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Thésard… Paie ta vie

Publié le 05 juillet 2008 par Denirupella

Le thésard, ce petit rigolo à lunettes qui passe son temps à glander et à se plaindre, vous connaissez? Alors j’en remets une couche, parmi tous les posts de thésards épuisés par des journées de travail aux conditions psychologiques éprouvantes, je me place et ajoute ma pierre à l’édifice.

Pour commencer, un petit article de Clarisse Buono, docteur en sociologie et chercheuse à l’EHESS-CNRS, paru dans Libé (reproduit ici, au cas où le lien serait amené à mourir). Une image concise de la vie d’un thésard, et, pour commencer, un constat qui s’impose, l’absence de reconnaissance d’un statut difficile à assumer et qui tend à se paupériser: de nos jours, “le quotidien de nombreux jeunes chercheurs de nos jours tient du sacerdoce”.

Pour une illustration du sujet, ce témoignage du blog Décalé est plein de réalisme:

les années de thèses sont des années très difficiles pour le thésards mais aussi pour son entourage. En effet, (i) le thésard n’a souvent qu’un seul sujet de prédilection, son sujet de thèse ; (ii) le thésard est souvent la petite main de son (ses) directeur(s) sans être considéré comme beaucoup plus ; (iii) le thésard a souvent des sautes d’humeur, envie de tout arrêter car trois ans (pour les plus chanceux) sur le même sujet c’est long. Une maître de conférence me disait qu’en quinze ans, elle en avait vu des thésards et bien pas un n’avait atteint le titre de docteur sans pleurer au moins une fois à chaude larmes.

Ce n’est pas tout, mais, avant de continuer, dans quelles conditions devient-on thésard ? Le parcours qui nous y mène est difficile : chaque examen est péremptoire, peut faire basculer votre scolarité en cauchemar, une mauvaise nuit, un trou de mémoire, une maladie et c’est tout un pan de votre vie qui perd son sens; la pression psychologique est énorme. Remarquons aussi qu’il n’y a pas de condition de l’étudiant, celui qui arrive au niveau de la thèse aura forcément rencontré des conditions de travail impossibles à exiger envers un employé: travail à terminer qui exige au moins 60 heures de travail dans ce qu’il reste de semaine, travail acharné le week-end, arbitraire des notations, présence obligatoire malgré une maladie qui peut être plus ou moins grave (cela n’a pas d’importance, la machine EN ne peut juger de la pertinence d’un éventuel arrêt maladie), aucune considération d’ordre psychologique (sauf de la part des professeurs les plus attentifs) dans des situations de dépression aggravées par un manque de ressource important, l’éloignement du milieu familiale, l’absence d’alternative à des moments de découragement total, le placement de courts à des horaires indus (un à huit heures, l’autre à 19h, avec un beau trou au milieu, alors que vous vous trouvez à des dizaines de kilomètres de chez vous, avec un budget des plus serrés) et j’en passe…

Bref, après un parcours du combattant (de 5 ans minimum tout de même) dont le futur thésard se sort avec succès, on lui propose (enfin!) de passer aux choses sérieuses: la thèse. Et là, en plus des désagréments cités ci-dessus, c’est la pauvreté (spécialité française en ce qui concerne les thésards) comme le décrit si bien Clarisse Buono dans l’article sus-cité. Pendant les trois prochaines années au moins. La dépression chez les thésards est à peu près générale (pas en permanence bien sûr, mais parcourir les blogs de doctorants donne une bonne image de leur désespoir -le mot n’est pas trop fort).

Alors après tout ça, on est docteur. La classe… Dans certains pays bien entendu, parce qu’ en France le docteur est un parasite: loin des cultures anglo-saxonnes où il s’arrache à prix d’or, les débouchés qui s’offrent à lui sont nuls en France (11% de chômeurs parmi ses semblables). La recherche? Le constat de Clarisse Bruno est sans appel:

si toutefois il a résisté à ce rythme, le thésard (déjà âgé de 28 ans, pour les plus jeunes) devient docteur et se retrouve à postuler au milieu de 300 autres pour obtenir LE poste offert au CNRS.

Le marché du travail? Tout aussi peu, car, pour reprendre le blog Décalé :

le titre de docteur n’a pas beaucoup de valeur en France. Dans l’industrie (sauf peut-être dans la recherche industrielle), vous êtes considéré comme quelqu’un qui n’a pas osé rentrer sur le marché du travail, qui n’est pas en phase avec ce qu’on attend d’un employé…

Que du bonheur…

En définitive, la conclusion est unanime

Après une dizaine d’années de parcours de combattant universitaire, notre tout jeune docteur n’a plus qu’une solution : partir à l’étranger ou se reconvertir.

Pourquoi faire une thèse alors ? Il y a beaucoup de choses, dont l’inertie du parcours universitaire, l’absence d’information sur ce qui attend l’étudiant, et, pour redorer le tableau, la passion, les rencontres et, plus généralement, “une satisfaction intellectuelle difficile à trouver ailleurs”. C’est en tout les cas ce qui m’a conduit à préparer ma thèse, en espérant tenir bon, malgré, après six mois et des moments très difficiles, un doute toujours présent sur ce qui se passera durant ces trois ans et, surtout, après…

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