Magazine Culture

14-18, Albert Londres : «La fanfare est sur la première arche, elle n’en bougera pas.»

Par Pmalgachie @pmalgachie
Les Britanniques franchissent le Rhin
(De notre correspondant de guerre accrédité aux armées britanniques.) Cologne, 12 décembre. Plus on va, plus les observations qui vous frappèrent dès le début s’accentuent. L’Allemagne ne comprend qu’elle est vaincue que lorsque, sur ses pavés, elle entend sonner le pas des vainqueurs. Ainsi, il en fut à Cologne. Souvenez-vous un moment de la ligne Hindenburg, des formidables jours de guerre de septembre à octobre, alors que craqua la dernière muraille ennemie. Résisterait-elle, s’effondrerait-elle ? Ce fut l’angoissante énigme de ce temps. Elle tomba. L’un des premiers succès qui décida de sa chute fut Drocourt-Quéant, la charnière. C’est l’Anglais Ferguson qui le remporta. La prise de possession de Cologne C’était lui, hier, qui, à Cologne, arrivait. Arrivait pour faire la loi. Il fit son entrée par la gare venant par train. La possession fut immédiate. De suite, sur les murs fleurirent les affiches blanches ; elles étaient signées Plumer, commandant d’armée, la deuxième armée, celle qui occupe. Rien de nouveau dans ses articles que les mesures ordinaires du vainqueur : interdiction de la circulation, fermeture des établissements à sept heures du soir, suppression des journaux ; des avertissements de soumission suivaient. Cologne, qui, comme toutes les villes allemandes, avait reçu ses troupes battues sous les fleurs, commença à saisir la signification de l’armistice. Le soir, la fête tomba, on n’entendit plus dans la Hohestrasse les orgues de barbarie ; les tirs, distraction nationale à l’égal du cinéma, ne brûlèrent plus de poudre, les gens s’enfermèrent, les poings se rongèrent : villes de Belgique, villes de France martyrisées ! une fois encore dans la personne d’une cité de sept cent mille âmes, vous étiez vengées ! Le lendemain et aujourd’hui 12 décembre 1918, flammes de la lance au vent, la cavalerie de George V apparut. Elle était reluisante comme pour une parade de gala. Les chevaux, tous le poil fait et choisis, les cuirs passés au velours, les hommes rasés d’une demi-heure. Même sans soleil, car il pleuvait, elle resplendissait. Elle ne faisait pas une vaine entrée, s’exposer dans un défilé n’était pas son programme, elle ne s’arrêterait pas ; Cologne pour elle n’était pas un but, c’est plus loin qu’elle allait. De même que tomba la muraille Hindenburg, l’autre, le grand fossé national, le Rhin, allait s’écrouler. Cologne n’avait pas mis ses volets comme d’habitude, Allemands et Allemandes circulaient. Ce n’est pas la sensibilité qui les étouffera. Le passage s’opéra par le pont Hohenzollern, grand pont de Cologne. À la tête, je vous l’ai déjà dit, Guillaume Ier ; à gauche, Guillaume II, à cheval et en bronze, partent sur la Gaule. Juste au-dessous de la statue du Guillaume vaincu s’étale une terrasse. Plumer, le vieux, le rude Plumer, et, derrière lui, en casquettes à bande rouge, cent officiers de son état-major pour assister à l’acte historique, par hasard, ont choisi cette tribune. Au fond, du côté d’où viennent les vainqueurs, la cathédrale tout entière vue par son chevet, entre la cathédrale et la montée du pont, haie d’Allemands, puis le pont avec ses deux Guillaume. En avant. « Sambre-et-Meuse » devant les Guillaume La fanfare est sur la première arche, elle n’en bougera pas, la voilà qui attaque : c’est Sambre-et-Meuse. Si le Rhin pouvait parler je lui aurais demandé son impression, Sabre au poignet, les cavaliers de Londres, d’Écosse, des comtés, franchissent le fleuve. C’est un ensemble sur qui les photographes se précipitaient affamés. C’est celui de la terrasse et de ce qui la surplombe. Ce qui la surplombe, c’est Guillaume II, il détourne du spectacle sa tête de bronze, ce n’est pas qu’il a honte, c’est qu’il ne voit ni ne comprend rien, c’est du moins ce qu’explique le geste de son bras droit qui à toute la Germanie dit : suivez-moi. En dessous, de plain-pied avec la terre, sur la terrasse, est planté le drapeau anglais, l’entourant les cent casquettes rouges, devant ces casquettes, Plumer qui salue et à côté de Plumer le petit chien blanc du général, sur son derrière. Les cavaliers sans arrêt passent. La fanfare change de carton, c’est maintenant l’air de Faust, gloire immortelle de nos aïeux. Ça c’est pour les mânes de Guillaume Ier. Les cavaliers passent, chacun sur son visage porte toute la dignité de l’Angleterre. De voir une armée qui quatre ans se battit, des hommes aux chevaux et au matériel si éclatants, les Boches qui regardaient crottée partir la leur en ouvrent la bouche. Jusqu’au haut du manche du fouet qui toute fraîche a sa petite bague blanche au ripolin. Yeux à droite, hurle à ses soldats chaque chef d’escadron quand il arrive devant la terrasse, si bien que les autos mitrailleuses ont elles-mêmes entendu, elles n’ont pas d’yeux, mais le moment venu elles tournent vers Plumer en signe de salut leurs canons de fusil et Guillaume est juste derrière Plumer, ce qui est très amusant. Nous sommes de l’autre côté, le Rhin est franchi, encore trente kilomètres à couvrir, la victoire se précise ; il fallait ça. Le Petit Journal, 15 décembre 1918. 14-18, Albert Londres : «La fanfare est sur la première arche, elle n’en bougera pas.» Albert Londres. « Je ne dis que ce que je vois » 3,99 euros ou 12.000 ariary ISBN 978-2-37363-076-3

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Pmalgachie 8645 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines