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Richard Wagner et Catulle Mendès au temps de La Revue fantaisiste

Publié le 18 décembre 2018 par Luc-Henri Roger @munichandco

Richard Wagner et Catulle Mendès au temps de La Revue fantaisiste

Le poète, chroniqueur et romancier Catulle Mendès, né à Bordeaux en 1843, arriva à Paris en août 1859. Soutenu par son père qui lui en procure les fonds, il créa en 1861 la Revue fantaisiste, pour laquelle il parvint à recruter des écrivains qui allaient entrer au panthéon de la littérature française: Théophile Gautier, Théodore de Banville, Baudelaire, Gasperini, Arsène Houssaye, Villiers de l'Isle-Adam, Daudet, Champfleury, etc.

Après avoir assisté au deuxième concert donné par Wagner à la salle Ventadour, Catulle Mendès se rendit chez le compositeur pour l'inviter à devenir contributeur de la Revue fantaisiste. Wagner promit sa participation mais n'envoya pas les articles que la revue avait déjà annoncés. La revue ne connut que quelques numéros, elle fut publiée de manière bimensuelle du 15 février au 15 novembre 1861.

En octobre 1907, suite à la découverte de lettres françaises inédites de Wagner, le journaliste Georges Price publia un article dans le Gil Blas consacré à ces premiers contacts entre Wagner et Catulle Mendès :

" Richard Wagner et Catulle Mendès

[Un article de Georges Price dans le Gil Blas du 5 octobre 1907]

On a récemment exhumé un certain nombre de lettres de Richard Wagner. Une bonne fortune nous en livre quelques-unes, qui achèvent d'éclairer l'âme troublée de l'illustre maître, et - mettent en singulière lumière la cuisante blessure d'amour-propre que lui avait infligée l'échec de Tannhæuser.

Ces lettres sont curieuses à un autre titre. Elles contiennent, sur M. Catulle Mendès, une série de prophéties étranges, qui montrent que, si Richard Wagner avait su deviner le précoce talent du jeune écrivain, il formulait, sur son avenir poétique, des opinions, qui, aujourd'hui, appellent le sourire.

La première de ces lettres est adressée à Victor Cochinat, le bon écrivain nègre, ancien collaborateur du Mousquetaire d'Alexandre Dumas, et directeur d'une revue qui s'appelait la Causerie.

Elle est datée du 25 mars 1861, et a été écrite, par conséquent, douze jours après la représentation de Tannhaeuser, qui est du 13 mars.

Vous me demandez, pour la Causerie, dont vous êtes l'intelligent directeur, une lettre à publier. Je vous prie de bien vouloir m'excuser de ne vous envoyer qu'une petite, où je vous remercie sincèrement de votre article, mais je vous prie instamment, de ne pas publier celle-ci. Car après tout ce qui s'est passé, je ne verrais que des inconvénients si vous me forciez de sortir de l'ombre où un injuste sort m'a jeté après la chute de Tannhaeuser.

Je vous avoue, Monsieur, que je suis fort étonné de l'attitude des Parisiens, et surtout de celle des abonnés de l'Opéra. C'est peut-être ma faute, car M. le directeur de l'Opéra m'avait averti que ses abonnés avaient besoin d'un ballet pour digérer leurs dîners. Je croyais d'abord que c'était une plus ou moins bonne plaisanterie. Hélas ! ce n'était que trop vrai. Et je suis, comme lui, persuadé que je suis à jamais exclu des théâtres français. Car ce qui s'est passé le jour de ma première se répéterait éternellement et partout en France. Est-ce que les badauds du boulevard ne chantent pas ma chute, est-ce que les crieurs des rues ne vendent pas des sifflets " Wagner ".

Et on me dit que ce n'est pas fini ! On me jouerait aux revues de fin d'année, et quelques personnes ignobles m'écrivent des lettres hideuses. Seulement j'étais très touché de la présence de S. M. l'Empereur et de S. M. l'Impératrice qui sont même venus le second jour. Mais ma chute était voulue, voulue.

Je vais faire un voyage, mais je ne quitte pas Paris, sans gratitude, un sentiment de grande reconnaissance me guide. Car j'ai reçu des lettres encourageantes de gens de lettres, Notamment d'un jeune homme, dont vous avez peut-être entendu parler, car il a fondé une revue, la " Revue Fantastique ",ou " Fantaisiste " et m'a invité à collaborer. Je nomme M. Catulle Mendès. Quoiqu'il n'ait que 16 ou 17 ans [Catulle, né le 22 mai 1841, a en fait 19 ans déjà bien sonnés, NDLR], il montre infiniment la grâce et l'esprit parisiens,et je crois que M. Mendès pourra devenir un critique juste et généreux. Je ne sais pas s'il veut persévérer dans cette voie, mais toute la tendance de cette revue, dont je garde précieusement le premier numéro me dit que ce jeune homme, est un homme de talent ; quand il aura terminé ses études, je crois même qu'il pourra rendre de réels services à la littérature française. On m'a montré quelques petites poésies qu'il a écrites et elles sont dédiées à un M. Glatignau ou Glatigny qui m'a écrit également, mais je ne crois pas que M. C. Mendes est un bon poète et qu'il ne le sera jamais. Car il manque de versification ; il sera sans doute un meilleur critique. Mais il ne le faut pas gâter. Du reste, vu que c'est un enfant précoce, il est bien possible qu'il meure trop tôt, car les jeunes gens ainsi doués n'ont pas une longue vie. J'espère pour lui plutôt une fin prématurée que des déceptions comme les miennes. Mais il n'en aura peut-être pas ; du reste, il ne sera que critique et ce sera pour lui peut-être ce qu'il lui faut. On m'a présenté soudain Gasparini qui m'a promis un très bel article dans la R... de la façon du vôtre, mais que voulez-vous ; je suis à jamais perdu pour France. J'ai besoin de gagner ma vie et je ne sais pas, si, après cette chute, on me prendra encore pour sérieux. Je vous prie et vous demande votre parole de ne pas publier cette lettre, je vous ai écrit une autre qui est pour vos lecteurs. Car si vous la publiiez, on se moquerait encore plus de moi. J'en ai assez. J'en ai tellement assez ; il faut que je voyage.

Félicitons-nous que le fâcheux pronostic du compositeur, motivé par la précocité de M. Catulle Mendès, soit resté enfermé dans une lettre privée. Aujourd'hui que quarante-six ans nous séparent de l'époque où il a été formulé, on peut le publier sans craindre d'impressionner l'auteur de la Vierge d'Avila.

La veille du jour où il adressait cette lettre à Victor Cochinat, Wagner écrivait à Jules Noriac une lettre où il est encore question de M. Catulle Mendès. Il est assez singulier qu'après avoir très correctement écrit dans cette lettre le nom d'Albert Glatigny, il fût si peu fixé sur son orthographe, vingt-quatre heures plus tard, comme on l'a vu ci-dessus.

A M. Jules Noriac, Paris.

J'ai manqué votre visite et celle de M. Albert Glatigny ; j'en suis désolé ! Vous m'écrivez de belles paroles qui me fortifient. Jamais je n'ai entendu un bruit aussi infernal. M. Catulle Mendès a bien voulu m'inviter à collaborer à la Revue dont vous parlez ; j'accepte et je vous enverrai très prochainement mon premier article sur ce que vous me demandez. Je suis d'accord avec vous quant à ce que vous dites de ce jeune homme.

Richard Wagner a-t-il tenu sa promesse et envoyé des articles à la Revue Fantaisiste de M. Catulle Mendès ? On pourrait le croire d'après la couverture de la Revue, qui porte effectivement le nom du grand compositeur parmi celui des collaborateurs. Je ne crois cependant pas qu'il y ait écrit, bien que l'intention qu'il en avait manifestée justifie l'adjonction de son nom à la liste des collaborateurs. Je crois plutôt que c'est en 1866 seulement que Wagner a écrit dans la revue l'Art, à côté de M. Catulle Mendès.

En somme, il résulte de ces lettres que, s'il avait éprouvé de la chute de son œuvre un chagrin qui, comme on a pu le voir, confinait au désespoir, il n'était pas aveuglé par cette douleur au point de rendre le genre humain responsable de sa déception. Il gardait dans cette phase cruelle de sa vie assez d'empire sur lui-même et de sang-froid pour discerner ceux qui l'avaient soutenu. Il se consolait par le sentiment de l'admiration qu'il inspirait à la jeunesse intelligente, et il trouvait dans son cœur assez de force pour s'inquiéter, au milieu d'un flot d'amères paroles, de l'avenir du brillant écolier" dont les mains adolescentes s'étaient efforcées de mettre du baume sur sa blessure.

Richard Wagner et Catulle Mendès au temps de La Revue fantaisiste

Effectivement la Revue fantaisiste mentionne systématiquement dans ses quatrièmes de couverture le nom de Richard Wagner parmi les collaborateurs. Elle annonce même le titre d'un article promis par Wagner et évoque son contenu, les théories sur l'art musical du compositeur, mais on ne trouve cet article dans aucun numéro de la revue.

Richard Wagner et Catulle Mendès au temps de La Revue fantaisiste

Richard Wagner et Catulle Mendès au temps de La Revue fantaisiste

On ne peut douter que bon nombre de collaborateurs de la revue aient été des wagnériens de la première heure, au moment même des répétitions puis du désastre du Tannhäuser. Ainsi Gasperini y consacre-t-il une Revue musicale écrite avant même la première du 13 mars, mais parue le 15 mars. Le 1er mai, dans la Revue de la quinzaine, Catulle Mendès rappelle que " il y a un mois, le Tannhäuser fut hué " , et annonce qu'il y reviendra bientôt. Puis Charles Asselineau qui signe la Revue musicale de la Revue fantaisiste du 15 mai évoque la chute " imméritée et violente "de Wagner:

" Hélas! Richard Wagner, que l'on commence à croire sur parole, Wagner, que sa chute imméritée et violente, et les blagues indécentes du bas journalisme auront mieux servi qu'un succès chauffé à blanc, a t-il donc tant de tort de nous dire que nous n'aurons jamais de musiciens originaux en France, que quand on aura cessé de tailler tous les livrets sur le même patron, et de les demander tous aux mêmes, c'est-à- dire au même faiseur ? "

Bien plus tard, en 1884, dans la Légende du Parnasse contemporain (pp. 100 et 101), Catulle Mendès se souviendra de sa première rencontre avec Wagner:

" [...] À Paris déjà - à propos de la Revue fantaisiste - j'avais eu occasion de le voir chez lui, rue d'Aumale, si j'ai bonne mémoire. Mais c'avait été peu de temps avant la première représentation de Tannhäuser à l'Opéra ; tourmenté par mille tracasseries, par des " misérabilités ", comme il disait, il en était arrivé au dernier degré de l'exaspération nerveuse. Un chat en colère, hérissé, toutes griffes dehors. Le moment était mal choisi pour lier connaissance avec lui, et d'ailleurs mon extrême jeunesse eût été un obstacle à une familiarité un peu intime. " [...]

Par la suite, il reverra Richard Wagner à Munich le 12 juillet 1865, à l'occasion d'un concert que donna le compositeur en présence du roi et de quelques invités dans la salle rococo du Théâtre Cuvilliés. Catulle Mendès avait envoyé un sonnet à Wagner qui l'avait convié à son concert.

Mais les rencontres les plus significatives n'auront lieu qu' à l'été 1869 lorsque les époux Mendès et Villers de l'Isle-Adam se rendront à deux reprises à Triebchen.


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