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l'intelligence des plantes

Par Jmlire
l'intelligence des plantesBois de Boulogne. photo L.V. avril 2018

" Lorsque j'ai commencé à étudier la biologie végétale à l'université, j'éprouvais de l'intérêt pour la nature et pour la science, pas encore pour les plantes. Je pense d'ailleurs que les vrais connaisseurs des plantes ne sont pas les scientifiques, qui étudient en laboratoire, mais les jardiniers, qui les observent et les comprennent. C'est pendant mon doctorat que j'ai éprouvé un choc. Je devais regarder comment une racine se comporte face à un obstacle. La théorie disait que la racine bute sur l'obstacle et le contourne. J'ai construit une petite boîte transparente pour pouvoir faire des photos. C'était stupéfiant : la racine n'attendait pas de rencontrer l'obstacle pour le contourner. Plus extraordinaire, elle empruntait toujours le chemin le plus court. Cela voulait dire deux choses : elle "savait" avant de le rencontrer qu'il y aurait un obstacle. Et elle était en mesure d'en calculer la longueur. Une révolution ! De telles capacités sont censées être spécifiques du monde animal. J'ai dit à mes professeurs qu'il fallait changer les manuels. J'avais 27 ans, et j'ai commencé à regarder les plantes autrement. Mon combat contre ceux qui niaient les capacités d'analyse du monde végétal a commencé. Et pendant des années, les découvertes se sont enchaînées. Il fallait vraiment changer de perspective...

Quand Aristote se plante.

J'ai alors pris conscience du mépris dans lequel on tient le monde végétal. J'ai commencé à lire tout ce qui avait été écrit sur le sujet à travers l'Histoire. Ce qui m'a frappé, c'est l'absence des plantes dans la littérature, l'art, la philosophie, la religion... On en parle d'un point de vue esthétique, ou en fonction de leur usage, mais pas en tant qu'organismes vivants. Dans la Bible, Noé n'emporte sur l'Arche que des animaux. Et Daniel Defoe raconte pendant deux cents pages que Robinson Crusoé (1719) est entouré de végétaux et ne rencontre qu'au bout de deux mois son premier être vivant : une chèvre ! Jusqu'à Carl von Linné (1707-1778), et surtout Charles Darwin (1809-1882), notre vision du monde végétal a en effet été marqué par Aristote, qui a établi une répartition des êtres vivants selon qu'ils étaient ou non dotés d'une "âme". Les plantes n'héritaient que d'une âme de bas niveau, assez proche des choses inanimées. Aristote a eu force de loi sur les sciences, en particulier sur la biologie. Pourtant, cinquante ans avant lui, Démocrite avait pensé qu'on pouvait comparer les arbres à des hommes renversés, la tête enfoncée dans le sol. Et l'élève préféré d'Aristote, Théophraste, nous a légué le plus ancien traité de botanique, classant les espèces végétales selon des critères scientifiques. Lui était un fervent disciple de l'intelligence des plantes. mais on a préféré s'en tenir à Aristote....

Mouvement.

Il y a de multiples manières de définir l'intelligence. La plupart du temps, ses définitions la cantonnent à l'homme et aux animaux qui lui sont les plus proches. Nous sommes obsédés par l'idée qu'elle nous appartient en propre. Je me suis battu contre cette conception absurde... L'intelligence revêt de multiples formes, mais elle est toujours dominée par la nécessité de résoudre des problèmes. Sans cette capacité, il ne peut y avoir de vie. Ce que font les plantes pour les résoudre, tout comme les animaux mais de façon différente, est incroyablement complexe. Certains objectent que le cerveau d'un animal s'adapte vite à de nouvelles situations, alors qu'une plante ne sait pas s'adapter, ou du moins très lentement, par le processus de l'évolution. Je pense exactement l'inverse ! Ce sont les animaux qui sont incapables de s'adapter. Souvent, il ne résolvent pas les problèmes, mais se déplacent pour les éviter ! Une plante, si elle n'a pas assez d'eau ou pas assez de nutriment, ou si elle subit un danger, doit résoudre le problème immédiatement pour survivre. Les plantes s'adaptent non à cause de l'évolution, mais parce qu'elles sont immobiles. Voilà la différence majeure entre le monde végétal et le monde animal : le mouvement.

Résistance au stress.

Les plantes ne cessent de communiquer. Elles échangent des informations sur l'état du sol, la présence de prédateurs. Très récemment, dans notre laboratoire, nous avons sélectionnés deux groupes de plantes et soumis l'un des deux à un stress - du sel dans le sol. Les plantes de ce groupe ont émis une substance chimique dans l'atmosphère qui est arrivée au second groupe, et ce groupe a développé une résistance à ce stress, en changeant sa physiologie. Le premier groupe n'a mis que quelques minutes à émettre cette substance chimique. Et, en une journée, l'autre groupe était capable de résister..."

Stefano Mancuso : extrait d'entretien pour Télérama 3567 du 23/05/2018

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