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Malentendu(s)

Publié le 10 janvier 2019 par Jean-Emmanuel Ducoin
Malentendu(s)Lire le dernier livre de Michel Houellebecq. Ou pas… 
Chair. Au secours, Michel Houellebecq est donc revenu! Et avec lui, comme le marqueur indélébile de notre époque, la cohorte des observateurs plus avisés que jamais pour tenter de percer les mystères du «phénomène» littéraire incarné. La lecture de "­Sérotonine", déjà tiré par les éditions Flammarion à plus de trois cent mille exemplaires, s’avère être une épreuve. À plus d’un titre. Relevons une première évidence: existe-t-il de nos jours un autre écrivain de renom sachant, mieux que lui, «faire ­remonter» à la surface les agitations crépusculaires enfouies dans les tréfonds de notre société? Le bloc-noteur ne répondra pas. Ce serait admettre, en cette rentrée littéraire de janvier, qu’il est normal que des ­dizaines d’autres auteurs soient maintenus dans le silence et, de surcroît, dans l’échec commercial programmé. D’ailleurs, la simple évocation ici même du «cas Houellebecq» y participe. Alors pourquoi y consacrer de l’énergie vitale? Au moins pour une raison. Rares sont les écrivains qui parviennent à mettre leur peau sur la table, à payer de leur propre personne, à se sacrifier à travers leurs personnages. Celui de "Sérotonine" en devient une caricature, une mise en abîme. Comment ne pas voir le Houellebecq exécrable dans ce Florent-Claude Labrouste, 46 ans, ingénieur agro, expert ministériel, grand fumeur et belle fortune, homme désabusé de tout, conjuguant pessimisme et nihilisme à tous les temps? N’est-ce pas là, encore une fois, l’origine des malentendus «houellebecquiens»? Si Houellebecq ­dérange autant, c’est moins par les relâchements (coupables) de son écriture souvent redondante que par ce qu’il génère en tout lecteur attentif, du moins ceux qui se montrent incapables de le lire au premier degré – ce serait pourtant la bonne méthode. Ancré dans son image de «provocateur visionnaire» qu’il surjoue pour dénoncer le triomphe du libre-échangisme et du grand commerce mondial, Michel Houellebecq poursuit son travail de sape idéologique. Pensées primaires, cynisme, xénophobie, misogynie, homophobie, absence absolue d’espoir dans la vie sociale ou dans l’amour, etc., sans que nous ne sachions, bien évidemment, à qui profite le crime littéraire ainsi réitéré… Ne soyons pas dupes. Ses personnages d’antihéros toujours au bord de l’effondrement «parlent» aux lecteurs, qui ­retrouvent leurs propres démons en condensé, mais aussi leurs mots et objets quotidiens, leurs tics et tendances du moment qui, depuis vingt ans, ont trouvé leur romanesque. Une sorte de mimétisme adapté à notre époque, un voyeurisme inversé qui ne fait que rarement sourdre la chair du monde par la peau – le propre des chefs-d’œuvre. En somme: lire Houellebecq, ou pas.

Combat. Autant le dire, le bloc-noteur n’achèvera pas sa première envolée littéraire de 2019 sans coup de cœur. Un vrai, celui-là ; en forme de conseil avisé. Parmi la multitude des ouvrages édités en cette nouvelle année, choisissez "Je t’ai oubliée en chemin" (le Cherche Midi), de Pierre-Louis Basse, petit bijou d’écriture et de puissance narrative qui fonctionne à l’inverse du mastodonte décrit précédemment. Le dernier livre de Basse, journaliste, écrivain et essayiste, est une espèce d’antidote à Houellebecq, quand tout désespoir apparent s’éclaire par la vie à reconstruire et le combat en la vie! D’entrée de jeu, l’auteur nous prend à la gorge: un amour qui s’en va par un texto froid et coupant comme une lame de rasoir. «Je suis vivant, certes. Mais un vivant effacé. Le SMS avait inventé l’encre sympathique virtuelle et fulgurante. Les vivants d’aujourd’hui ont le loisir de l’autodestruction», écrit Pierre-Louis, genou en terre. Face à l’effacement, quand «plus aucun de nos pas n’a le pouvoir de l’innocence», le narrateur choisit malgré tout d’épuiser son chagrin par la marche méthodique, l’exil intérieur, l’introspection, puis, enfin, l’écriture. Se relever doucement ; mot après mot ; action après action ; se ­redonner du sens et un goût d’universel. Ce roman du bout des tunnels, lumineux et émouvant à en crever, métaphorise l’amour par tous les vents. Pierre-Louis Basse nous offre un cri du cœur en raison, un écrin précieux... par les temps qui courent.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 11 janvier 2018.]

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