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Âmes sauvages. Le symbolisme dans l’art des pays baltes

Par Balndorn

 Âmes sauvages. Le symbolisme dans l’art des pays baltesNec Mergitur, Ferdynand Ruszczyc
Âmes sauvages, la dernière exposition en date au musée d’Orsay, s’annonçait comme une banale exposition de présentation d’un banal romantisme national d’Europe de l’Est. Je m’y aventurai avec curiosité. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’au détour du premier couloir, surgit devant moi une œuvre colossale, pleine de bruit et de fureur : Nec Mergitur, un navire allégorique pris dans une terrible tempête, du peintre lituanien Ferdynand Ruszczyc. Un univers pictural radicalement autres’ouvrait sous mes pas.
Éloge du paganisme
Le romantisme national des pays baltes (Lituanie, Lettonie et Estonie), sous domination russe jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, se démarque esth-éthiquement des autres mouvements du genre. Cela tient pour partie à l’histoire de la région. Christianisés sur le tard (entre le XIIe et le XIVe siècles) par les chevaliers teutoniques et les Danois, les Baltes ont gardé dans leur culture populaire les vestiges d’un paganisme pas si lointain. On retrouve ces traces dans la peinture du XIXe siècle. Alors que bon nombre de romantismes d’Europe de l’Ouest mythifient le passé chrétien médiéval, le romantisme balte ressuscite des pratiques et des spiritualités anté (et anti) chrétiennes.Aussi voit-on resurgir des motifs naturels, qui, dans une perspective résolument cosmogonique, unissent l’infiniment petit à l’infiniment grand : le soleil, les pissenlits, les forêts… Tous ces motifs éclatent de vie et trouvent leur plénitude dans le grand œuvre de l’artiste polono-lituanien Mikalojus Konstantinas Čiurlionis : La Création du monde. Treize tableaux, petits par leur format mais grands par leur puissance, qui content en couleurs la naissance d’un monde et l’éclosion de la vie.

Âmes sauvages. Le symbolisme dans l’art des pays baltes

La Création du monde VII, Mikalojus Konstantinas Čiurlionis


En quête de puissances
Le passé païen ne se limite pas à des thèmes : il modifie profondément le rapport esthétique au monde. Les artistes présentés à Orsay ne cherchent pas tant à narrer de manière homogène et linéaire un événement historique, comme l’ont fait par exemple les peintres néoclassiques français (dont la galerie avoisine les salles d’exposition). Au contraire, ils privilégient la dé-figuration du passé pour y puiser quelque chose de plus essentiel qu’une belle histoire à raconter. Prenons une toile au titre significatif : Le Passé, de Čiurlionis. Enfoui sous la neige, le château des grands-ducs de Vilnius, anciens seigneurs de la région, semble dormir d’un sommeil éternel. La neige est telle que le palais n’apparaît que par intermittences, surgissements minéraux dans la masse blanche. Le Passéne rapporte aucune histoire. Avec sobriété, Čiurlionis met en scène une puissance latente, endormie depuis des siècles, sur le point de déchirer le manteau neigeux qui la recouvre. Le passé ne vaut rien tant qu’on n’actualise pas les puissances que ses ruines recèlent encore.Cette quête des forces mystiques dissimulées sous le voile des apparences parcourt l’ensemble des pièces exposées. Elle en impacte la forme. Puisque la réalité trompe, puisque le pouvoir tsariste enterre le passé, alors il faut changer les apparences pour accéder aux pouvoirs secrets. La radicalité picturale accompagne la radicalité politique. Les peintres baltes, avec trente ans d’avance sur leurs homologues d’Europe de l’Ouest, s’aventurent dans des coloris presque fauves et des compositions à la limite de l’abstraction. Le grand portraitiste estonien Konrad Mägi déstructure le décor à l’arrière-plan de ses figures : les couleurs chaudes, résolument irréalistes, qui nimbent et chargent de magie le visage humain au-devant importent autant, sinon plus, que l’exécution de ce dernier, comme dans Le Portrait d’une jeune Norvégienne. Plus tard, le peintre en séjour en Norvège traquera ces mêmes puissances à l’œuvre dans la nature et offrira des tableaux saisissants des forêts scandinaves, bruyants de couleurs vives qui priment sur la composition.
Inventer de nouvelles apparences pour de nouvelles forces
D’autres artistes privilégient quant à eux la composition sur la narration. Des formes incongrues, des architectures fragiles émergent dans un espace-temps non-identifié, et entrent en résonance avec les mystères de l’univers. Bien souvent, un élément naturel sert de point de départ. Cela va des paisibles forêts hivernales du Letton Vilhelms Purvītis, dont les stries verticales hachent le calme apparent, à l’éclatant Soleil de son compatriote Rūdolfs Pērle, qui domine et irradie l’ensemble de la toile. Quant à la muséographie, elle est des plus simples. Si quelques panneaux contextualisent les œuvres, ils ne noient pas les visiteurs sous la masse d’informations. Place est laissée au visuel. Dans de vastes salles baignées de lumière, les chef-d’œuvres baltes trouvent l’espace nécessaire à leur déploiement expressif.

Âmes sauvages. Le symbolisme dans l’art des pays baltes

Portrait d’une jeune Norvégienne, Konrad Mägi

Âmes sauves. Le symbolisme dans l’art des pays baltes, au musée d’Orsay jusqu’au 15 juillet 2018
Maxime
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