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Cannes Classics : quatre fois l’Afrique

Publié le 07 mai 2018 par Africultures @africultures

Le festival de Cannes présente chaque année une série de films récemment restaurés, qui ont marqué l’Histoire du cinéma. Cette section Cannes Classics comporte cette année trois films sénégalais et un égyptien.

Cannes Classics : quatre fois l’Afrique
Amadou Hampaté Bâ disait : « Pour dire ton histoire, il n’y a que ta parole, la parole d’autrui n’est pas ta parole ». C’est dans cet esprit que les premiers cinéastes africains se sont emparés de la caméra. Mais le cinéma n’est pas que parole. « Dans « Fad’jal« , le griot pose le pied droit d’abord car le gauche porte malheur », me disait Safi Faye dans une interview à Cannes, alors qu’elle y présentait « Mossane » en 1997. « Je ne pouvais me fier qu’à la tradition orale, transmise de génération en génération et patrimoine des acteurs du présent », ajoutait-elle. Pionnière des femmes cinéastes, elle avait enseigné au Sénégal pendant sept ans avant d’aller étudier l’ethnologie à l’Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris où elle écrit une thèse de doctorat sur la religion des Sérères. Puis elle étudie le cinéma à l’Ecole Louis Lumière. Forte de ces deux compétences, cette fille d’agriculteur née à Fad’jal se met à l’écoute des habitants de son village sérère natal : « C’est l’Histoire retenue (en embellissant sans doute un peu les choses…) qu’interprètent les habitants actuels de Fad’jal ». Ils témoignent, avec la parole des anciens transmise par la tradition orale, de l’histoire du village et des difficultés qu’ils ont aujourd’hui à exploiter leur terre. Le film d’une durée de 1h48 est sélectionné à Cannes en 1979 (Un certain regard). Et sera à nouveau présenté cette année le 16 mai en présence de la réalisatrice, dans une version restaurée numérique en 2K à partir des négatifs 16mm par les services du Centre national de la Cinématographie dans son laboratoire de Bois d’Arcy près de Paris. Le CNC a choisi de restaurer Fad’jal car c’est le premier film de long métrage réalisé par une femme africaine. « Après avoir travaillé pendant dix ans à la restitution des films de Jean Rouch, il paraissait important, indique le CNC, de s’attacher à la production de ceux qui, encouragés par le réalisateur-ethnographe, sont eux aussi passé à la caméra pour offrir leur propre regard sur le continent africain. Le film de Safi Faye laisse à la caméra le temps de saisir la subtilité des rapports des hommes à leur environnement et à leurs traditions et révèle en cinéaste et en ethnologue l’univers qui fut celui de son enfance. »

Cannes Classics : quatre fois l’Afrique
Réalisé en 1963 et présenté au Festival de Cannes en 1964, « Lamb (La Lutte sénégalaise)«  de Paulin Soumanou Vieyra (18 min) sera également à Cannes Classics, présenté par la Cinémathèque Afrique de l’Institut français et Stéphane Vieyra, le fils du réalisateur. Il avait déjà présenté au Pavillon des Cinémas du monde en 2014 une version HD réalisée avec le soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie mais c’est cette fois une version numérisée en 2K à partir des négatifs 35mm réalisée par les laboratoires Eclair qui sera projetée. Premier africain diplômé de l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec), Paulin Vieyra était également critique et historien du cinéma, à l’origine de la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI) en 1969. Il avait coréalisé en 1955 « Afrique-sur-Seine », film culte qui marque les débuts du cinéma africain. Lamb présente les règles de la lutte traditionnelle, l’entraînement en bord de mer, les défis festifs que sont les combats.

Cannes Classics : quatre fois l’Afrique
Initiative de son coproducteur de l’époque, Pierre-Alain Meier (Thelma Film AG), la restauration à l’automne 2017, avec le soutien de la Cinémathèque Suisse, par les laboratoires Eclair de « Hyènes » (1h50) de Djibril Diop Mambety est une bonne nouvelle. Il fallut scanner le négatif original, et opérer le nettoyage et la correction colorimétrique en 2K. « Hyènes est le film de ma vie », dit-il : « j’ai tout appris de cette production exaltante et difficile ». Le film avait été présenté en compétition officielle en 1992. Son esthétique décalée sur la musique de Wasis Diop avait fasciné le public et la critique. Adapté de « La Visite de la vieille dame », une pièce du Suisse Friedrich Dürrenmatt, Hyènes raconte le calvaire de l’épicier de Colobane, lorsque celle qu’il avait rejetée autrefois revient « plus riche que la banque mondiale » pour se venger. Lorsque le cercle des habitants de son village se resserre sur des chants funèbres autour de Draman Drameh car la Reine de la mort, Lingeer Ramatou, leur a proposé 100 milliards en échange de sa vie, c’est toute la cupidité de ces hyènes que sont devenus les hommes qui nous apparaît au grand jour. « Je ne vois aucune distance entre Friedrich Dürrenmatt et moi ; la seule distance, c’est l’âge. Nous avons quelque chose en commun : c’est l’inquiétude, plus que l’inquiétude, la dérision. Nous avons même quelque chose de plus que la dérision : la certitude que nous n’en sortirons pas vivants et que la vie est ainsi », disait magnifiquement Djibril Diop Mambety.

Cannes Classics : quatre fois l’Afrique
Seul autre pays africain mis à l’honneur par Cannes Classics cette année, l’Egypte avec « El Massir (Le Destin)«  de Youssef Chahine (1997, 2h15). Il sera présenté en avant-première de la rétrospective intégrale à la Cinémathèque française en octobre 2018. Le film avait reçu le prix du 50ème anniversaire à Cannes en 1997. Restauré en 4K au laboratoire Éclair, il sera projeté en plein air au Cinéma de la Plage. « Le Destin » est un film magistral contre l’intégrisme et l’intolérance. Situé au 12° siècle en Andalousie arabe, c’est un tourbillon épique foisonnant d’allusions au temps présent comme à l’Histoire, une révolte contre l’obscurantisme, un bouillonnement où Chahine est au plus fort de son style, alliant souffle hollywoodien (où il a étudié) et grouillement humain de ses sources : l’âge d’or du cinéma populaire égyptien alliant comédies musicales et mélos sociaux. (cf. critique n°429)


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