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Portrait de James Joyce en jeune poète

Publié le 19 juin 2018 par Les Lettres Françaises

Portrait de James Joyce en jeune poèteIl est bien évident que Joyce est un poète comme Keats, Yeats, Dante ; comme John Keats qui disait que « si la poésie ne vient pas aussi naturellement que les feuilles sur un arbre, il vaut mieux qu’elle ne vienne pas du tout. » C’est en effet tout naturellement que la poésie a accompagné les heures de James Joyce. Et tout a commencé avec les poèmes de « Chamber Music », en mai 1907, dont Pierre Troullier nous propose une nouvelle traduction, après celle de Jacques Borel et cent dix ans après la première édition du livre, qu’il complète aujourd’hui par la traduction de « Pomes Penyeach », plaquette de juillet 1927 (quatre-vingt-dix ans après). C’est donc une édition anniversaire que nous propose aujourd’hui la collection Orphée des éditions de La Différence où paraissent ces poèmes qui, sans aucun doute, sont bien moins connus qu’Ulysse ou Finnegans Wake (du moins, de nom).

« Pomes Penyeach » est une poignée de poèmes (13), qui sont comme des pommes puisque le substantif pome est aussi la variante régionale et populaire du substantif poem (« poème »), nous dit le traducteur. C’est dire si ces poèmes sont des pommes et ces pommes des poèmes ; et ils ne sont pas chers puisque « Poems Pennyeach » veut dire poèmes à un sou pièce ou plus exactement à un penny pièce (le livre coûtait un shilling et contenait treize poèmes, treize à la douzaine). Et puis il y a donc aussi « Chamber Music », le premier livre publié de James Joyce, le coup d’envoi. La rédaction des poèmes qui composent ce recueil s’étale de 1901 à 1904, année où Joyce rencontra Nora Barnacle, avec qui il fit une première promenade, le 16 juin, dont il fera ensuite la journée d’Ulysse.

Nora mettra plusieurs années pour découvrir ces poèmes que Joyce a écrits alors qu’il était – comme il le lui écrira dans une lettre du 21 août 1909 – « un étrange garçon solitaire, déambulant seul la nuit et pensant qu’une jeune fille m’aimerait » (disait-il). Nora l’ai aimé, lui et ses poèmes exquis et passionnés, et à l’origine quelque peu scabreux puisque, d’après une anecdote légendaire, Joyce aurait eu l’idée du titre en entendant une femme uriner dans un pot de chambre, à l’abri d’un paravent, tandis qu’il lui rendait visite, comme nous l’avait raconté son biographe Richard Ellmann et comme Pierre Troullier ne manque pas de nous le rappeler.

Mais c’était encore Joyce avant qu’il ne devînt Joyce, dit-il, bien avant qu’il n’écrivît sa messe noire d’Ulysse, depuis l’Introïbo de Buck Mulligan jusqu’à l’Amen final de Molly Bloom. Joyce naissait. Dès lors, il passerait son temps à renaître par-delà Adam et Eve, comme le dit la toute première phrase de Finnegans Wake, et un peu comme il aimait à répéter que chaque Vendredi Saint, chaque Samedi Saint – seuls jours où il allait à l’église, pour assister aux cérémonies liturgiques qui représentent sous leurs rites symboliques les plus vieux mystères de l’humanité, en particulier celui de la bénédiction des fonts baptismaux -, il voyait ainsi renaître – chaque année, donc – le feu et l’eau. C’est son ami Jacques Mercanton qui avait raconté l’avoir ainsi rejoint, à l’aube du Samedi Saint de 1938, à l’église Saint-François-Xavier, à Paris, où ils étaient restés l’instant de cette renaissance, parce que le reste était sans intérêt, lui avait dit Joyce, tandis que le Gloria éclatait dans les cloches…

Joyce contestait tout, retournait tout, et opposait aux préceptes séculaires de l’Eglise les impulsions de sa nature, de son verbe, de son chant. Dans une lettre du 6 novembre 1906, une lettre à son frère Stanislaus, c’est ce qu’il appelle faire sa « grève intellectuelle virtuelle », qui vise à peu près tout, à commencer par la littérature de ses contemporains, les romanciers anglais qui n’ont que peu ou rien à lui apprendre, dont il ridiculise les phrases creuses, les personnages de convention, les pauvres procédés par lesquels ils « tournent toujours autour du pot » – ce qui, on l’a dit, n’a jamais été son cas. Entendez plutôt : « J’aimerais nicher dans ce sein / (Oh qu’il est tendre et qu’il est beau !) / Hors d’atteinte du vent hautain. / Les rigueurs me sont un fardeau, / J’aimerais nicher dans ce sein. » Le work in progress de Finnegans Wake a en effet déjà commencé. Lentement, mais sûrement, il s’agira de rendre ce qui se passe dans le rêve, pendant le rêve, non ce qui reste après, dans la mémoire – car, après, il ne reste rien. Entendez plutôt : « Cela ne te va-t-il pas comme une longue queue, monsieur l’éprieur de pureté, à la façon d’une œuvre en télévision longtemps après qu’on ait Plolémée Satiricon Sardanapale La Pallice ? (…) O Seigneur, déverse sur nous tes misères mais laisse-nous entrelacer nos arts d’un sourire discret !»

 

Didier Pinaud

James Joyce « Chamber Music » suivi de « Pomes Penyaech » 
Traduit de l’anglais, annoté et présenté par Pierre Troullier
Orphée / La Différence, 130 pages, 8 €

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