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Un colis piégé, de Claude Béglé

Publié le 19 juin 2018 par Francisrichard @francisrichard
Un colis piégé, de Claude Béglé

Pendant une courte période, du 1eravril 2019 au 19 janvier 2010, Claude Béglé a présidé le Conseil d'administration de la Poste suisse: il avait été nommé par le Conseil fédéral le 25 juin 2008 et n'avait siégé comme simple administrateur qu'à partir du 1er octobre 2008...

C'était un cadeau empoisonné que le Conseiller fédéral Moritz Leuenberger lui avait fait, un cadeau empoisonné qui s'est révélé être pour lui Un Colis piégé, qui a fini par exploser et le faire renoncer.

En janvier 2010, c'est-à-dire à la fin de sa présidence, j'ai consacré deux articles à ce qui était devenue l'affaire Béglé: 

- La mission impossible de Claude Béglé pour sauver la Poste (14 janvier 2010)

- "Ils" ont eu la peau de Claude Béglé (19 janvier 2010)

A l'époque je n'avais lu que quelques articles partiaux, qui étaient publiés dans la presse écrite romande et qui sonnaient l'hallali contre lui. Il était donc intéressant de lire sa version des faits bien des années après.

Ce témoignage vécu permet de mieux comprendre Les rouages discrets des institutions suisses, dont le géant jaune bicéphale fait partie et où se glissent parfois de terribles grains de sable, qui grippent une mécanique autrement assez bien huilée.

L'auteur reste pourtant convaincu, en dépit de son expérience malheureuse, que la Poste doit être à la fois un service public et une entreprise rentable pour le rester, c'est-à-dire être une entreprise hybride...

Le périmètre de l'État me semble devoir être circonscrit, comme le disait Frédéric Bastiat aux trois attributions gouvernementales suivantes (c'est une opinion qui n'est pas du tout majoritaire ici en Suisse, comme l'échec de l'initiative contre la redevance audiovisuelle vient de le prouver):

- Veiller à la sécurité publique

- Administrer le domaine commun

- Percevoir les contributions

En dehors de ces attributions, les services publics ne peuvent qu'être frappés, au moins dans une certaine mesure, d'immobilisme et de stérilité:

Sans doute l’esprit de corps, le désir de l’avancement, l’attachement au devoir, peuvent être pour le fonctionnaire d’actifs stimulants. Mais jamais ils ne peuvent remplacer l’irrésistible incitation de l’intérêt personnel, écrit l'économiste français dans Les Harmonies économiques.

C'est pourquoi Claude Béglé avait, à mon sens, quoi qu'il fasse, une mission impossible à accomplir et son livre, bien que ce ne soit pas du tout son objectif, me confirme dans cette conviction. 

Dans son livre, qui d'ailleurs est écrit sans acrimonie, et même avec une bienveillance qui l'honore, à l'égard de ses adversaires, il montre en effet qu'il a bien été confronté à l'immobilisme et à la stérilité:

- L'immobilisme: il ne fallait rien changer à la stratégie perdante de Michel Kunz, le directeur général qui lui avait été imposé le 15 décembre 2008 (et qui était un homme du sérail, au contraire de lui), une stratégie qui se résumait à la réduction des coûts et du nombre d'offices de poste pour y parvenir;

- La stérilité: il ne fallait surtout pas innover ni trouver de nouveaux relais de croissance pour compenser la baisse naturelle et inexorable des volumes du courrier traditionnelet il ne fallait surtout pas toucher à l'esprit de corps d'un tel monolithe.

Claude Béglé n'était pas un homme du sérail: c'était un intrus qui avait fait ses preuves ailleurs et qui voulait bouleverser les habitudes prises et revoir la gouvernance; c'était un homme seul sans réseau ni dans la politique ni dans l'administration. Or l'étatisme rejette tout corps étranger qui pourrait le contaminer et le rendre efficient... 

Ce réflexe corporatiste est d'une manière générale le propre des services publics: il l'est d'autant plus qu'ils emploient un grand nombre de personnes; il suffit de regarder ce qui se passe en France avec les agents de la SNCF ou de l'Éducation nationale, quelles que soient les réformes entreprises...

Claude Béglé envisageait des développements de la Poste à l'étranger dans un monde qui est globalisé quoi qu'on veuille, mais c'était impensable après les expériences malheureuses d'entreprises liées à l'État telles que Swissair  ou les CFF. Et pourtant des entreprises privées suisses le font remarquablement...

Ce qui choque le plus dans cette histoire, et peut donner la nausée, indépendamment de toutes considérations économiques, c'est le comportement indigne de ceux qui ont eu la peau de Claude Béglé et qui n'en sortent pas grandis.

Pour parvenir à leurs fins, les partisans de Michel Kunz, dont les rapports de service ont été rompus par le Conseil d'administration le 14 décembre 2009, ont employé sans vergogne tous les moyens, en interne comme à l'externe: mélanges du vrai et du faux, contrevérités, désinformations, attaques ad hominem etc.

Claude Béglé le raconte avec force détails, pour rétablir la vérité, mais il ne veut pas que l'on retienne seulement le lynchage médiatique dont il a été victime. Il aimerait que l'on tire les leçons de cette histoire pour le plus grand bien du pays et de ses habitants:

Si l'épisode que je viens de décrire, au-delà de ses aspects rocambolesques, pouvait au moins contribuer à une prise de conscience collective de la nécessité que nous avons à faire évoluer nos institutions et nos mentalités, alors le jeu en aurait déjà amplement valu la chandelle.

Francis Richard

Colis piégé - Choc de cultures à la Poste, de Claude Béglé, 196 pages, Favre


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