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[Interview] Antoine Raimbault : Une Intime Conviction

Par Onrembobine @OnRembobinefr

[Interview] Antoine Raimbault : Une Intime Conviction

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Pour son premier long-métrage, Antoine Raimbault s’attaque à une affaire qui a fait parler d’elle dans les années 2000, celle de ce professeur de droit, Jacques Viguier (que l’auteur de ces lignes a eu comme directeur de mémoire pour la petite histoire) qui a été accusé du meurtre de sa femme dont le corps n’a jamais été retrouvé. Un film de procès dans le paysage cinématographique français ! Presque un OFNI tant on a l’habitude de voir ce genre mal traité à la télévision. Sans parler de la concurrence d’un cinéma US capable de sortir régulièrement des films mémorables. La réussite totale d’Une intime conviction n’en est alors que plus impressionnante et l’envie de connaître les secrets de fabrication d’un tel tour de force encore plus irrésistible. Rencontre avec un cinéaste qui est parvenu de faire de ses obsessions un grand film de cinéma.

Pourquoi s’être intéressé à l’affaire Viguier pour ton premier long-métrage ?

Je suis ami avec le réalisateur Karim Dridi (Chouf, Khamsa) qui avait croisé plusieurs fois Jacques Viguier dans des conventions cinéphiles. Il était offusqué que cet homme puisse être jugé pour le meurtre de sa femme alors qu’il n’y avait pas de preuves, pas de cadavre, … Je me retrouve alors sur les bancs d’une cour d’assises pour la première fois de ma vie et je m’aperçois à ce moment là que je ne connais rien à la justice de mon pays. J’ai été biberonné aux films de procès américains. Je me pose des questions sur le fait que le cinéma français ne montre que trop peu notre justice et surtout je suis interpellé par ces jeunes enfants Viguier, qui sont dans cette salle à écouter un procès où leur père est accusé d’avoir tué leur mère. Je n’ai pas fait d’études de droit, je n’y connais rien à cette époque, n’ayant qu’un background d’étudiant en cinéma. Au cours du premier procès, à aucun moment, j’imagine qu’il y a matière à faire un film, mais je suis fasciné par le déroulé de ce qui se passe dans la salle. Comme beaucoup, je suis entré à l’époque avec cette théorie du crime parfait que les journaux vendaient. Mais, à l’issu du procès, je me dis que c’est impossible au vu des faits et surtout des preuves ou plutôt l’absence de preuves tangibles, que Jacques Viguier puisse être coupable. Et ce sentiment fut encore plus renforcé quand je suis entré dans l’intimité de la famille, quand Jacques Viguier, avec son statut presque bipolaire, me dit qu’il n’a rien à cacher et que je peux lire toutes les pièces du dossier. C’est à ce moment-là que je me suis mis à filmer les enfants, je leur propose de faire un documentaire. Mais quand l’affaire repart en procès à la cour d’appel et que c’est moi-même qui va chercher Éric Dupond-Moretti pour qu’il assure la défense de Viguier, je me dis que je ne peux plus être assez objectif pour rester dans le domaine du documentaire. Et c’est à la fin du procès et l’acquittement de Jacques Viguier que je me plonge dans les archives du dossier, que je me passionne pour les innombrables écoutes. Petit à petit, je me dis qu’il y a peut-être un film à faire.

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Pourtant, les films de procès en France ne courent pas les rues ?

C’est vrai et c’est sans doute dû en partie à cause de la forme dans laquelle se déroulent ces procès. L’affaire Viguier est presque un cas d’école car il y a eu des rebondissements qui n’arrivent jamais au cours d’une audience. En France, le procès, c’est juste la mise en scène de la vérité de l’instruction. Il n’y a jamais de deuxième acte. Ce n’est pas du tout comme aux États-Unis par exemple, où cela est fréquent d’assister au cours du procès à des révélations incroyables. En comparaison, les procès français ne sont jamais spectaculaires et ne donnent pas vraiment envie d’en faire des films de cinéma. Le système judiciaire américain est absolument parfait pour faire naître des thrillers, ce qui n’est pas du tout le cas de la France. L’affaire Viguier me donnait l’occasion de faire quelque chose de nouveau, mais en faisant bien attention à ne rien changer des événements. J’ai cherché donc un angle pour rendre cela cinématographique et j’ai choisi celui du whodunnit (qui est coupable ?) qui trouverait non pas la vérité mais le doute.

Le personnage fictionnel incarné par Marina Foïs apporte le côté américain du récit avec cette enquête en marge du procès.

J’ai fait le film pour arriver à cette scène totalement fictionnelle dans l’hôtel où elle réveille Dupond-Moretti en pleine nuit en étant persuadée de la culpabilité de l’amant alors qu’elle n’a pas plus de preuves que ceux qui accusent Viguier. C’est l’idée sous-jacente que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Je n’avais aucune intention de faire un film qui démontre l’innocence de Jacques Viguier, cela aurait ridicule et contre-productif. En revanche, raconter de l’intérieur comment on peut porter le flambeau de l’erreur judiciaire et tel un Dark Vador devenir ce que l’on pensait combattre, voilà un sujet qui m’attirait et m’obsédait. Ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude écrivait Nietzsche et c’est exactement ça que j’ai essayé de raconter à travers le personnage de Nora.

Cette obsession qui contamine le personnage et ainsi tout le récit m’a beaucoup fait penser à l’un des plus grands films de ces 20 dernières années, Zodiac de David Fincher.

Bien sûr. J’ai volé plein de trucs au film. Pour le coup, c’est vraiment le seul à qui j’ai piqué consciemment. À la sortie du film, j’avais passé un temps fou à lire des trucs, un effet Wikipédia. Mais, pour mon film, j’étais dans une autre optique, je ne voulais pas raconter l’histoire des accusateurs de Viguier parce qu’elle avait déjà été racontée en long, en large et en travers, j’ai opté pour ce personnage de fiction. Après, il y a une honnêteté intellectuelle de ma part, les Américains te font croire que tout est vrai et qu’ils n’ont rien inventé alors même qu’ils ont inventé tout le privé des personnages. Parfois, ils sont capables de prendre un personnage qui n’est rien dans la vie et en faire un grand personnage de cinéma dans une pure invention de fiction. Moi, j’assume tout en prévenant le spectateur : tout est vrai sauf elle. Sûrement parce qu’aussi, je n’ai pas voulu faire un film sur un fait divers en particulier mais sur la justice.

C’est une sacrée ambition d’autant plus que pour un premier film, il y a aussi le piège ici de ne pas tomber dans le téléfilm ou pire dans une sorte de version ciné de « Faites entrer l’accusé ».

Je n’ai jamais douté que cela serait un film de cinéma. Mais effectivement, il y avait un précédent, un inconscient collectif qui lie les films judiciaires à du noir & blanc poussiéreux ou du télévisuel ridicule. D’ailleurs, la télévision publique ne nous a pas financé car ils nous ont dit qu’ils en faisaient déjà. Il y a donc ça d’ancrer dans la tête de bon nombre de spectateurs et c’est effectivement un gros pari de les faire venir en salles. C’est pour ça que le personnage de Marina me permet de me reprocher de l’approche anglo-saxonne avec la recherche de la vérité pendant les audiences, donnant un côté thriller au récit. Mais, c’est aussi ce qui s’est passé puisque les écoutes des conversations téléphoniques (notamment de l’amant de Suzanne Viguier) sont au cœur de la procédure.

Il y a aussi la plaidoirie finale impeccablement interprété par Olivier Gourmet qui donne une impression très cinématographique, rappelant les grandes heures du cinéma américain comme celle d’un Kevin Costner dans JFK.

C’est un genre en soi et en même temps cela ne peut pas être que du cinéma puisque ce qui se dit est vrai. Il y a une responsabilité. Mais j’ai regardé presque tous les films de procès et ce quelque soit leur origine. J’ai vu des films indiens par exemple pour voir comment on représentait la justice au cinéma dans les différents pays. J’ai construit le film en étant totalement fidèle à ce qui s’était dit à l’audience. Il a fallu juste que j’adapte un peu car la plaidoirie de Dupond-Moretti a duré une heure et que nous n’avions que douze minutes. Je l’ai mise en place pour qu’elle s’adresse autant aux spectateurs qu’à mon héroïne, qui est finalement une sorte de Erin Brockovich qui serait devenue Dark Vador au fil du récit.

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Memento Films Distribution

Ce qui est frappant notamment dans les scènes au tribunal, c’est cette capacité à être parvenu à que tous les comédiens jouent justes. On s’y attendait de ton duo d’acteurs vedette vu leur pedigree mais peut-être moins du reste du casting qui est constamment bluffant.

Pourtant, je ne me sens pas du tout directeur d’acteurs. Je n’ai pas l’impression de les diriger mais plutôt de les nourrir. Je les gave jusqu’à ce qu’ils n’en peuvent plus. Je leur fais partager la même drogue que moi, mes obsessions pour cette histoire. Et je me démerde pour leur trouver l’espace parfait où ils peuvent enfin laisser libre court à leur jeu. Je ne sais pas par où ils passent, je ne suis pas acteur. Ma seule angoisse, c’était qu’un témoin soit mauvais car cela aurait tout foutu par terre. On se serait retrouvé dans Au théâtre ce soir. Pour éviter cela, j’ai organisé un atelier de répétition avec les comédiens où un avocat pénaliste est venu leur expliquer toute la procédure. On leur a appris à décortiquer les PV, ils ont bouffé le dossier Viguier, je leur donnais des liasses à lire le soir dans leur chambre d’hôtel. Ils sont tous allés assister à un procès d’assises. Puis au cours des répétitions, j’ai demandé à Olivier Gourmet de mettre sa robe, il trouvait ça un peu ridicule et n’était pas à l’aise au départ avec l’exercice. Il devait alors interroger des témoins qui venaient à la barre. Les témoins étaient briefés sur leur « histoire » mais l’interrogatoire était une improvisation totale. Je suis même allé jusqu’à faire passer dans les témoins-acteurs des vrais protagonistes de l’affaire comme le psychiatre qui a expertisé Jacques Viguier.

On ressent sans cesse ton obsession pour cette affaire. As-tu réussi à en faire un peu le deuil ou te demandes-tu encore par exemple où se trouve Suzanne Viguier étant donné que l’on n’a jamais retrouvé son corps ?

Ce qui est complètement fou dans cette histoire, c’est qu’on parle de meurtre et que personne n’a cherché à raconter une autre version. On a juste changé un moment de suspect. Et pourtant, il y a plein d’éléments complètement hallucinants que l’on trouve quand on gratte un peu. Quand la police a saisi la vidéothèque de Jacques Viguier pour trouver la clé du mystère dans un film d’Hitchcock, ils ont laissé sur l’étagère le journal intime de Suzanne Viguier. Dans ce journal que Clémence, la fille de Suzanne et Jacques, garde précieusement et qu’elle n’a jamais voulu donner à la police, il y a des poèmes que Suzanne a écrit entre 20 ans et sa rencontre avec Jacques. Et au détour de certains poèmes, on peut lire des trucs hyper sombres où elle mentionne le fait qu’elle partirait loin de sa vie. Notamment un où elle évoque un carnaval et un 26 février, le jour où elle a effectivement disparu. Mais le plus dingue, et on dirait du Simenon, il semble y avoir une malédiction du mois de février. Suzanne a perdu un enfant à cette époque comme sa mère avant elle. Pire encore, la grand-mère de Suzanne a été retrouvée assassinée 50 ans presque jour pour jour avant sa disparation et le mari a été soupçonné d’avoir commis le meurtre. Finalement, il n’y a pas eu de procès, l’homme sort de prison et récupère sa fille pour lui dire que tout ceci est faux et qu’il n’a jamais tué sa mère. Assise à côté de Clémence, la grand-mère revit donc au procès ce qu’elle a vécu enfant. Sur la photo du grand-père, Suzie avait écrit « accusé d’avoir tué sa femme ». Autre élément troublant, pendant trois années consécutives, Suzanne appelle les amis de Jacques pour leur proposer de lui faire une surprise d’anniversaire en organisant son procès. De toute évidence, Suzanne Viguier avait une personnalité trouble.

Le film est une belle métaphore des réseaux sociaux où la rumeur a souvent tendance à prendre le pas sur la vérité. C’est celui qui le dit en premier et fort qui donne le La.

C’est fascinant comment la rumeur se répand. Depuis le film, un peu à l’image des Dents de la mer qui avait traumatisé le jeune baigneur que j’étais, je ne poste plus rien sur Facebook par exemple. J’ai fait l’apprentissage du doute et de la justice avec ce film. J’espère juste qu’il va pouvoir questionner les gens et les sensibiliser un peu plus. Que l’on s’aperçoive à quel point il est très facile d’accuser sans preuve. En tout cas, je revendique mon absence d’objectivité qui est plus un travail par exemple que les journalistes doivent faire. La fiction doit prendre le risque d’aller dans les soubassements du réel et d’interroger des choses qui peuvent être délicates.

@ Laurent Pécha


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