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Reset de Ricardo Ozier-Lafontaine

Publié le 27 mai 2018 par Aicasc @aica_sc
Reset de Ricardo Ozier-Lafontaine

1. Exposition RESET, en cours d’accrochage

Reset de Ricardo Ozier-Lafontaine, visible  à la Fondation Clément jusqu’au 18 juillet prochain, est le fruit de plus de cinq années de travail. Depuis  2013 il dessine au marqueur noir sur papier blanc des petits signes qui s’enroulent les uns sur les autres, formant un enchevêtrement de formes plutôt organiques. En mars de 2014 trois toiles et plusieurs boules de  polystyrène entièrement recouvertes de petits dessins en noir et blanc, occupaient discrètement un des côtés de la salle d’exposition dédiée surtout à une autre série, nettement plus colorée.

Reset de Ricardo Ozier-Lafontaine

2. Esphères noir et blanc , 2014 . Photo JB Barret

Pour revoir ces travaux en noir et blanc je visitais son atelier quelques mois plus tard. J’y découvrais un travail passionnant, qui avait déjà énormément évolué et pour cause. Ricardo est un acharné du travail. Méticuleux, obsessif, perfectionniste. Et pourtant, ces dessins et toiles étaient fruits d’un travail en dessin automatique, pendant lequel l’artiste se laissait porter par ses propres gestes non-prémédités, dans une sorte de transe artistique.

C’étaient les premiers essais de ce qui allait devenir par la suite la Topographie de l’en-dedans, série montrée en 2016 au Tropiques-Atrium, avec commissariat de Dominique Brebion, présidente de l’AICA-SC.

Reset de Ricardo Ozier-Lafontaine

3. Série Topographie d’en-dedans vu du dedans, sans titre 060. 2015

Dès ma toute première visite à son atelier, j’étais impressionnée par des dessins et toiles aux surfaces occupées à exhaustion par une foisonnante répétition du même ; qui n’était jamais entièrement le même d’ailleurs. Je suis souvent attirée par les répétitions, les détails ; par la manière dont  la nature fabrique de la diversité avec de l’identique. Ces œuvres me faisaient penser à la réplication des gênes, là où le même créé inlassablement l’autre. C’est pourquoi on baptisera plus tard  cette première série  Le vivant. Par son occupation extensive et désordonnée de la surface de la toile, cette série peut rappeler aussi les toiles all-over de Pollock (liées au chamanisme, qui en quelque sorte informe également le travail de Ricardo).

Reset de Ricardo Ozier-Lafontaine

4. Série Le Vivant, sans titre 1 et 2, acrylique sur toile, 200 x 200 cm chacune , 2015. En cours d’accrochage

J’étais fascinée aussi par la dramaticité du noir et blanc chez Ricardo, qui me rappelait certains dessins d’Habdaphai, au pastel ou feutre noir ou au charbon et plus particulièrement ceux de la série du territoire/des migrants. Dans les dessins en noir et blanc de ces deux artistes, j’aime le refus de se laisser enfermer dans l’exotisme coloré, généralement attendu des artistes caribéens.

Par des petites altérations, Ricardo dérive de série en série et de l’ensemble des séries se dégage avec évidence une sorte de récit.  L’artiste dit souvent qu’il cherchait à se débarrasser de certaines influences, y compris de l’archéologie et des signes amérindiens. Pourtant en laissant émerger l’inconscient, les signes sont revenus.  Non pas sous la forme d’une  reproduction de motifs, mais transformés, remixés. Sous la forme d’une cosmogonie, puisée surement dans une mémoire plus profonde.  Ces  nouvelles œuvres évoquent la tension permanente et fondatrice entre le chaos et l’ordre, propres aux récits de création du monde. Elles me font penser aussi à l’entropie, à la façon comme l’impermanence de l’ordre est nécessaire et intrinsèque au récit.

Reset de Ricardo Ozier-Lafontaine

5. Série les signes, sans titre 3 et 2, acrylique sur toile, 150 x 200 cm chacune, 2017 en cours d’accrochage

Ce chaos apparent donne lieu à des organisations plus ou moins structurées, formant les séries  des signes et des villes. Les signes sont une série ‘intermédiaire’ : des formes structurées comme un langage, faisant le lien entre le vivant et les villes. Ce sont des formes à partir  desquelles l’artiste créera plus tard les Intercesseurs, dont le titre est lié aux intermédiaires entre le visible et l’invisible. Sur les dessins et toiles de la série des villes d’innombrables petits points forment des contours, organisent l’espace par des points d’accès et de circulation. Ces villes sont à tel point organiques que les routes deviennent cordon ombilical,  reliant l’embryon-ville à quelque chose que l’on ne voit pas.

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6. Série Les villes, sans titre, 18 pièces, acrylique sur papier, dimensions variables, 2017-2018

Cette série particulièrement me fait penser au Rêve aborigène. Dans leurs géographies mythiques,  des réseaux intensément imbriqués, incluant tout ce qu’un certain espace comporte, y compris les humains et leurs relations interpersonnelles constitue une mémoire sacrée portée par l’artiste, qui, en les dessinant, les soigne en même temps.  Le parallèle est intéressant.  Les œuvres de Ricardo sont comme des corps (biologiques, sociaux, inventés, universels, peut-être le corps-même de l’artiste) ouverts par l’artiste, afin de procéder à leur (ou à sa propre) régénération.  Cela fait du sens quand on sait que Ricardo travaille par ailleurs avec l’enfance en danger. En explorant son inconscient dans sa pratique artistique, il rejoint sa pratique sociale : une recherche de guérison ou réparation des individus, mais aussi du tissu social.

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7. série Le réel, sans titre 2, acrylique sur toile, 120 x 150 cm, 2017

Dans la série du réel, l’artiste revient à  l’occupation totale de la surface de la toile, sous un mode plus sombre, avec des effacements qui renforcent l’impression de désordre. A cette série appartient la toile Reset, dont le rouge fait penser à la violence de la catharsis.

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8. Reset, série Le réel, acrylique sur toile, 200 x 270 cm, 2017. Photo Vincent Gayraud

A partir de ce point, rouge comme les points qui ponctuent chacune de ses œuvres, surgissent les intercesseurs, grandes figures anthropo-zoomorphes. Ces toiles sont impressionnantes par leur taille (3,4 M de hauteur). Dans l’exposition elles sont précédées de deux Gardiens sur fond noir. Dans la salle carrée elles sont disposées en cercle au nombre de douze (huit très grandes et quatre de 2 mètres de hauteur) comme en lévitation sur un fond blanc. Au centre de la salle blanche, un banc blanc permet de s’asseoir. Cette disposition concourt à sacraliser leur espace. On aurait dit des immenses icones. Drôles, quoique légèrement menaçantes, méditatives et protectrices, elles semblent avoir ingurgité le chaos. Leur présence s’impose à nous, comme un apaisement. Il se pourrait bien qu’on ait affaire ici à une réunion de chamanes qui auraient dompté le chaos.

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9. Série Les intercesseurs, Gardien f, acrylique sur toile, 200 x 114 cm, 2016. Photo Aya N’da

L’œuvre de Ricardo résonne avec le travail de plusieurs artistes intéressés par la question du chamanisme. Il remet, bien entendu,  au surréalisme, par l’utilisation du dessin automatique, qui permet pour lui comme pour les surréalistes d’établir des ponts entre le réel et l’irréel, afin de rendre visible l’invisible. Mais aussi à Picasso, Pollock, Beuys et Marina Abramovic,  Penone,  Rebecca Belmore, Jeremy Shaw, Ernesto Neto, entre autres. Il pose la question du rôle de l’artiste et de l’art, abordée récemment par exemple en 2012 par l’exposition les maîtres du désordre au Quai Branly, confrontant anthropologie et art contemporain. Ou par la biennale de Sao Paulo de 2016, mais  aussi par le pavillon des chamanes de la biennale de Venise de 2017.  J’y reviendrai lors de ma conférence le 8 juillet dans le cadre de l’exposition Reset

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10. Série des Intercesseurs, dimensions variables, acrylique sur toile, 2016-2018. Soir du vernissage, photo Aya N’da


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