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Interview : Kid Creole & Guido Minisky

Publié le 05 juillet 2008 par Laurent Gilot @metalincmag
Propos recueillis par Laurent Gilot
Photo : DR
Dans les années 70 et 80, August Darnell a inventé le mélange parfait entre jazz, funk et musiques des Caraïbes. Les groupes qu’il a créés (Dr. Buzzard’s Original Savannah Band, Kid Creole And The Coconuts) s’inscrivaient dans une tradition new yorkais de mixité des genres avec pour seule finalité : la danse. Aujourd’hui, le DJ parisien Guido Minisky réunit sur CD quelques perles de cette époque légendaire. Entretien croisé.
Avec la sortie de la compilation du label Strut, Kid Creole "Going Places – The August Darnell Years 1974 – 1983", quel regard portes-tu aujourd’hui sur ton parcours musical ?
August Darnell : Lorsque tu te penches sur la scène de la fin des années 70 et du début des années 80, tu trouves un sens à cette musique et tu comprends pourquoi tout cela est arrivé. Les années 70 ont été un tournant pour moi dans ma vie. En 1976, j’ai connu mon premier succès avec mon groupe de l’époque D.B.O.S.B.. C’était une année importante car nous avons eu notre premier hit single : "Cherchez la femme". Nous vivions à New York et nous avions vraiment franchi une étape importante en étant enfin reconnus dans le business de la musique. Au début des années 80, je continuais à vivre sur le succès de Savannah. Puis, en 81, j’ai monté le projet Kid Creole And The Coconuts et le succès était à nouveau au rendez-vous. En fait, chaque décennie a son tournant, cette étape décisive qui fait que l’on bascule dans une autre époque. Dans les années 70, j’étais enseignant en Anglais et j’avais quitté mon job car je voulais réussir dans la musique. Quand tu décides de te lancer dans ce monde fou, il n’y a pas de garanties et, pour moi, il était impossible de faire machine arrière. Je suis alors passé d’une vie bien rangée à une vie de bohémien.
Comment as-tu vécu l’explosion du disco ?
A.D. : C’était un moment incroyable car, d’un seul coup, tout tournait autour de la dance music. C’est ce qui m’a nourri à travers le projet Savannah, avec mon frère, puis Kid Creole. On a qualifié notre musique de disco, reggae, pop, R’n’B, world mais la seule étiquette qui convient est celle de "dance music".
Comment l’idée d’une telle compilation est née ?
A.D. : C’est Guido qui en a eu l’idée !
Guido Minisky : En fait, j’avais enregistré un mix de DJ de mes morceaux préférés de cette période musicale. Le boss du label anglais Strut l’a entendu et il m’a demandé si je pouvais concevoir une compilation à partir de cette matière première.
A.D. : Je n’aurais jamais eu l’idée de ce concept. En tant que compositeur, j’ai souvent eu envie de me replonger dans tous les morceaux obscurs de cette période mais je suis toujours plus intéressé par le fait d’écrire de nouveaux morceaux. Néanmoins, je pense que cette compilation devait être faite.
August, quelles sensations as-tu éprouvées à l’écoute de ce CD ?
A.D. : La première fois que je l’ai entendu, j’étais fasciné car je n’avais pas réécouté certains titres depuis 25 ans. C’était une période musicale très créative ! Plein de souvenirs sont remontés à la surface. Ce qu’il y a d’intéressant par rapport au travail de Guido, c’est qu’il a réuni des titres du Kid Creole des débuts, ceux que l’on ne retrouve pas sur les compilations officielles du groupe. Souvent les gens ne sont intéressés que par les chansons qui ont été des succès… Là, ils vont pouvoir découvrir ce qui s’est passé dans les premières années d’existence de Kid Creole. Et puis, il y a beaucoup de morceaux obscurs de qualité qui n’ont pas eu le coup de projecteur nécessaire à l’époque. Cela permet de réhabiliter beaucoup de musiciens et de producteurs. Cette musique a été produite dans des endroits différents mais l’esprit de New York l’habite vraiment…
D’après-vous, où le disco est-il né ? Il y a plusieurs versions comme celle qui veut que la France soit son pays d’origine…
G.M. : Pour moi, c’est à Philadelphie avec le Philly sound…
A.D. : En fait, je me fiche complètement de savoir où le disco est né car c’est une musique qui existait déjà bien avant qu’on lui colle l’étiquette de "disco". Lorsque James Brown a créé la danse music des années 60, pour moi, c’était du disco avant l’heure. Après, l’appellation est une question de marketing pour vendre encore plus de disques. La dance music existe depuis longtemps, depuis les big bands des années 30 comme Cab Galloway, Glenn Miller… Tu ne louais pas ces groupes pour les écouter mais pour danser sur leur musique. Depuis, toujours, il y a eu une connexion entre l’Europe et les Etats-Unis, quel que soit le mouvement artistique. En fait, notre pays n’a fait que synthétiser les courants musicaux qui venaient de différentes villes européens. Puis, certaines de ses musiques ont été apportées par les esclaves noirs. Par la suite, il y a eu quelques tensions entre les deux continents comme, par exemple, lorsque les Stones ou les Beatles ont rencontrés un succès énorme aux States. Certains américains n’aimaient pas le fait que les européens arrivent à New York avec des idées nouvelles… Mais il y a toujours eu des liens solides entre les deux continents et, en particulier, avec la France. Ce qu’il y a de drôle, c’est que Kid Creole est plus connu en Europe qu’aux Etats-Unis. Je me souviens de la fois où nous avions effectué une tournée triomphale en Europe. Nous roulions en Limousine, les fans nous poursuivaient… Quand nous sommes revenus à New York, personne ne nous attendait à l’aéroport Kennedy ! Il y avait un tel décalage entre l’Europe et les Etats-Unis que cela semblait absurde (rires).
Comment expliquez-vous la fascination actuelle pour cette période musicale ?
G. M. : Il y a comme un chaînon manquant entre l’époque de "Going Places" et les années 2000 où cette musique a complètement été digérée. Il y a beaucoup de musiciens new yorkais qui ont redécouvert cette période musicale avec fascination, que ce soit James Murphy ou d’autres. Certains groupes et morceaux ont la côte auprès de Djs connaisseurs, c’est pour cela qu’une telle compilation justifie son existence.
A.D. : C’est assez étrange car on se demande toujours pourquoi les gens reviennent à des périodes musicales bien précises. Le disco n’est jamais mort pour plein de raisons… Les gens aiment encore entendre "YMCA" de Village People ou "I Will Survive" de Gloria Gaynor. Mais, ce qui fait qu’un morceau est éternel n’est souvent pas dû au fait que ce soit une bonne chanson, ou que le rythme soit efficace, c’est quelque chose de plus profond que cela. Le revival pour la période des années 70/80 a quelque chose d’irrationnel. Néanmoins, la plupart des morceaux réunis sur ce CD étaient, pour certains, très en avance sur leur temps avec cette façon de combiner différents styles de musiques et sonorités. Aujourd’hui, c’est devenu banal de puiser dans des cultures musicales traditionnelles pour produire de la pop music accessible à tous.
G.M. : Ce genre de compilation est une sorte de personnification de New York. Aujourd’hui, la ville est le centre de toutes les attentions au niveau musical…
A.D. : C’est vrai que c’est une chose à laquelle je ne pense pas car je vis dans cette ville et je n’ai donc pas la même image de ce qu’elle représente pour le reste du monde. Mais, au moment où nous enregistrions dans notre petit studio de Manhattan, nous ne pensions pas que notre musique toucherait le monde entier. Notre ego n’était pas assez large pour imaginer cela ! (rires).
"Going Places" est une vraie capsule temporelle…
A.D. : C’est cela et, en même temps, il y a l’état d’esprit de l’époque qui voulait que les gens ne se prennent pas au sérieux et, en particulier, nous, dans Kid Creole. C’est ce qui me manque le plus de cette époque, le fun.
Peut-on parler de la réalisation "technique" de cette compilation ?
G.M. : La plupart des disques qui se trouvent sur ce CD sont issus de ma propre collection. En fait, j’ai transporté mes vinyles avec moi en Angleterre. Le label les a alors donnés à un studio qui les a nettoyés pour ensuite les enregistrer sur un support numérique destiné au pressage CD.
A.D. : Guido m’a envoyé un sampler de ce qu’il était en train de mettre en place et j’ai approuvé.
Qu’en est-il de Kid Creole en 2008 ?
A.D. : Les membres originels ne sont plus là mais le concept n’a pas changé, j’ai trouvé de nouvelles "coconuts" et nous continuons à donner des concerts. C’est un projet qui ne s’arrêtera jamais, pas tant que je serai en vie (rires).
Kid Creole "Going Places – The August Darnell Years 1974 – 1983" (Strut/ !K7/Pias)
www.kidcreole.com
www.myspace.com/guidal
Kid Creole & The Coconuts, Endicott, 1985

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