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La cheffe, roman d'une cuisiniere

Publié le 25 janvier 2019 par Lorraine De Chezlo
LA CHEFFE, ROMAN D'UNE CUISINIEREde Marie Ndiaye
Roman - 280 pages
Editions Gallimard - octobre 2016
Editions poche Folio - mars 2018
Elevée dans une famille très modeste du Lot-et-Garonne, elle est engagée jeune fille chez les Clapeau, de petits notables comme bonne. Alors que la cuisinière de la maison s'absente, elle doit remplacer cette dernière aux fourneaux, dans la propriété de Marmande. Elle est libre alors de se révéler dans sa maîtrise des aliments, et des plats, de s'adonner à une passion qu'elle vit comme un sacerdoce nécessaire, comme un devoir de la chair. Plus tard, elle volera de ses propres ailes, toujours dans la solitude extrême, due à son caractère très singulier, en ouvrant son propre établissement à Bordeaux. L'ascension vers la première étoile au Michelin, puis le grain de sable familial qui enraye tout, tout cela c'est son assistant, son fidèle admirateur et amoureux transis, qui l'observe. La Cheffe, roman d'une cuisinière est un roman éblouissant et très bien construit. Au delà du récit d'une vie fermée dans le monde de la restauration, avec ses codes, ses inspirations, ses engagements, et le portrait d'une femme tout en souffrance tue et en talent reconnu, ce livre, par le fait d'être la narration d'un homme, en fait un double portrait. Cet homme aussi, qui a côtoyé la Cheffe pendant plusieurs année en l'assistant dans son restaurant, est celui qui la connaît le mieux, ayant été le réceptacle de ses rares confidences, et l'interprète unique de ses sourires en biais. Cet homme aussi nous décrit un amour éconduit, un amour inaltérable pour cette femme sans charme apparent, sans aura sociale, sans volonté de plaire.Il y a aussi le thème de la filiation contrariée avec cette fille que la Cheffe n'a pas entièrement élevée, n'a pas su assister sans éviter les vengeances, l'humiliation, le désamour, la dictature. La filiation également avec la fille de l'assistant, autant de secrets, de liens familiaux non naturels. Extrait :"Quand on ne la sentait pas en soi ou quand on la sentait sans en éprouver de plaisir et que les yeux se posaient alors sur les cadavres d'animaux dépecés, les légumes encore terreux, tous les ingrédients fermés sur le secret de leur goût et attendant sans rien faciliter, sombrement, qu'on sache ce qu'on allait faire d'eux, un écœurement, une immense lassitude pouvaient vous donner envie de fuir les lieux, disait la Cheffe, et de ne plus jamais vous sentir uni à la chair morte, aux odeurs lourdes, aux entrailles et à la graisse, aux tourments divers et monotones, à l'inévitable saleté, et aux souffrances de ceux, bêtes et hommes, qui préludaient à l'arrivée sur la table de la cuisine des denrées taciturnes, obtuses, hurlements des bêtes, fatigue des hommes, vous aviez envie de vous sauver au plus loin quand cette misère répétitive vous sautait au visage, que la froide exaltation créatrice ne vous protégeait pas, disait la Cheffe avec son petit sourire oblique, je l'ai fait parfois et j'ai cru me rendre libre, je suis toujours revenue, bien sûr, disait la Cheffe, car me libérer des épreuves de la cuisine me rendait plus malheureuse encore que de les subir, et je les subissais rarement alors que, loin d'elles, je souffrais sans répit, c'est certain." Bien sûr il y a l'écriture de Marie Ndiaye, qu'on ne saurait ignorer. Une plume exigeante, érudite, retorse, difficile d'accès. Des phrases interminables comme en témoigne l'extrait ci-dessus. Le texte s'étale, s'étire, se déplie sous nos yeux, lentement, mais de manière assez fluide lorsqu'on en saisit le rythme. Une respiration singulière, comme l'alternance d'un flux, comme l'étalement des vagues successives sur la grève.C'est sans aucun doute à mes yeux le meilleur roman que j'ai pu lire de Marie Ndiaye, tout d'abord parce que c'est le premier que j'ai vraiment compris, su apprécier de la première à l'ultime page. Le roman d'une Cheffe de la littérature qui a totalement réussi à m'embarquer dans sa construction, ses inserts de monologues, ses flashbacks, ses phrases soutenues, son rythme lent, mais sa virtuosité chantanteL'avis d'Emilie - Lectures gourmandesL'avis d'Aline Sirba - OnLaLu

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