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Guerre de l’information sociétale autour de la chasse

Publié le 04 juin 2018 par Infoguerre

Guerre de l’information sociétale autour de la chasse

La pratique de la chasse, et plus particulièrement de la vénerie (chasse à cor et à cri), est de plus en plus remise en question par les mouvements de défense des animaux. Depuis l’automne 2017, suite à l’abattage d’un cerf dans le jardin d’une maison de village en bordure de la forêt de Compiègne, une campagne d’information est menée par des associations de défense des animaux contre la vénerie. Leur objectif est de faire interdire cette pratique et de porter le débat au niveau national et politique. La réponse des chasseurs a tardé à venir tant la campagne contre eux était intense. Après une période d’incertitude, les chasseurs ont organisé leur riposte de manière très professionnelle et ont déjà obtenu quelques succès dans ce que certains qualifient d’offensive majeure contre la chasse ou de guerre de l’image et de la communication. Retour sur les parties prenantes de cette guerre de l’information qui en utilisent tous les modes et leviers d’actions : provocation, amalgame[i], buzz, polémique, lobbying, etc…

Agitation multi-médiatique et procédure législative

Le 21 octobre 2017 un cerf, réfugié dans le jardin d’une habitation, est abattu à la demande de la gendarmerie nationale. Cet évènement et l’émotion suscitée sont aussitôt saisis par l’association « abolissons la vénerie aujourd’hui » (AVA) pour relancer le débat sur l’interdiction de ce mode de chasse.

Le 3 novembre, Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire demande l’ouverture d’un débat public sur « cette pratique d’un autre temps et cette barbarie. »

4 jours plus tard le 7 novembre, la fédération nationale des chasseurs (FNC) diffuse le contenu d’un entretien téléphonique entre son président et le Président de la République, ce dernier estimant « que les chasses traditionnelles font partie du patrimoine de notre pays, elles ne nuisent en rien aux espèces que l’on chasse et elles sont le reflet des traditions d’un terroir et d’un mode de vie. »

Le 22 novembre une proposition de loi pour l’abolition de la chasse à courre est déposée par Laurence Rossignol, sénatrice socialiste de l’Oise avec 13 sénateurs.

Le 31 janvier 2018 une autre proposition de loi est déposée à l’Assemblée Nationale par Bastien Lachaud député « la France insoumise ».

En parallèle et durant toute la saison de chasse qui s’étend du 1er octobre au 31 mars les activistes de l’AVA mènent des actions visant à perturber le déroulement des chasses à courre en forêt de Compiègne. Ces actions participent à alimenter le débat sur les réseaux sociaux et dans les médias. Cette guerre de l’information se déroule donc dans les champs médiatique et politique avec pour objectif d’en faire un débat national pour que les politiques s’emparent du sujet. De ce point de vue, la manœuvre de l’association AVA est plutôt réussie, même si les cinq propositions de loi déposées ces dix dernières années n’ont jamais abouti.

La guérilla des anti-chasse

Pour obtenir ce résultat AVA a pu s’appuyer sur des méthodes de guérilla (insultes, interposition, actions cagoulées) cherchant ainsi à pousser les chasseurs à la faute. Toutes ces actions sont bien évidemment filmées et diffusées sur les réseaux sociaux et sites internet. La cible de ces activistes n’est pas choisie au hasard. La connotation aristocratique et élitiste de la chasse à courre en fait une proie facile pour fédérer les partis politiques de gauche. Malgré sa petite taille cette association qui regroupe une cinquantaine de membres actifs, a su donner à son combat une légitimité et une résonnance en fédérant des mouvements de la cause animale plus médiatiques (fondation Brigitte Bardot, Fondation 30 millions d’amis, One Voice, L214) via le Collectif pour l’abolition de la chasse à courre (CACC). Il partage ainsi leurs relais d’influence médiatiques. Cet échange de bonnes pratiques entre ces mouvements ne s’arrête sans doute pas à la médiatisation : certaines méthodes d’AVA n’étant pas sans rappeler celles de L214 dans les abattoirs. Ce mouvement a su aussi s’appuyer sur des personnalités comme Laurence Parisot, Brigitte Bardot, Aymeric Caron pour relayer leur message grâce à leur notoriété et leur accès facilité aux médias. Leur action, loin de se limiter à la seule interdiction d’un mode de chasse, s’inscrit dans la dynamique plus large des mouvements antispécistes et vegans.

De la communication de crise à la communication d’influence

De leur côté les chasseurs à courre ont dû adapter leur mode de communication. S’ils ont souvent été la cible d’attaques de la part des mouvements animalistes, la société de vénerie (SV) a surtout été habituée à mener une communication de crise en réaction à des incidents de chasse. L’ampleur de la campagne informationnelle, son professionnalisme et la caisse de résonance que constituent les médias sociaux l’ont obligée à changer de stratégie. Comme leurs adversaires la SV a su s’appuyer sur un réseau puissant. L’appui de la très influente fédération nationale des chasseurs lui donne un poids certain. La FNC représente les 1,2 millions de chasseurs quand la société de vénerie représente 10 000 membres et revendique environ 100 000 sympathisants (suiveurs, invités). L’appui inconditionnel et la solidarité de la FNC n’est pas anodin tant celle-ci sait qu’une interdiction de la vénerie créerait un précèdent qui pourrait facilement remettre en cause tous les modes de chasses. L’analyse fine et réaliste de ces attaques informationnelles (éditorial de mars 2018 du président d’honneur de la SV dans la revue Vénerie) lui a permis de prendre conscience qu’il lui fallait utiliser les armes de ses adversaires (à l’exception des actions de guérilla) et donc de professionnaliser sa démarche de communication opérationnelle. Dans cette optique, la SV s’appuie sur un cabinet de conseil en stratégie et en communication, Comfluence.

La professionnalisation de cette fonction a permis d’élargir les modes de communication et de mettre en place une stratégie globale au-delà de la seule communication de crise. Des contenus ont ainsi été créés pour le site web www.venerie.org, et la chaine Youtube. Des actions de communication vers les médias régionaux et nationaux (Le Monde, L’Obs, Le Figaro, France Culture) sont aussi menées afin de diffuser sa vision de la vénerie et sortir du seul traitement des incidents. Il s’agit donc de reprendre l’initiative alors que le parti anti-chasse occupait jusqu’alors majoritairement l’espace médiatique grand public. Sur le plan du lobbying et de l’influence les chasseurs n’ont rien à envier à leurs adversaires. Une campagne d’information auprès des élus des deux chambres est en cours et ils peuvent s’appuyer sur des relais très influents de tous bords comme Gérard Larcher, président du Sénat, ou François Patriat, sénateur LREM. Les prises de positions répétées en leur faveur du Président de la République constituent des victoires majeures pour les défenseurs de la chasse. Cet affrontement sur le terrain informationnel et politique s’est donc quelque peu rééquilibré et promet d’être particulièrement intéressant à suivre à la reprise de la saison de chasse cet automne. Même si les chasseurs ont pris un avantage certain  grâce au soutien d’Emmanuel Macron, ils ne doivent pas perdre de vue que ce dernier est guidé par une stratégie de communication propre. En effet, ces prises de positions présidentielles entendent briser l’image d’un président des citadins, banquier d’affaires, éloigné de la ruralité et lui conférer une posture plus « virile ». Enfin, le poids électoral des 1,2 millions de chasseurs ne doit pas être négligé et ce, d’autant que leur parti traditionnel Chasse, Pêche, Nature et Traditions est en nette perte de vitesse.

Jérôme Merceron

[i] La chasse à courre, abandonnée depuis la Révolution et réactivée par Napoléon, qui dans le même temps rétablissait l’esclavage, consiste à poursuivre un animal à cheval jusqu’à l’épuisement pour ensuite le tuer à l’arme blanche (source : site du CACC www.abolitionchasseacourre.org)

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