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La politique du feuilleton (1/2) : l’Égypte et sa police

Publié le 14 juin 2018 par Gonzo
La politique du feuilleton (1/2) : l’Égypte et sa policeAhmed Halawa dans « Menottes »

On le sait bien, les feuilletons de ramadan n’échappent pas à la politique. Par les sujets qu’elles retiennent, par la manière dont elles les traitent ou encore par la peinture des héros qu’elles mettent en scène, les séries télévisées que dévore rituellement le public arabe durant cette période de l’année offrent un reflet somme toute assez fidèle des préoccupations de la région. La saison actuelle ne fait pas exception à la règle.

Elle est malgré tout un peu particulière dans la mesure où il apparaît plus que jamais que les pouvoirs politiques se servent de plus en plus des séries télévisées pour faire passer leur message politique. C’est particulièrement vrai en Égypte, pays où le phénomène n’est pas nouveau, comme le rappelle un article dans The Economist qui souligne comment un feuilleton (Le quartier juif حارة اليهود) avait, en 2015, accompagné les choix politiques du président Sissi en présentant un traitement radicalement différent de cette communauté religieuse jusqu’alors présentée sous un jour totalement négatifs.

En ce qui concerne la production de ramadan, cette année, le thème de l’heure est à n’en pas douter celui de la police. Un article dans Al-Quds al-arabi offre ainsi un panorama impressionnant des œuvres qui s’ingénient (contre toute vraisemblance) à dresser un portrait angélique des représentants de la loi dans le pays. Dans Mondes cachés (عوالم خفية), une des grosses productions de la saison avec pour vedette principale l’indestructible Adel Imam (entre autres nombreuses mentions dans ces billets, celle-ci), on a ainsi un officier tellement dévoué à son métier qu’il renonce à ses congés légaux pour se marier (après avoir repoussé la cérémonie à plusieurs reprises pour ne pas délaisser ses enquêtes !) Tout aussi exemplaires sont les inspecteurs de Kalabsh (كلبش : Menottes) de Contre l’inconnu (ضد المجهول) et Bien réel (أمر واقع), sans oublier le personnage qui donne son nom à la série Inspecteur Omar Ramadan (المقدم عمر رمضان) non plus que celui de la série Rahim, qui s’ouvre sur une dédicace « à tous ceux qui ont réussi à sauver leur patrie dans une des périodes les plus difficiles de son histoire » (comprendre : les forces de sécurité au moment de la révolution de 2011 !) Enfin, le bouquet final est offert par Muhammad Ramadan (محمد رمضان : voir le billet sur « cette inquiétante icône de la jeunesse égyptienne »), lequel interprète dans l’Aigle de Haute-Égypte (نسر الصعيد) un officier de police, véritable superman à la hauteur des multiples qualités que ses innombrables fans prêtent à la grande star du cinéma populaire égyptien…

La politique du feuilleton (1/2) : l’Égypte et sa police
Six feuilletons à la gloire des forces de sécurité égyptiennes, cela fait beaucoup pour une seule saison, même pour un pays comme l’Égypte (dont la production totale, tous genres confondus, tourne aux alentours d’une grosse trentaine de séries pour ramadan). Le phénomène a donc suscité nombre de commentaires qui font souvent un lien avec la mise en place récente par le gouvernement Sissi d’une Commission des feuilletons (لجنة الدراما ). Comme celle-ci a tout pouvoir pour faire supprimer les scènes, ou même les épisodes, qui lui paraissent contredire les « valeurs » de la société, nombreux sont ceux qui pensent que les acteurs de l’industrie du loisir n’ont pas hésité à s’autocensurer pour éviter tout accident commercial, quand ils n’ont pas retenu des scénarios susceptibles de plaire aux représentants d’un pouvoir dont la mainmise sur les médias, y compris « privés », est de plus en plus totale.

Curieusement, ladite Commission des feuilletons a pourtant trouvé à redire à propos des feuilletons de ramadan. Le rapport qu’elle a récemment présenté, comme l’expose un article dans Al-Hayat, s’inquiète ainsi de la violence qui accompagne tous ces portraits de policiers interprétés, qui plus est, par des acteurs associés dans l’esprit du public aux rôles de malfaiteurs dans lesquels ils s’étaient spécialisés jusque-là. Il y a un risque, continue le rapport, que les innombrables séquences dans lesquelles les forces de la loi se livrent à des actes particulièrement brutaux soient un exemple néfaste « pas simplement pour le public ordinaire, celui de la jeunesse, mais y compris pour les jeunes recrues de la police » (لجمهور العادي من الشباب، بل ربما يصل التأثير إلى عقلية الضباط حديثي التخرج ) !!!

Les feuilletons de ce ramadan en Égypte mettent toutefois en évidence un autre phénomène relativement inédit, à savoir la présence de plus en plus marquée de femmes dans des rôles importants (voir cet article sur le site Al-Monitor). Une sorte de rattrapage du temps perdu tellement les scénarios sont restés en retard par rapport aux évolutions sociales selon certains, rien de plus qu’un effort d’adaptation à la nature du public, essentiellement familial et même féminin, pour d’autres.

Doit-on imaginer pour l’année prochaine des séries avec des superwomen policières qui défendraient les paisibles citoyens contre les exactions des barbus terroristes ?


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