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La Chute de Sparte – Le Cheval de Trop

Par Julien Leray @Hallu_Cine

Tout va à cent à l’heure lorsqu’on est ado. Les hauts, les bas. Les satisfactions, les déceptions. La construction et la déconstruction des certitudes. Les élans amoureux, les premiers émois. Steeve Simard (Lévi Doré), en dernière année de secondaire à l’école Gaston-Miron, célèbre poète québécois, n’échappe pas non plus à cette frénésie. Sauf que pour lui, celle-ci s’exprime davantage dans les livres que dans la pratique sportive. L’assurance d’une tête bien faite dans un corps bien frêle, malheureusement pour lui. Comment diable alors plaire aux filles dont il s’entiche, populaires donc forcément jolies ? Évacuons d’emblée le délit de caricature, et tâchons pour l’heure de rester mesurés : après tout, peut-être ne sommes-nous pas le public visé.

Un sens de la mesure qui sera pourtant mis à rude preuve une bonne heure et demie durant. Sous les coups de boutoir d’un sentiment de déjà-vu constant, mais pas seulement. L’adolescence, c’est un peu comme une finale, gagnée ou ratée. Une fois passée, comme le disait Coluche, chacun a des idées sur tout, et surtout des idées, en particulier quant aux clés de l’échec ou du succès. Comment la représenter correctement, à quoi confronter les personnages pour exprimer au mieux les tourments de cette étape charnière dans la construction identitaire. Calme, révolte, extraversion, ou relatif anonymat, à chaque individu son expérience et son propre vécu. En conséquence, autant de possibilités à synthétiser pour que le spectateur puisse s’identifier, voire s’attacher. Sans aller jusqu’à faire d’un film de fiction une démonstration sociologique au-dessus de tout soupçon, l’écriture se doit de traduire la vision qu’a l’auteur de son sujet dans toute sa complexité, de clarifier a minima ses intentions pour faire émerger une proposition, par essence partielle, dont on aura alors tout le loisir de combler les manques pour mieux s’y projeter. Or pour le personnage de Steeve (tout comme pour la plupart de ses partenaires de jeu), Tristan Dubois, réalisateur de La Chute de Sparte et co-scénariste du film aux côtés de Biz, auteur lui du roman éponyme, n’a pas tranché, n’a surtout rien choisi. À l’archétype de l’adolescent marginalisé, taciturne, intelligent et chétif, Dubois et Biz ont certes apporté un lot de nuances à ne pas négliger : Steeve, selon les dires de son auteur, « va devoir affronter le réel et arrêter de juste chialer et subir. Il va devenir le pilote aux commandes de sa vie. » Mais rien ne permet d’y croire. Rien n’autorise l’abandon. Tout concourt plutôt à la désertion. Car Steeve, en devenant tout et son contraire d’une séquence à l’autre sans préavis, sans transitions, marque moins les incertitudes inhérentes à son âge qu’un manque de cohérence quant à la progression narrative du métrage. Un but improbable lors d’une partie de crosse suffira à Steeve pour que les projecteurs soient dès lors braqués sur lui. La puissance salvatrice de YouTube. Sauf que cette vision idéalisée, fantasmée, ingérée et digérée depuis des années par leurs utilisateurs, jeunes comme plus âgés, s’avère déjà datée. La figure de l’exclu devenu héros par la grâce instantanée des réseaux sociaux a vécu. Le rêve est devenu la norme, quand le risque actuel, lui, est avant tout de ne pas passer pour un zéro. À l’instar d’Elio dans Call Me by Your Name, tout pour Steeve semble aller de soi. Ce qui devrait être une épreuve, du moins porteur de conséquences dramatiques, peut-être humoristiques, bref, émotionnelles, ne l’est pas. Dans les pleurs comme dans la moquerie subie, n’émerge qu’une chose : l’absence de véritable empathie.

Alors que l’on devrait vibrer, frémir, s’attendrir ou s’agacer avec lui, Tristan Dubois et Biz en ont surtout fait un personnage difficile à aimer. Ce qui pouvait passer à l’écrit (les métaphores mythologiques ou historiques lancées par Steeve, les élans existentialistes naïfs mais pas moins ronflants) se heurte de plein fouet à la mise en image et à l’usage de la voix off qui, comme Steeve, va et vient de manière erratique, sans réelle structure ni cohérence d’usage. Si les digressions pseudo-philosophiques (très premier degré – « et si le texto était la forme ultime du langage écrit ? », en toute simplicité) peuvent encore s’expliquer par la précocité (évoquée, rarement suivie des faits) de Steeve, elles ne font néanmoins que renforcer l’impression que La Chute de Sparte, à l’image de son personnage principal, se pense surtout plus malin qu’il ne l’est en réalité. Tout sauf un hasard que dans ce contexte, les adultes se montrent tous dans le meilleur des cas indolents, dans le pire insignifiants. La technique a beau être vieille comme le cinéma, il n’en reste pas moins que souligner l’intelligence d’un individu en mettant davantage l’accent sur la bêtise des autres que sur ses propres capacités, a tout de la facilité qui ne rate pas une occasion de faire sourciller.

Mais une nouvelle fois, peut-être ne sommes-nous pas le public visé. Peut-être que La Chute de Sparte se destine d’abord et avant tout aux douze-dix-huit ans, tant pis pour les plus vieux… pardon, « les plus grands ». Sans aller jusqu’à dire que le film se fait alors plus convaincant, on ne peut lui enlever le fait qu’il met du coeur à l’ouvrage pour flatter son audience. En cherchant à « parler jeune », en s’autorisant quelques ralentis et envolées visuelles à la 300. En utilisant de la musique du cru, souvent de manière intradiégétique d’ailleurs (ce qui du reste s’avère plutôt bien vu). Pour qu’au final, ils se sentent à chaque instant en terrain connu.

Et c’est peut-être au fond le plus grand problème de La Chute de Sparte. En aseptisant le drame, en normalisant le doute, en laissant croire que les lieux communs dépeints ont valeur de vérité, en lançant à l’endroit des ados « Je vous ai compris » tout en tapant complètement à côté de la complexité de ce qu’ils peuvent traverser, Tristan Dubois livre un film dénué de toute aspérité, de toute prise pour vibrer. Pour rire ou pleurer. L’encéphalogramme plat. L’exubérance de l’adolescence laisse place à une révolte ordinaire qui, sous couvert de réflexion et d’érudition, se complaît dans un conformisme plein et entier qui ne dit pas son nom. S’il y a bien un entre-deux à occuper entre American Pie et Créatures Célestes, La Chute de Sparte aurait, lui, sûrement gagné à polariser son propos, plutôt que de se montrer au mieux anecdotique dans ce qu’il entreprend, au pire inconsistant.

Alors que le besoin de renverser la table devient une seconde nature à cet âge (tout un symbole que Fight Club, Requiem for a Dream, Pulp Fiction, ou encore Scarface comptent toujours parmi les films cultes des lycéens et des cégépiens), difficile de croire que la proposition de Tristan Dubois et Biz saura résonner auprès d’une audience désormais biberonnée aux films et aux séries des plateformes de SVOD ayant su parfaitement les cibler. Avec à la clé, pour une oeuvre quelle qu’elle soit, la pire des conséquences : celle de susciter, en définitive, la plus complète indifférence.

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