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L’homme qui écoutait les éléphants.

Publié le 29 avril 2008 par Laeo
La compassion peut faire des miracles, même avec les bêtes les plus agitées : c’est ce que pense Lawrence Anthony, « l’homme qui murmurait à l’oreille des éléphants » Dans le Zululand, il a recueilli un troupeau d’éléphants traumatisés et les a calmés, simplement en leur parlant.

Encore un autre coucher de soleil lent et d’une grande douceur au Zoulouland. Nous sommes dans une Land Rover ouverte, à quelques mètres d’une douzaine d’éléphants africains broutant des arbres marulas. C’est un troupeau spécial, un troupeau traumatisé réhabilité à la réserve deThula Thula. Ils ont été pourchassés par des rangers, des braconniers et des chasseurs de trophées, on leur a tiré dessus avec des fusils, des arcs et des flèches. A deux reprises les fauteurs de troubles ont été confrontés à une condamnation à mort. Le fait qu’ils soient en vie, ils le doivent au propriétaire de Thula Thula, Lawrence Anthony, « l’homme qui écoutait à l’oreille des éléphants »
Le jeune Mvula, mot zoulou pour « pluie », s’approche de nous et, pendant un bref moment à vous couper le souffle, il croise le regard d’Anthony avant de retourner à ce qu’il faisait : déchiqueter des feuilles. C’est un moment paisible.
« Mvula est un éléphant très spécial » me dit Anthony. C’est le premier bébé à être né ici. Sa mère s’appelle Nana ; c’est une matriarche de cinq tonnes. Elle a 32 ans et c’est le premier éléphant avec lequel Anthony a créé un lien. Après la naissance de Mvula, Nana l’a sortie de la brousse et l’a amenée jusqu’à sa Land Rover. « J’ai commencé à reculer – je ne voulais pas déranger la mère et le bébé – mais elle a continué à s’avancer vers moi. Elle a amené le bébé jusqu’à ma porte. Il n’avait que trois ou quatre jours. Elle m’a présenté à lui. »
Des années plus tard, Anthony a rendu la pareille. « Lorsque j’ai eu un petit-fils, - je me suis assuré qu’il y avait une clôture électrique, mon fils et sa femme n’étaient pas des plus heureux à cette idée – Nana est venue vers moi et je lui ai présenté le bébé en le tenant à bout de bras. Je me trouvais à environ 10 m d’elle. Sa trompe s’est levée, elle était en train de sentir – elle a compris, elle savait exactement ce que j’étais en train de faire. »
Le conte des éléphants commence en août 1999 lorsqu’on a demandé à Anthony de trouver un foyer pour sept éléphants « délinquants » de Mpumalanga. Il pouvait les avoir gratuitement. Thula Thula (« thula » signifie « paix » ou « tranquillité ») a été créé en 1911 et c’est la plus ancienne réserve privée des natifs KwaZulu. Anthony était promoteur avant d’acheter la réserve de 2 000 hectares, située sur les collines vertes embrumées, autrefois le terrain de chasse du roi Shaka. « J’ai toujours compris la nature », dit-il. « J’ai grandi dans la brousse, en Zambie et au Malawi, avant de terminer mes études au lycée d’Empangeni. Mais je n’avais jamais travaillé avec des éléphants auparavant. »
Les éléphants sont entrés dans la boma (avec clôture électrique) aux environs de deux heures du matin durant leur première nuit à Thula Thula. « La nuit suivante », dit Anthony, « ils s’étaient échappés. » Le troupeau s’est déchaîné, chargeant les gardiens et piétinant la hutte d’un ranger. Une recherche a été lancée par hélicoptère pendant qu’Antony et sa femme française, Françoise, ont pris les petites routes. Françoise – blonde, sculpturale et amenant le chic parisien à la mode saharienne – a hélé un passant : « J’ai demandé, ‘Vous n’auriez pas vu sept éléphants par hasard ?’ Il m’a regardé. Il a regardé à droite, puis à gauche puis il a secoué la tête. ‘Non Madame.’ »
Anthony a récupéré ses éléphants, mais un tour de plus à la Houdini et ils étaient tués. Désespéré, il est parti vers la boma et y a séjourné, juste à côté, à l’extérieur, 24 heures sur 24. « Ils étaient devenus dingues. Des éléphants fous. Mais ce que j’ai fait, c’est que je les ai ignorés. Je me tenais à l’écart et je lisais un livre. »
Pendant deux semaines, il n’a dit que des banalités. ‘« Coucou mes bébés, comment ça va ? Qu’est-ce qui se passe ? Tu es magnifique. Ooh, tu es un beau garçon. » Juste des bêtises. Ils ont perçu la vibration.’ Et un jour, l’atmosphère malveillante a soudain disparu. ‘Tout était calme. Nana a tendu sa trompe vers moi… elle cherchait simplement à me renifler. Alors j’ai pris une décision et je les ai laissés sortir.’ Le troupeau ne s’est plus enfui.
Cette prouesse lui a valu le titre de « l’homme qui murmurait à l’oreille des éléphants » Mais qu’est-ce que cela signifie ? Anthony, un grand conteur, passionné de protection de l’environnement – rit lorsque je le lui demande. « Quelqu’un a inventé cela à mon sujet et c’est apparu dans les magazines du monde entier.’ Une meilleure description, dit-il, serait « l’homme qui écoutait les éléphants » Oui, il a vu le film de Robert Redford, L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux et a rencontré une fois un véritable « murmureur à l’oreille des chevaux » à Los Angeles qui utilisait des méthodes similaires. Mais c’est juste un terme à la mode, pense-t-il. « Vous avez des hommes qui murmurent à l’oreille des chevaux, à celle des éléphants… un jour, vous aurez un homme qui murmure à l’oreille des phacochères. »
Ceci dit, il est en train de faire des recherches sur cette forme particulière de communication. ‘J’étais dehors, par une journée vraiment chaude, debout sous un arbre, à rêver. Le troupeau était à 50 m de là. Je me souviens avoir remarqué quelque chose qui émanait du troupeau, comme un ton émotionnel. J’ai pensé, « Mon Dieu, qu’est-ce que c’était ? » Mais c’était déjà parti.’
Plus tard il réalisa que cela ne se produisait que lorsqu’il se contentait « d’être simplement là », sans se concentrer sur quoi que ce soit. A partir de cette émanation, il évalue l’humeur du troupeau, même des éléphants individuellement, dit-il. « Je sens quand un problème va arriver, qu’ils soient nerveux ou contents. C’est un peu bancal, aux frontières de la science. Cela a l’air d’une chose mystique, spirituelle – cela ne l’est pas. C’est juste une façon de faire. » Le sentiment dominant dans le troupeau est un sentiment chaud, comme familial. « Puis il y a le sentiment de « je suis le chef », comme si vous entriez dans une boîte de nuit à Durban et rencontriez les videurs. Cela vient des mâles. Cela change dans le troupeau, d’éléphant à éléphant. »
Nous partons pour un trajet en voiture dans la réserve, à travers des forêts, au-dessus de la rivière Nseleni, là où les girafes s’élèvent des champs de fleurs jaunes et où la région boisée luxuriante forme une toile de fond surréelle pour les éléphants, comme s’ils avaient envahi un jardin botanique. Un mâle nous suit – il s’appelle aMabello, une version modifiée de son nom original qui signifiait ‘poitrine’ en zoulou, le résultat d’un mélange de genres à la naissance. C’est sa première « musth », une période sexuelle agressive alimentée par la testostérone.
aMabello bat des oreilles sur le haut d’une colline, traverse un lagon en éclaboussant pour agiter sa trompe face à nous et nous chasse sans enthousiasme vers une piste verte. ‘Il est maintenant le mâle dominant,’ dit Anthony. ‘Il veut être le caïd, il veut du respect mais il est trop peu sûr de lui.’ aMabello, âgé de 17 ans, a récemment pris le pouvoir après la mort du vieux mâle, mNumzane (« Monsieur »).
Les os de mNumzane gisent près d’une piste sale, aux mains de la nature (ses défenses ont été enlevées et sont en sécurité). La carcasse possède l’odeur nauséabonde de pourriture mais des vautours ont nettoyé son crâne, révélant ainsi deux trous nets de balles. Anthony parle de mNumzane avec beaucoup d’affection, avec une touche de tristesse. « Nous avions une relation formidable. Il venait au pavillon deux fois par semaine pour me chercher. »
mNumzane était l’un des sept Mpumalanga d’origine ; lorsqu’il était jeune, sa mère et son frère ont été tués devant lui. En 2007 il est devenu un éléphant solitaire enragé ; un ami neurologue a dit à Anthony qu’un si grand changement de caractère pouvait être le signe d’une tumeur au cerveau chez les humains. (Aucune autopsie n’a été pratiquée.)
Une nuit, mNumzane attaqua Anthony et deux invités. « Il a détruit ma Land – 250 000 R de dommages en 30 secondes. » Les visiteurs ont crié à plusieurs reprises. « Ce qui est la chose à ne pas faire », dit Anthony. L’éléphant adulte, 3,5 m au garrot, dans une colère folle, a fait faire des tonneaux à la voiture avant qu’Anthony ne tire trois coups en l’air et ne commence à parler. mNnumzane s’arrêta et écouta, dit-il. « Le pare-brise était cassé. Il a mis sa trompe là à l’intérieur et m’a touché, comme pour me dire « désolé », puis est parti et a commencé à manger un buisson. Il était tout calme. »
Même là Anthony était réticent à le tuer. Mais mNumzane était devenu dangereux : il avait ravagé des tentes, chargé des rangers et saccagé un véhicule vide de la réserve. Finalement la décision fut prise. « C’était si difficile. J’aimais vraiment cet éléphant. Lorsqu’il m’a vu, il est venu vers moi. J’ai pensé « Oh mon Dieu ! Je ne peux pas faire cela. » Donc j’ai demandé aux professionnels de venir. »
Baby Thula a été une autre perte, né en 2004, incapable de tenir debout après que ses jambes arrières aient été écrasées dans l’utérus. Le troupeau l’abandonna, donc les rangers capturèrent le bébé de 120 kg, une mission figurant sur Carte Blanche, et les Anthony la prirent sous leur aile. Elle est morte cinq semaines plus tard.
Maintenant au nombre de 14, les jumbos ont rendu la réserve célèbre. « Nous avons pris un troupeau problématique, ajouté d’autres éléphants traumatisés et ils se sont réhabilités dans la nature. Nous sommes fiers de cela, » dit Lawrence qui est en train d’écrire son second livre, Le troupeau, au sujet de Thula Thula.
Le lendemain matin, nous sommes partis en hors-piste, sur une piste d’éléphants et les géants gris ont traversé juste devant nous. Je cherche E.T. des yeux – Enfant Terrible, un éléphant de Gauteng qui a été sauvé de la ligne de mire d’un chasseur de trophée américain. Thula Thula a acheté E.T. le lendemain de l’expiration du permis du chasseur. Elle a mis du temps pour s’adapter et a chargé Anthony plusieurs fois. « Puis la matriarche a fait une chose incroyable, » dit-il à propos d’un évènement. Nana a pris sa trompe et l’a simplement touchée au milieu du front. Et E.T. s’est arrêtée net.
Au début, Anthony marchait au milieu des éléphants mais aujourd’hui il garde ses distances. « Mon but était de les aider à s’adapter, pas de les apprivoiser. C’était une expérience très intéressante mais je n’ai pas l’intention de la poursuivre avec de nouveaux éléphants. Je maintiens la relation avec la matriarche et le mâle ; cela durera le temps d’une vie. Pour moi, c’est suffisant. » Ses rangers préfèrent que les choses soient également ainsi. Donc je ne vois pas Anthony « murmurer » aux éléphants – de façon ironique, cela rend son exploit plus crédible.
Anthony, 57 ans, est également le sauveur du zoo de Bagdad. En avril 2003, il est parti en Iraq pour s’occuper des animaux au milieu du chaos de la guerre, avec d’anciennes recrues d’Afrique du Sud pour l’aider à défendre le zoo contre les pilleurs. Il a reçu la médaille de la Journée de la Terre des Nations Unies (un des précédents gagnants était Al Gore) pour ses efforts et son livre au sujet du sauvetage, L’arche de Babylone a inspiré un film hollywoodien que Taylor Hackford (metteur en scène du film Ray qui a obtenu un oscar) devrait réaliser.
Anthony a aussi fondé The Earth Organization, un groupe international de protection de l’environnement et il est le premier membre sud africain du Club des Explorateurs de New York. Localement, il est impliqué dans le projet «de la biosphère Royale zulu», en faisant la promotion d’une réserve géante à travers des territoires tribaux ; à l’étranger, il a joué un rôle clé dans les négociations de paix en Ouganda, en gagnant la confiance de l’armée de la Résistance du Seigneur tout en essayant de sauver le rhinocéros blanc.
En 2007, il est allé au Soudan pour des pourparlers de paix ; il a trouvé les rebelles et les a convaincus de protéger les rhinocéros dans le parc national Garamba du Congo, près de la frontière ougandaise. ‘Je suis allé les voir et leur ai dit, “tous les rhinocéros sont en train de mourir, vous devez arrêter de les tuer.” Nous avons découvert que le rhinocéros était leur totem spirituel.’ Ils ont signé un accord en étendant leur cessez-le-feu pour inclure les rangers de la réserve et entreprendre la protection des espèces menacées dans leur zone d’opération. Maintenant des appels téléphoniques d’une grande importance arrivent aux quartiers généraux d’Anthony : la cuisine de leur modeste maison à Thula Thula.
Notre dernier jour à la réserve nous conduit à un bébé impala, un gnou nouveau-né et un pèlerinage chez les éléphants qui paissent près de la barrière. Nous sommes assis dans la Land Rover et observons. Anthony ne les appelle pas. Les choses sont telles qu’elles devraient être. C’est la fin du murmure à l’oreille des éléphants – le travail est terminé.
Texte de Genevieve SWART. Traduit par Catherine SHEAHAN

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