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Ma Vie avec John F. Donovan. Mort et vie d’une star de cinéma

Par Balndorn

 Ma Vie avec John F. Donovan. Mort et vie d’une star de cinéma
Résumé : Dix ans après la mort d’une vedette de la télévision américaine, un jeune acteur se remémore la correspondance jadis entretenue avec cet homme, de même que l’impact que ces lettres ont eu sur leurs vies respectives.
Pour son premier film états-unien, Xavier Dolan frappe fort : c’est rien de moins qu’à la (dé)construction de la figure mythique de la star qu’il s’attaque. Pari réussi.
Demi-dieux de l’ère moderne
La traduction française rend mal la singularité du titre original : The Death and Life of John F. Donovan invite en effet à une chronologie inversée (mise en œuvre dans la narration), se proposant d’explorer l’envers de la star éponyme (Kit Harington) à la lueur de sa mort, placée en exergue du récit et sur laquelle il se clôt, après une boucle qui soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. De ce point de vue, Ma Vie avec John F. Donovan s’inscrit à mi-chemin des deux précédentes œuvres de Dolan : entre le surfait Juste la fin du monde et le jubilatoire Mommy. Contrairement à Juste la fin du monde, il ne verse pas dans le pathos adolescent, alors que le sujet – un acteur d’une teen-série contraint de refouler son homosexualité dans sa vie publique – s’y prêtait davantage. Et à l’inverse de Mommy, il mêle son émancipation d’une amertume douloureuse.Dans la longue série des héros dolaniens, John Donovan est celui qui incarne le plus le sentiment d’irréalité qui habite le jeune réalisateur. Pour reprendre les mots du sociologue Edgar Morin dans Les stars, ces dernières sont dotées d’une « surpersonnalité ». Pour rendre tangible ce concept, Dolan plonge le visage de Kit Harington d’un halo quasi-mystique. Nimbée d’une lumière dorée, baignée de clairs-obscurs ou auréolée de lueurs artificielles, la figure de Donovan semble flotter dans un espace-temps différent du commun des mortels. C’est presque à une figure mythologique – au sens de récit collectif – qu’on se confronte.
Une surpersonnalité mortifère
Seulement, si la mythologie donne des ailes aux fans, tel le jeune Rupert (Jacob Tremblay) qui voit dans le jeu de John Donovan et la correspondance qu’il poursuit avec lui un moyen d’échapper à son quotidien morose, elle coupe celles des personnages ainsi sacralisés. En entrant dans la carrière de star, on fait ses adieux à sa vie privée. Tout, désormais, obéit au sacro-saint principe de la transparence, sinon du voyeurisme.Et qui mieux que Kit Harington, alias Jon Snow, quelques semaines avant la sortie de l’ultime saison de Game of Thrones, pour donner corps à cet ange en pleine ascension dévoré par le succès ? Ma Vie avec John F. Donovan est une parfaite mise en abyme de la star. Comme dans la série qui l’a rendu célèbre, Harington sait jouer à merveille de son côté BCBG ; mais ici, la beaugossitude le dessert en l’enfermant dans un rôle qui restreint sa palette d’émotions plutôt qu’elle ne l’étend.En effet, la « surpersonnalité » de la star ne s’ajoute pas à sa personnalité première : elle la ronge, jusqu’à déposséder la personne de sa vie privée la plus intime. En appliquant les outils d’analyse issus de l’étude des mythes, on se rend compte à quel point notre société du spectacle a érigé des individus réputés pour leur talent et leur beauté au rang de hérauts de valeurs convenues. Pour mieux l’arrimer à l’ordre moral hétérosexuel, l’industrie du cinéma n’hésite pas à exposer au grand jour la vie privée de John Donovan – en l’occurrence, sa correspondance avec Rupert, le seul à qui finalement il osa se confier – pour le pousser à sacrifier son intimité au culte de sa quasi-divinité.Heureusement, il existe quelques moments de respiration au milieu de cette étouffante tragédie. Ces instants de grâce, Dolan les pratique depuis ces débuts. Au milieu de la tourmente surgit soudain un tube de la musique populaire (Rolling in the Deep, Bitter Sweet Symphony, Jesus of Suburbia), qui assourdit la misère alentour et laisse pleinement place à l’émotion pure. De telles séquences – appelons-les sensorielles– remplissent dans Ma Vie avec John F. Donovan une fonction éthico-thérapeutique. D’une part, elles soulagent un mal-être en accordant au for intérieur un espace d’expression non-critiqué, composé essentiellement de joie ; d’autre part, elles restituent à l’individu brimé (John et Rupert) sa dignité et sa fureur de vivre.
Ma Vie avec John F. Donovan. Mort et vie d’une star de cinéma
Ma Vie avec John F. Donovan, Xavier Dolan, 2019, 2h03
Maxime
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