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Comment une attaque informationnelle oblige un groupe à modifier son mode de fonctionnement

Publié le 24 mai 2018 par Infoguerre

Comment une attaque informationnelle oblige un groupe à modifier son mode de fonctionnement

En octobre 2016, la publication de trois enquêtes communes de Danwatch, du quotidien Politiken et de la chaîne TV 2 Danemark, met le groupe Maersk sous le feu des projecteurs pour ses politiques et pratiques de démantèlement de ses vieux vaisseaux maritimes. En effet, après 30 ans de bons et loyaux services, ses navires sont envoyés sur des chantiers à ciel ouvert afin d’être réduits en pièces. Les conditions environnementales, de sécurité ou de protection, notamment pour les travailleurs employés sur ces lieux, sont largement soumises à controverse.

Le business à bas coût du démantèlement des navires

Le processus par lequel un navire ou bâtiment naval en fin de vie est recyclé peut être nommé démolition navale. Cette étape consiste à en récupérer, par le biais de son « démontage », les différents matériaux et composants afin d’en tirer un avantage économique certain et, dans une autre mesure, écologique. Les lieux à ciel ouvert où ce procédé est mené à bien portent souvent le sobriquet de « cimetière de bateaux ». Les plus grands et connus d’entre eux se trouvent souvent dans des pays en développement. Les sites de Chittagong au Bangladesh et d’Alang en Inde (connu pour la controverse en lien avec la tentative de désamiantage du porte-avions Clémenceau en 2005) méritent notamment d’être cités. Dans ces deux endroits, les conditions de travail et de sécurité sont très souvent en deçà des directives établies au niveau international. De ce fait, les contractions de maladies dues à l’exposition à des substances toxiques, telles que le mercure et l’amiante, ainsi que des accidents mortels, conséquents à la chute de morceaux de métal ou d’explosions ne sont pas marginaux. Les fuites de liquides (hydrocarbures en particulier) ou de potentiels résidus naturellement radioactifs contribuent aussi à une pollution de l’environnement, ainsi que des océans environnants. L’Organisation internationale du travail (OIT) définit les activités en lien avec la démolition navale comme étant un des emplois le plus dangereux du monde, causant chaque année la mort et la mutilation de nombreuses personnes. En 2016, au moins deux accidents mortels ont été reportés à Alang et plus de 20 à Chittagong. Cependant, le processus de démolition navale ne devrait pas s’apparenter au Far-West. En effet, deux conventions se veulent régulatrices de cette pratique. Il s’agit de la Convention internationale de Hong Kong pour le recyclage sûr et écologiquement rationnel des navires (Initiative de l’organisation maritime internationale OMI, organisme spécialisé des Nations Unies, chargée d’assurer la sécurité et la sûreté des transports maritimes et de prévenir la pollution des mers par les navires – le Danemark est membre de cette organisation depuis 1959) et la Convention de Bâle (dont l’objectif est de contrôler, au niveau international, la circulation et l’élimination des déchets dangereux et notamment d’éviter le transfert de ceux-ci d’un pays développé vers les pays en développement).

Maersk pointé du doigt

L’image de la firme A.P. Møller-Maersk Group, surtout connue sous le nom de Maersk, est affectée par cette polémique sur le démantèlement des navires. L’affaire n’est pas anodine car elle porte atteinte au prestige de la plus grande entreprise du Danemark. Rappelons qu’elle est aussi, depuis 1996, le plus important armateur* de porte-conteneurs au niveau mondial. Déjà en 2014, le géant danois s’était fait remarquer pour des pratiques éthiquement problématiques. Fin 2016, les révélations amenées par les enquêtes de Danwatch ont confirmé et mis en évidence que les entreprises utilisées par Maersk sur les sites d’Alang (particulièrement par Shree Ram) et de Chittagong sont, malgré les dires du géant danois, loin de remplir les minimaux énoncés dans la Convention de Hong-Kong en ce qui concerne les équipements de protection du personnel (casque, masque et lunettes, gants et chaussures, équipement respiratoire, protection d’ouïes, protection contre la contamination radioactive, dispositif antichute, habits appropriés). Les travailleurs n’ayant pas forcément de contrats, ils rechignent souvent à arrêter de travailler, même quand les conditions sont inadéquates, afin de pouvoir subvenir aux besoins de leur famille. Il semblerait que Maersk utilise les « standards de travail de certains sites » comme publicité, afin de démontrer que le démantèlement est un travail agréable et bien encadré. En réalité, ces normes sont bien loin d’être atteintes et mettent en danger la santé des personnes travaillant sur ces chantiers. Selon Poul Hauch Fenger, un avocat danois interrogé par Damwatch, Maersk pourrait ne pas être responsable aux yeux de la loi, mais responsable au regard des conventions et lignes directrices internationales. Selon CPH Post Online, entre 2013 et 2014, ce sont 14 navires de la compagnie qui ont été démantelés sur les chantiers à ciel ouvert de l’Inde et du Bangladesh. Maersk avait, à l’époque, commissionné la firme allemande MPC Capital afin de pouvoir, après la récupération de l’acier de ses bateaux, en tirer le meilleur prix sur le marché.

La réaction du géant danois

D’après une interview accordée à Danwatch, lors de leurs enquêtes de 2016, le conglomérat danois concède qu’un besoin d’amélioration des conditions sécuritaires des travailleurs est nécessaire, surtout en ce qui concerne leur équipement de travail. Selon ses déclarations, il aurait négligé ses obligations de respecter les prescriptions édictées par les Nations Unies. Dans un communiqué de presse datant du 23 novembre 2016, Maersk dit soutenir un recyclage responsable des navires, en prenant pour exemple le chantier Shree Ram. Un mois plus tôt, en octobre de la même année, Reuters avait rapporté que la collaboration avec Shree Ram et l’envoi de navires avait été effectuée tout en reconnaissant que les standards de l’entreprise indienne n’étaient pas encore au niveau de ceux attendus par la firme danoise. Suite aux diverses révélations, Maersk a dès lors introduit une nouvelle règle pour la vente et le démantèlement de ses navires. Une pesée des intérêts est effectuée entre les avantages nets de la mise au rebut et de la continuité de l’exploitation du navire. Dans le cas où le gain d’exploitation est inférieur à 25% de la valeur de revente de la ferraille, le navire ne sera plus vendu à une entreprise tierce mais envoyé en démantèlement par Maersk, qui en assumera la responsabilité conformément aux règles de l’entreprise. En octobre 2017, des voix s’élèvent déjà pour suggérer que les bonnes résolutions prises par Maersk sont contournées par la revente des bateaux à un intermédiaire qui s’empresse de les immatriculer sous un pavillon de complaisance dans des pays exotiques, tels que les Comores ou le Palau, et de les envoyer se faire démonter sur les plages indiennes et bangladeshis. Reste maintenant à savoir si cette pratique laissera Maersk en dehors de la polémique ou l’attirera, de nouveau, sous le feu des projecteurs.

L. Nicollier

*La compagnie dispose de la plus grande flotte du monde, composée de 1595 vaisseaux et plateformes pétrolières. Ses principales composantes sont : Maersk Line (porte-conteneurs), Maersk Tanker (pétroliers, transporteurs de gaz et de GLN), Maersk Drilling (plateformes pétrolières), Svitzer (remorquage et opération de sauvetage), Maersk Supply Service (service logistique dans l’exploitation off-shore).

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