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Le Garçon et la Bête. Dialectique du maître et de l’esclave

Par Balndorn

Le Garçon et la Bête. Dialectique du maître et de l’esclave

Résumé : Shibuya, le monde des humains, et Jutengai, le monde des Bêtes... C'est l'histoire d'un garçon solitaire et d'une Bête seule, qui vivent chacun dans deux mondes séparés. Un jour, le garçon se perd dans le monde des Bêtes où il devient le disciple de la Bête Kumatetsu qui lui donne le nom de Kyûta. Cette rencontre fortuite est le début d'une aventure qui dépasse l'imaginaire...

Après Les Enfants Loups, Ame & Yuki, Mamoru Hosoda poursuit son amour de la pédagogie avec Le Garçon et la Bête, fable qui s’amuse à brouiller la frontière entre le maître et l’élève.
Devenir autre à soi-même
À bien des égards, Le Garçon et la Bête commence comme Le Voyage de Chihiro. Orphelin de sa mère, abandonné par son père (comme Chihiro l’est symboliquement par ses parents), Ren décide de fuir le monde hypocrite des adultes pour errer dans les rues de Tokyo. Au hasard de ses déambulations, il poursuit deux Bêtes anthropomorphes et débouche dans le royaume des Bêtes, pareille à Chihiro dans le domaine de Yubaba. Telle l’héroïne, à qui la sorcière accole le nouveau nom de « Sen », Kumatetsu, puissant champion des Bêtes que Ren a suivi par défi, renomme son protégé « Kyûta » (« neuf », du fait de son âge). Par la suite, la situation prend le virage inverse du Voyage de Chihiro. Alors que le personnage de Miyazaki s’échine à défendre sa pureté contre les maléfices du lieu, Ren-Kyûta s’abîme avec délectation dans l’hybridité homme-Bête.On retrouve bien là l’auteur des Enfants Loups, Ame & Yuki et son goût pour l’ambivalence et les métamorphoses. Si Ren-Kyûta, à la différence d’Ame et Yuki, ne changent pas de corps, son esprit, lui, se nourrit des enseignements brouillons de Kumatetsu et de son clan. On notera toutefois la conception originale de l’hybridité chez Hosoda. Sur le plan psychologique, de la même manière que les enfants-loups au plan physique, Ren-Kyûta n’intègre pas une animalité qui lui serait extérieure à la naissance, mais révèle sa part d’animalité (positive) au contact du brutal Kumatetsu, tout comme, revenant dans le monde des hommes, il fait montre d’humanité avec ses congénères. Pour Hosoda, animalité et humanité ne sont pas des pôles opposés : ces deux modes d’être – sauvage spontanéité d’un côté, civile sociabilité de l’autre – font partie intégrante du vivant. Libre à chaque individu, Bête comme homme, d’exprimer tel ou tel penchant.
Une nouvelle pédagogie
Plus encore qu’Ame et Yuki, qui finalement, se rangent chacun dans un mode d’être et en excluent l’autre, Ren-Kyûta incarne le va-et-vient existentiel que fantasme Hosoda. Chez les Bêtes, il vit comme les Bêtes, en y apportant une touche humaine ; chez les hommes, il vit comme les hommes, en y amenant un brin de bestialité. La force de son caractère se mesure à l’empreinte qu’il laisse sur son maître, Kumatetsu. Lorsque Ren-Kyûta arrive au royaume des Bêtes, Kumatetsu, puissant concurrent du preux Iōzen à la succession du Seigneur des Bêtes, se comporte comme un enfant capricieux, égoïste et colérique. Personne ne croit sérieusement en lui, car il ne montre aucune sympathie envers ses potentiels sujets. Or, que va faire Ren-Kyûta ? D’une part, pousser à bout sa virilité tapageuse en passant son temps à le provoquer dans des jeux stupides (engloutir son assiette pour ne pas faire la vaisselle, le frapper sans raison, courir partout dans la maison…) ; d’autre part, l’encourager à nouer des relations pacifiques avec les autres Bêtes. En somme, puissance sans conscience n’est que ruine de l’âme. À la force brute doit répondre la maîtrise de soi, autrement les ténèbres, comme en témoigne la mésaventure d’Ichirohiko, le fils de Iōzen, engloutiront le combattant.Comme le remarque Hyakushūbō, ami de Kumatetsu et de Ren-Kyûta, on ne distingue plus au bout d’années d’entraînement qui est le maître et qui le disciple. Cette mise en crise de la figure du mentor rejoint un des thèmes chers à Hosoda : le goût pour l’apprentissage non-conventionnel, qui efface les hiérarchies et laisse libre cours à l’expression des passions et à la découverte du monde par l’apprenant. Déjà dans Les Enfants Loups, Hana laissait ses enfants déambuler au travers des champs pour faire leur ce nouveau monde. Dans Miraï, ma petite sœur, les parents débordés par la venue d’un bébé laissent le jeune Kun s’aventurer dans les dimensions fantastiques de sa maison. Quant au Garçon et la Bête, la relation entre le maître et le disciple se change en une solide amitié, quoi que conflictuelle, dans laquelle les protagonistes travaillent de concert sur un pied d’égalité. L’apprentissage ne s’y fait pas de manière verticale, et lorsque Kumatetsu s’y essaye, c’est un piteux échec. Hosoda encourage davantage l’imitation du maître par le disciple, à l’instar de Ren-Kyûta, fin observateur durant ses tâches ménagères, calant ses mouvements sur ceux de la Bête, jusqu’à ce qu’il anticipe à la seconde près chacun de ses gestes, et qu’à son tour il lui enseigne à se mouvoir. Ambivalence relationnelle : on est toujours à la fois maître et disciple de quelqu’un.
Le Garçon et la Bête. Dialectique du maître et de l’esclaveLe Garçon et la Bête, Mamoru Hosoda, 2015, 1h38
Maxime
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