Magazine Cinéma

First Man. Un astre mort pour un homme mort

Par Balndorn

First Man. Un astre mort pour un homme mort
Résumé : Pilote jugé « un peu distrait » par ses supérieurs en 1961, Neil Armstrong sera, le 21 juillet 1969, le premier homme à marcher sur la lune. Durant huit ans, il subit un entraînement de plus en plus difficile, assumant courageusement tous les risques d’un voyage vers l’inconnu total. Meurtri par des épreuves personnelles qui laissent des traces indélébiles, Armstrong tente d’être un mari aimant auprès d’une femme qui l’avait épousé en espérant une vie normale.
De Neil Armstrong (Ryan Gosling), on pourrait dire que son premier pas sur la Lune marqua un petit pas pour l’humanité, et un bond de géant pour sa personne. Pourtant, l’homme n’a rien d’un héros. Il ne désire ni la gloire, ni la victoire ; seulement revoir sa petite Karen, emportée par une tumeur au cerveau à l’âge de deux ans.Un homme brisé dans une étoffe de héros national, que saisit à merveille Damien Chazelle.
De la Terre à la Lune, et de la Lune au for intérieur
Une cinquantaine d’années après la course à l’espace entre les États-Unis et l’URSS, le cinéaste s’attelle à la déconstruction du ton épique qui entoure encore cette période. En choisissant une veine intimiste privilégiant les douleurs secrètes du premier homme à marcher sur la Lune, Chazelle brise les élans patriotiques du programme Apollo, pour se concentrer sur l’humanité qui persiste chez les astronautes.Loin de l’image du conquérant interstellaire que lui prêtèrent volontiers les médias des Sixties, First Manreprésente Armstrong comme un homme hanté par la mort. De sa fille, de ses amis pilotes. De la Lune, l’astre éteint qui le fascine tant. Le choix de Ryan Gosling, acteur mutique au visage rongé par une tristesse qui n’arrive pas à s’exprimer, ajoute encore à la représentation quasi-dépressive d’Armstrong. Ce faisant, Chazelle inscrit son troisième long-métrage dans l’ambiance funèbre qui entoure les derniers films sur l’exploration spatiale. Depuis Contact(Robert Zemeckis, 1997), où Judie Foster part dans le vide interstellaire après la mort de son père, la plupart assimilent le voyage spatial à l’exploration intérieure d’un être en deuil – en général une femme. Dans Gravity, Sandra Bullock emporte avec elle le souvenir de sa fille défunte ; dans Interstellar, Jessica Chastain porte le deuil d’un père qu’elle sait ne jamais revoir de son vivant ; dans Premier contact, Amy Adams anticipe la mort de sa fille. Au milieu de cette production où la douleur individuelle prime sur l’épopée collective, First Man se démarque par le changement de personnel. Le deuil, jusque-là porté exclusivement par des héroïnes (dans Interstellar, c’est Jessica Chastain qui porte le deuil de son père Matthew McConaughey, et non l’inverse), revient ici à un personnage masculin, représenté selon les traits de la virilité de l’American Way of Life : hétérosexuel, père de famille, la coupe en brosse et la parole rare. Et pourtant, il souffre. Peut-être davantage encore en raison de l’interdit qui plane sur l’expression des sentiments dans la conception viriliste à laquelle il adhère. À l’inverse, Janet (Claire Foy), sa femme, incarne la vie. Elle gueule, elle peste, elle agit, non pas pour le ramener à ses obligations de « héros », mais pour insuffler la vie dans ce corps si morne.
Des sensations dans un biopic
En quête de vitalité, First Man lorgne vers d’autres genres que l’exploration spatiale. Comme Christopher Nolan pour Interstellar et Denis Villeneuve pour Premier contact, Chazelle fait le choix d’une poéthique du montage. Globalement linéaire, la narration se troue cependant d’ellipses, de montages parallèles, de raccords audacieux entre des gestes. De l’existence, le montage retient d’abord des pulsions de vie, et non une histoire. Couplée à la grande mobilité de la caméra, l’esth-éthique de First Man rappelle celle du Maître des cinéastes américains d’aujourd’hui : Terrence Malick. Dans la même veine que The Tree of Life et Knight of Cups, First Man saisit des moments fugaces, des instants éphémères, durant lesquels des émotions transparaissent et outrepassent des personnages taiseux. De ce point de vue, le film marque un bond de géant par-rapport aux deux précédents longs-métrages de Chazelle. Whiplash pêchait par son formalisme creux ; La La Land par sa mélancolie exacerbée d’un pseudo-Âge d’or hollywoodien ; désormais, cet Âge d’or lui-même perd de sa superbe. La mélancolie demeure, mais elle pousse à aller décrocher la Lune, pour l’amour d’une petite fille à jamais disparue.Le procédé – et la période historique traitée – rappelle un des films les plus marquants de l’an passé : Jackie. Pablo Larraín y déconstruisait soigneusement le genre du biopic en saisissant – comme Chazelle avec Armstrong – des moments dans le deuil de Jackie Kennedy (Nathalie Portman), égérie de l’insouciance des Sixties. Jackie comme First Man ne cherchent pas à tourmenter leurs créatures, mais à réinjecter, dans un passé de plus en plus mythifié à mesure que se ferme l’horizon de l’avenir, des instants traversés d’ombres et de lumières.
First Man. Un astre mort pour un homme mort
First Man, Damien Chazelle, 2018, 2h22
Maxime
Si vous avez aimé cet article, n'hésitez pas à me soutenir sur Tipeee !  

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Balndorn 391 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine