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Gestion de l’eau au Sénégal : quand des multinationales françaises se livrent une bataille informationnelle

Publié le 07 décembre 2018 par Infoguerre

Gestion de l’eau au Sénégal : quand des multinationales françaises se livrent une bataille informationnelle

En 1996, la SDE (Sénégalaise Des Eaux) a été mandatée par l’Etat du Sénégal pour le contrat d’affermage  relatif à la gestion de l’eau dans le périmètre urbain et périurbain  du Sénégal pour une durée de  dix ans. Depuis lors, ledit contrat a été prolongé plusieurs fois par des avenants dont le dernier fixe l’échéance  à fin décembre 2018. En 2017, face à la l’expansion démographique, le Gouvernement du Sénégal,  décidé à donner un nouveau souffle à l’hydraulique urbaine lance un nouvel appel d’offre pour le contrat d’affermage. En réponse à cet appel d’offres,  la SDE confiante eu égard à son expérience et au long partenariat avec l’Etat du Sénégal, postule  naturellement ainsi que deux autres multinationales  françaises évoluant dans le domaine : Veolia et Suez.

Aussitôt après le lancement de l’appel d’offres, la SDE  commence  à dresser  le  bilan  de ses réalisations et soutient qu’elle devrait continuer à opérer en raison de ses bonnes performances. Ainsi le 1er  juin 2018, la SDE s’est déclarée vainqueur et attributaire du nouveau contrat. Cette position est confortée par le ministre en charge du dossier qui déclare que la SDE a fait la meilleure offre (offre la moins disante) quant au prix de distribution de l’eau aux populations,  critère qui était capital, selon les termes de l’appel d’offres. Le  3 juin, l’Etat via le ministère de l’hydraulique dément avoir attribué le contrat d’affermage à SDE et précise que le processus de sélection est toujours en cours. En effet, l’appel d’offres international qui a été lancé permet de retenir, après évaluation, les offres techniques des trois entreprises suivantes : SDE, Véolia et Suez. La suite de la procédure est marquée par la proposition d’offres financières par les trois entreprises citées ci- dessus. Ces offres sont évaluées par la Commission mais, à elles seules, ne suffisent pas pour l’adjudication d’un marché public.

C’est pour dire donc que la procédure d’attribution suit son cours normal et ce n’est qu’à l’issue d’une évaluation à partir de tous les critères préalablement établis qu’on pourra connaître le nom de l’entreprise attributaire du contrat d’affermage portant gestion et exploitation de l’hydraulique urbaine au Sénégal. Le ministre conclut que l’attribution se fera dans un délai de quelques jours, le temps d’appliquer toute la procédure. Le processus prend  fin en septembre 2018.

Entre temps, chacune des parties essaie d’avancer des arguments en sa faveur tout en tirant sur ses adversaires. La SDE forte de ses 22 ans de présence à travers un partenariat public-privé avec l’Etat, met en exergue  les résultats satisfaisants de sa gestion. La SDE qui emploie plus de 1200 nationaux est un exemple réussi de partenariat privé/Public et cité en exemple par la Banque mondiale pour avoir aidé à atteindre les objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Cependant, elle est accusée par ses concurrents de manquements graves et de pénuries récurrentes et chroniques d’eau dans la capitale dont le pic est survenu durant  le mois de septembre 2013 avec une pénurie générale d’eau ayant duré plus de quinze jours. Il faut noter aussi que dans certains quartiers de Dakar, la capitale sénégalaise, il y a des coupures quotidiennes d’eau surtout en banlieue où  résident d’importantes populations du pays.

Veolia met en avant son leadership dans le domaine environnemental, l’importance de son capital (24,5 milliards d’euros)  et sa présence dans  plusieurs pays. Cependant, son conflit ouvert avec l’Etat gabonais est rappelé pour faire dire que Veolia  n’a pas toujours réussi en terre africaine. De même sa collaboration avec le Sénégal, il y a quelques années dans la gestion des déchets avait mal tourné.

Si le groupe Suez joue de sa position de leader mondial et sa présence dans plusieurs pays, il  est critiqué par ses adversaires comme étant lié à des scandales de corruption et fautes de gestion en France et dans beaucoup de pays européens.  Les adversaires et une partie de l’opinion publique locale affirment que des membres influents du gouvernement appuient Suez qui a reçu l’assurance d’être l’attributaire final de l’appel d’offres. En plus, il se dit que le Top Management de Suez a en même temps essayé de débaucher des responsables de la SDE avec comme argument que le contrat leur serait attribué et tout cela avant le choix final et officiel du gouvernement. Suez peut en outre se targuer d’avoir remporté au Sénégal une partie du marché de construction de la station de traitement d’eau potable devant assurer  l’alimentation du triangle urbain Dakar-Thiès-Diamniodio d’ici à 2035. Diamniodio est la nouvelle ville et pôle d’émergence économique du Sénégal destinée à accueillir les principaux projets du Sénégal pour la prochaine décennie.

Les dégâts collatéraux liés à ce conflit informationnel

Le 23 octobre 2018 après plusieurs semaines d’attente, le ministère de l’hydraulique annonce que le contrat d’affermage a été attribué à Suez.  Ce que la société Suez a confirmé dans un communiqué de presse. Les responsables de la SDE et Véolia déclarent  qu’ils vont  déposer un recours gracieux auprès du ministère de l’hydraulique. La SDE argumente qu’elle a fait la meilleure offre financière au vu du prix de distribution du mètre cube d’eau (286,9 F CFA le mètre cube d’eau pour la SDE, 298,5 F CFA/m3 pour Suez et 366,3 F CFA/m3 pour Veolia). Cela est reconnu publiquement par le ministre de l’hydraulique. L’option de la continuité présentait aussi une meilleure garantie pour l’emploi et la qualité de  service. Le groupe Veolia, quant à lui, souhaite  obtenir les critères précis qui ont fondé cette décision et se pose des questions quant à la fiabilité de l’adjudication de l’appel d’offres. Le 31 octobre 2018, le ministère rejette les recours gracieux  de la SDE et Veolia en soulignant que les travaux de sélection et d’attribution sont menés, selon la procédure. La SDE réplique et prévoit d’entamer un recours en contentieux auprès de l’Autorité de régulation des marchés. Selon les règles, l’appel  d’offres prévoit que le moins disant devait l’emporter. Si tel est le cas, la SDE est la moins disante, selon les prix d’exploitation  rendus publics par le ministre en juin dernier. Pour la SDE et Veolia, tout ne s’est pas passé dans la transparence et la rigueur.

Pour la suite de la procédure, il est peu probable que l’attribution  du contrat d’affermage à Suez soit annulée ou revue.  Cependant, il faut souligner la détermination des parties prenantes de dérouler tous les recours possibles jusqu’à la Cour Suprême avant de s’avouer vaincus. En tout état de cause et  qu’importe celui qui va exécuter le contrat, la confiance avec le peuple (futurs clients)  sera fortement entamée car leurs défauts et faiblesses ont été   étalés au grand jour. Pour Suez, qui même, s’il reste le principal attributaire verra son image fortement ternie par des soupçons de fraude, de pratiques douteuses et d’accointance avec le régime en place.  Suez a aussi été décrite comme la plus française des multinationales en jeu. (SDE, Suez, Veolia). Sur le plan politique, le régime libéral en place en prend un  sacré coup car il a toujours été accusé d’être au service de l’ancienne métropole (France).

En définitive, à y voir de plus près, tous les acteurs de ce scénario sortent  perdants de cette confrontation car le manque de confiance en est la principale résultante. Pour les multinationales en jeu, il en ressort un manque de confiance par rapport aux futurs clients(le peuple) et pour l’Etat, un manque de confiance par rapport à ses administrés car l’opinion n’oubliera pas de sitôt les discours contradictoires tenus au plus haut sommet de l’Etat. L’image de l’ancienne métropole dégringole également car, d’habitude, elle parlait d’une seule voix mais pour ce cas de figure, il y a eu plusieurs divergences.

Ousmane Ndiaye

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