, le féministe qui ne hurle pas, qui transpire au travers des récits, qui fait pénétrer histoires, cultures et convictions. Hemley Boum, le maillot jaune de la palabreuse littérature K-mère. Le pouvoir Poteau mitan !

Des grands aïeuls cités plus hauts sont descendus des palabreurs qui ne laissent pas le lait ! Le grand père grognon, l’irritable et agaçant papy que l’on ne peut zapper du dîner littéraire familiale car, le talent, il l’a. Il l’a quand on considère simplement le magistral « Un temps de chien ». Le talent au service d’un bruyante colère palabreuse de l’homme écrivain. Dans ce livre, écrit en lettre majuscule, figure un « BIYA DOIT PARTIR ». Je cherche encore dans le micro(pico)cosme littéraire africaine celui qui peut mettre son piment dans la bouche d’un écrivain qui ose ça, et va se balader dans son pays de dictature.

A côté de lui, en douceur, les jeunes hommes palabrent tout de même, et avec talent. La gifle pris par le lecteur de science-fiction que je suis quand j’ai découvert « Ceux qui sortent la nuit » de Mutt-Lon. Lauréat du prix Kourouma 2014, il est absolument mystique que cette superbe virée dans l’ésotérisme Bassa et son recoure aux formes astrales n’ai pas eu les faveurs d’un plus grand nombre de lecteurs. Les esprits ne veulent-ils pas que leurs palabres soient étalées sur place publique ?

Et la littérature K-mère continue, encore et toujours, à pondre des écrivains palabreurs qui ne cèdent pas le corps  ! Des Kuaté Fotso Christian avec sa « Lettre d’un mbenguiste à sa mère » qui hurle sa rage d’immigré et son introspection dans les relations parent-fils difficiles. Ou une Saphir Samba, « Du feu pour les honneurs », dans une littérature ado-compatible de bonne facture qui nous fait explorer la société aisée de l’élite rwandaise.

La Camerounaise littérature est palabreuse, elle est, en générale, loin des flonflons des poètes et des rond-de-jambe des littératures qui aiment s’entendre écrire ; le K-mère a quelque chose à dire et il écrit pour la dire, sans fioriture, sans détour. La littérature camerounaise, celle que je connais et aime, raconte des histoires, dit son dû, pousse sa parole. Et si tu n’es pas content ; saute et calle en l’air !


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