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4 De Nuremberg à Venise

Publié le 30 mai 2018 par Albrecht

Un chemin en pointillés relie peut être le retable perdu de Campin, via un dessin peu connu de Dürer, à une oeuvre majeure du Tintoret…


Wolgemut, Michael Die Kreuzabnahme 1490, St Lorenzkirche, Nuremberg

Michael Wolgemut, Déposition, 1490, St Lorenzkirche, Nuremberg

Dans les dix tomes du monumental « Deutsche Malerei der Gotik »d’Alfred Stange, on ne trouve que ce seul exemple de la formule étrange « tronc-poutre-poutre ». Hormis la disposition des croix, la « Déposition » de Wolgemut ne s’inspire guère de celle de Campin, ni pour la posture des larrons ni pour la répartition des personnages. Il s’agit donc soit d’une influence lointaine, soit d’une réinvention pour servir la même idée de comparaison des deux Eres.

En effet, la croix centrale, immense, vide et quasi géométrique, échappe à toute comparaison avec les croix modestes des larrons : elle impose une lecture binaire, à droite les Juifs avec Jérusalem dans la plaine (le Passé), à gauche le Christ mort entouré des Saints personnages, avec au fond la colline de la Mise au tombeau (le Futur).

Du coup, dans le contexte germanique de valorisation du bois naturel, l’opposition croix-tronc /croix-poutre pourrait se lire comme un retour à la Vérité et à l’Humilité : échappant au bois anguleux mis au carré par la Loi des Juifs, le Bon larron bénéficie d’un bois blanc, neuf et doux, tel que Dieu le fait pousser dans les forêts.

Albrecht Durer, Calvary 1505. Drawing,Florence, Galleria degli Uffizi
Le Calvaire
Albrecht Dürer, 1505, Galerie des Offices, Florence

L’idée de Wolgemut aurait pu passer inaperçue , si son élève le plus célèbre, Dürer, ne l’avait reprise dans un dessin en grisaille extrêmement élaboré, réalisé lorsqu’il était à Venise. S’y est il souvenu de la Déposition de son maître, encore accrochée de nos jours dans l’église Saint Laurent de Nuremberg ?

SK-A-4921
Le Calvaire
Pseudo Jan Wellens de Cock, Leiden, vers 1520, Rijksmuseum, Amsterdam

Le dessin a été recopié assez fidèlement, 15 ans plus tard, pour ce grand tableau qui présente plusieurs originalités iconographiques dont la plupart sont dues à Dürer (pour la description d’ensemble et le détail du crâne de cheval, voir 3 : en terre chrétienne ).

Albrecht Durer, Calvary 1505. Drawing,Florence, Galleria degli Uffizi dteail croix Le Calvaire Pseudo Jan Wellens de Cock, Leiden, vers 1520, Rijksmuseum, Amsterdam Deux croixJPG

Les trois croix apparaissent une première fois au premier plan, avant la Crucifixion : la croix du Mauvais Larron, inclinée, est de type tronc ; celle du mauvais Larron, tenu verticale par un géant Noir (impossible à identifier dans le dessin de Dürer), est faite de deux troncs de bouleau assemblés.

Le Calvaire Pseudo Jan Wellens de Cock, Leiden, vers 1520, Rijksmuseum, Amsterdam Deux Larrons
Les croix se présentent dans le même ordre que les deux larrons qui attendent leur sort. Le traitement du Bon est nettement privilégié : il n’a pas de cordes autour du torse, un soldat lui tend du vin pour apaiser ses souffrances et il arbore la barbe blanche et le crâne chauve d’un sage vieillard, par opposition à son voisin hirsute.

Albrecht Durer, Calvary 1505. Drawing,Florence, Galleria degli Uffizi dteail bon larron Le Calvaire Pseudo Jan Wellens de Cock, Leiden, vers 1520, Rijksmuseum, Amsterdam Bon larron grand

A l’arrière-plan, on retrouve la croix-tronc du Bon Larron : le Pseudo de Cock a commis une petite erreur en le représentant chevelu, et lui a attaché les mains, alors que chez Dürer elles semblent cloués.


Jan Brueghel l'ancien 1604 Calvary_Offices Florence
Calvaire
Jan Brueghel l’Ancien, 1604, Offices, Florence

En recopiant le dessin de Dürer un siècle plus tard, Jan Brueghel l’Ancien laissera tomber les singularités médiévales que le Pseudo de Cock avait accentuées : la croix-tronc du Bon Larron et le géant Noir qui la brandit.

Un Noir Au Golgotha

Le Calvaire Pseudo Jan Wellens de Cock, Leiden, vers 1520, Rijksmuseum, Amsterdam Bourreau noir

A ses chausses rayées, on reconnaît un bourreau.

Couronnement d'Epines, Heures de Homoet, Cologne, 1475, Wallraf-Richartz Museum MS 232 p 102
Couronnement d’Epines, Heures de Homoet, Cologne, 1475, Wallraf-Richartz Museum MS 232 p 102

Quoique très rare, la présence de Noirs dans les scènes de la Passion est explicable : la couleur de la peau, associé souvent aux Démons, s’ajoute aux couleurs et motifs voyants des vêtements pour désigner cette figure repoussante entre toutes de l’exécuteur des hautes oeuvres.

Simon Marmion 1470s Crucifixion Philadelphie, Museum of ArtCrucifixion, Simon Marmion, vers 1470 Philadelphie, Museum of Art Master of the Virgo inter Virgines, active c.1480-1500; CrucifixionMaster of the Virgo inter virgines, vers 1490, The Bowes Museum, Barnard Castle

Avec les Grandes découvertes, la figure du Noir perd son aspect diabolique et prend un caractère de curiosité orientale : c’est ainsi qu’on le retrouve à gauche parmi les soldats d’Hérode, et à droite dans le rôle (cruel) de Stéphaton, le porteur d’éponge.

Une résurgence inattendue ?

crucifixion-Tintoret 1565 Scuola Grande di San Rocco, Venice

Crucifixion
Tintoret, 1565. Scuola Grande di San Rocco, Venise

Il ne faut pas voir des influences partout, mas puisque le dessin de Dürer a été réalisé à Venise…

crucifixion-Tintoret 1565 Scuola Grande di San Rocco, Venice Mauvais Larron

La Mauvais larron attend d’être cloué sur une croix-poutre, dans laquelle un avant-trou est foré.

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Le Bon Larron est attaché sur une croix-tronc, qu’un grand Noir hisse de toutes ses forces.


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