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Littérature guinéenne : En quelques mots

Par Gangoueus @lareus

Introduction

Littérature guinéenne : En quelques mots
La Guinée est un pays singulier. Par son histoire récente. Par ses héritages anciens. En son sein vivent ou cohabitent (selon que l’on voit le verre à moitié vide ou plein) plusieurs peuples qui ont marqué   la construction de l’Ouest Africain. Au nord de ce pays se trouve le fameux Fouta Jallon, terre des peuls, peuple établi entre le Sénégal et l’Ouest du Kenya. Il y a les Sosso en Basse Guinée. Ou encore les Manding ou Maninka en Haute Guinée, héritiers de Soundjata Keïta, le fameux empereur du Manding dont l’épopée a été retranscrite par Djibril Tansir Niane qui a puisé, récolté auprès de sources entretenues par des générations de griots, de djelis qui de pères en fils se sont passés les mots, les faits de l’histoire. Il y a enfin beaucoup d’autres peuples. La ou les tradition(s) orale(s) guinéenne(s) est / sont  parmi les plus dynamiques du continent Africain. Elle est d’autant plus riche par le fait qu’elle porte le discours, la mémoire, les tragédies d’empires disparus, d’organisations sociales qui n’ont laissé que très peu de traces matérielles, mais pourtant, n’en demeurent pas moins riches et puissantes quand on en observe les survivances dans les croyances, les coutumes très vivaces en Guinée.
Si les espaces qui constituent la Guinée actuelle ont été le lieu de grandes épopées chantées par les plus grands griots, elle est aussi la trame d’une histoire récente à la fois douloureuse, violente portée par le souci d’une auto-détermination que peu de peuples dans l’espace francophone ont tenté d’acquérir. Le « non »  de Sékou Touré à la communauté française proposée par le Général de Gaulle a été diversement interprétée. Le vote du peuple à 95% contre ce projet va conduire le retrait total de la France en Guinée dans tous les sens du terme. L’aide des soviétiques ne compensera que très peu, cette rupture en terme d’organisation d’une jeune économie. Avec toutes les contraintes sur la population et les revendications sociales que Sékou Touré va réprimer durement avant de sombrer dans une dictature féroce où les intellectuels feront partie de ses cibles principales.    L’idée de cet article est de faire une présentation de la littérature guinéenne. Elle ne peut se faire sans brosser le contexte qui très clairement explique pourquoi les plus grandes plumes de ce pays ont écrit de l’extérieur et ont été les premières à dénoncer les dérives despotiques des élites au pouvoir en Afrique. Le roman d’Alioum Fantouré Le cercle des tropiques constitue là aussi un point de rupture brutal. Nous essayerons de faire cette présentation en tenant compte de ce contexte.

Littérature guinéenne moderne ou la Guinée des auteurs 

Tradition orale ou la très grande  épopée Mandingue avec son narrateur Balla Fasséké
Au début des années 50, Djibril Tansir Niane, intellectuel guinéen, part à la source de la tradition orale auprès du griot Mamadou Kouyaté pour retranscrire et rendre universel l’épopée de Mari Djata, l’homme aux deux noms, fils du Lion et du Buffle. Le récit transmis par le griot raconte l’histoire de la naissance du futur roi du Manding, son enfance, son bannissement avec sa mère, ses frères et sœurs, ses pérégrinations dans les grandes cours royales de l’Afrique de l’Ouest du 13ème siècle et la reconquête de son royaume sous l’emprise du terrible Soumaoro, le roi sorcier de l’Empire Rosso.
Ce texte a été publié en 1960 aux éditions Présence Africaine. Il s’inscrit dans les productions des oeuvres littéraires publiées par cette institution visant à retranscrire et à valoriser les traditions orales et les contes. Le sénégalais Birago Diop a été un des précurseurs avec les contes d’Amadou Koumba publiés pour la première fois en 1947. La différence dans le cadre du projet de Djibril Tansir Niane, c’est que le guinéen remonte à la source entretenue par la parole des griots d’un des grands empires africains même s’il n’en reste que des traces immatérielles. Dans son roman Al Capone le Malien, l’écrivain togolais Sami Tchak revient sur cette question, en permettant à son personnage, un journaliste français un peu paumé d’aller à la recherche du Sosso Balla, un balafon ayant appartenu à Soumaoro Kanté, le roi sorcier. Quête qui va le conduire à Niagassola en Haute Guinée.
Naturellement, il est question de littérature guinéenne aujourd’hui. Mais le roman de Sami Tchak offre une très grande réflexion sur l’autorité de voix issues de la tradition orale et celles de feyman ou escrocs internationaux camerounais. Si le regard du romancier togolais est caustique, on ne peut s’empêcher de voir dans sa critique, un hommage à la tradition orale africaine dont les griots mandinka incarnent un héritage incontournable.

Littérature guinéenne moderne : Les grandes voix de ce pays

Camara Laye

Qui parle de la Guinée et de sa littérature s doit de commencer son propos en évoquant Camara Laye et son fameux roman L’enfant noir paru aux éditions Plon en 1953. Dans ce texte, le romancier guinéen choisit de raconter une enfance en Afrique noire. En l’occurrence son enfance dans un village de la Haute Guinée. Son roman a tout de suite obtenu une critique positive en France, en entrant dans le programme scolaire français. Camara Laye ne présentant pas la colonisation dans ce qu’elle a plus de hideux, il en fait fi dans son roman, lui donnant ainsi une certaine universalité par le traitement de l'enfance et de la construction d'un homme. Cependant ce choix dans une Afrique qui se bat pour son indépendance, ou la littérature est au service des discours d’émancipation, ce roman fait tâche d’huile ou preuve d’originalité. Il aura droit à une virulente critique du romancier camerounais Mongo Beti. Ce conflit dans l’espace littéraire francophone est encore d’actualité. Des textes récents reviennent sur les circonstances de la production de ce roman, tendant à justifier la posture critique du camerounais. Il n’empêche que cet homme, technicien supérieur, va s’imposer par cet ouvrage comme un écrivain central des lettres africaines, n’étant pas soumis aux injonctions de l’actualité politique. Enfin c’est ce que l’on pourrait penser. Les choses sont complexes. Il n’empêche, quelque soit les chemins qui ont conduit à la production de L’enfant noir, ce texte est aussi marquant par son esthétique, ses symboles que L’aventure ambigüe de Cheikh Hamidou Kane, Une si longue lettre de Mariama Bâ ou Amkoullel l’enfant peul de Amadou Hampaté Ba. 
Je ne peux m’empêcher de penser à la singularité de l’approche de Camara Laye, écrivain guinéen dans les années 50 parmi tous ses auteurs militants de l’époque et de faire le parallèle avec celle de Sékou Touré qui dans le concert des nations africaines sous domination française a joué sa propre partition. Par accident. Volontairement. Plus tard, dans Dramouss, son troisième roman paru en 1966, il évoquera la figure de Sékou Touré.
Je ne sais pas si on peut dire que la littérature guinéenne commence avec Camara Laye. Je ne sais pas si on peut même dire qu’il a engendré des fils dans le monde littéraire guinéen, mais il me semble que L’enfant noir, au-delà des critiques heureuses qu’il a connues à sa sortie, reste l’un des plus beaux romans sur le thème de l’enfance. On aura l’occasion de revenir sur sujet par le biais de Tierno Monemembo. 

Alioum Fantouré

Dénonciation du néocolonialisme et des dictatures, discours sur le processus de libération Si beaucoup décrivent Camara Laye comme un homme détaché des combats de son époque, point de vue qui peut être contesté, les auteurs que nous allons voir vont être marqués par un désir de résistance. La littérature guinéenne va produire après la première décennie des indépendances, les premières critiques acerbes et significatives des régimes dictatoriaux qui vont progressivement s’installer sur le continent africain. Il s’avère qu’avec Sékou Touré, les intellectuels guinéens vont être l’objet de la féroce paranoïa de cet homme qui a osé dire non à la France. Le cercle des tropiques d’Alioum Fantouré, de son vrai Mohammed Touré, économiste de formation, va marquer le développement d’un discours sur le despotisme, le leadership africain mal fagoté et les moyens d’y faire face. Le personnage principal découvre une grande ville d’un pays africain et son regard lucide lui permet de faire un état des lieux sur l’inorganisation qui prévaut et qui pousse ce paysan à l’exode rural. L’économie est totalement à la merci de l’ancienne puissance coloniale. Le narrateur prend surtout conscience de la dictature féroce qui se déploie et s'emploie à soumettre la population. En 1972, Alioum Fantouré ouvre par cette oeuvre significative le champ d’un thème dont plusieurs auteurs guinéens vont s’emparer. Mais au-delà de Tierno Monemembo, Williams Sassine, des auteurs  africains comme les congolais Sony Labou Tansi ou Henri Lopes pour ne citer que ceux-là.

Williams Sassine

De père libanais et de mère guinéenne, Williams Sassine est parti très tôt en 1997 à l’âge de 53 ans. Journaliste de formation, on lui doit plusieurs  livres importants : Saint-Monsieur-Baly, Wirriyamu, Le jeune homme de sableLe Zéhéros n'est pas n'importe qui et bien d’autres oeuvres significatives. Pour dire ce que représentait la littérature guinéenne à la fin des années 70, il faut voir une des premières émissions que Bernard Pivot consacre aux littératures sur l’Afrique. Une émission que vous pouvez retrouver dans les archives de l’INA. Avec André Brink qui venait de sortir son chef d’oeuvre Une saison blanche et sèche, Tierno Monemembo et Williams Sassine furent de la partie. Et cette émission en dit long sur le personnage de Sassine porté par une réserve et le doute. Pour poursuivre dans la lignée du Cercle des tropiques, j'aimerais vous parler d'un roman de Sassine pour lequel il avait été invité à Apostrophes. Le jeune homme de sable. 
En 2007, je disais ceci à propos de ce roman :
«  Dans un roman aux sonorités éparses, j’ai apprécié le style sans fioritures mais surtout le propos de Sassine qui interpelle une certaine jeunesse africaine, sur sa responsabilité. A savoir, celle d’avoir prise sur sa destinée, celle d’accepter la révolte sourde qui gronde en elle, celle d’avoir prise sur son avenir sans rechercher des boucs émissaires en d’autres lieux. La lutte ne peut-être entreprise par ceux qui ont faim. C’est le cas d’Ousmane dont l’unique priorité et de réussir ses études pour subvenir aux besoins de son père invalide. En narrant d’ailleurs la relation d’Oumarou avec son père, ce roman atteint une intensité et un réalisme déroutant. La suite n’en est que plus bouleversante.«  
Ce texte est porté par la solitude d’Oumarou qui ne se reconnait pas dans le monde que pourrait lui léguer son père compromis. Le personnage central veut se libérer du joug, de l'oppression familiale er de la dictature. La violence intérieure, résultat de cette contrainte extérieure, lui commande de changer les choses. Cet état de fait, il n’est pas le seul à le vivre. Certains en ont déjà payé le prix, par leur vie ou leur mort, de cette volonté de rupture. Dans le fond, ce roman est intéressant par le fait qu’il propose un chemin vers une forme de liberté.
Ce roman allie ce désir d’action au sentiment d’impuissance. Il y a un refus d'abdiquer. On a le sentiment qu’Oumarou recherche ou veut s’appuyer sur des sources multiples lui permettant de tenir le cap, sinon le naufrage serait irrémédiable. Ecrit en 1979, ce texte trouve un écho dans Tachetures, le recueil de nouvelles du dramaturge Hakim Bah. Il y a cependant une différence notoire dans l’abord du jeune auteur. Là où Sassine prend le temps d’explorer l’intériorité de son personnage, Bah va droit aux faits, à la violence imposée à la jeunesse de son pays. La question n’est pas d’être dans une observation plus ou moins béate mais plutôt de dénoncer très clairement l’insoutenable condition de cette jeunesse guinéenne qui rappelons-le, n’est plus sous les régimes despotiques de Sékou Touré et Lansana Kanté. Rappelons que Tachetures est écrit en moins de 60 pages et dégage une telle puissance… Le style est sobre mais il porte la fureur ou la détresse des différents personnages qui répète un désir de communication impossible, et dénonce une surdité des anciens.

Bokoum où la singularité d’un itinéraire

En 1974 sort  un livre qui a retenu l’attention de la critique littéraire. Un roman étonnant qui fut en lice pour le Goncourt de cette année-là. Chaîne de Saïdou Bokoum. Cette oeuvre littéraire est un texte précieux tant dans sa construction que par le sujet qu’il traite. Il vient d’être réédité après une réécriture. Disons-le tout de suite, c’est une lecture à la fois laborieuse et jouissive. Bokoum choisit de suivre le parcours d’un jeune étudiant guinéen. On pourrait envisager ce texte comme une forme de quête  initiatique. Mais Bokoum va proposer une approche disruptive. Il va construire  son roman avec plusieurs thèmes tous pour le moins intéressants. L’identité et la question de la malédiction de Cham, endossé par Kanaan. Bokoum part du principe que le noir, la négraille pour évoluer dans son style fait l’objet d’une malédiction quasi originelle qui expliquerait l’exploitation outrancière dont il a été le sujet dans l'histoire récente. Tout le roman est porté par ce paradigme, ce prisme de lecture. Naturellement, le personnage narrateur est pris par cette logique désastreuse et sombre progressivement en dépression. Reclus dans sa chambre de cité université qu’il ne paie plus sa chambre, ayant abandonné, Kanaan entreprend un périple par lequel il va découvrir le Paris, des faubourgs, de Pigalle, un univers trash, violent. Alors qu’il pense avoir touché le fond, il découvre la condition des africains noirs d’Ile de France dans les bidonvilles et les foyers SONACOTRA, des nègres qui brûlent dans des immeubles insalubres.
Ce roman à 43 ans. Je peux dire sans aucune hésitation que c’est le premier très grand roman écrit sur la condition des noirs en France dans les années 70. Les questions que soulèvent Bokoum dans Chaîne sont identitaires et peuvent être mises en relation avec la Traite négrière ou la colonisation. C’est la condition de sous-hommes qu’il décrit dans un style complexe, déstructuré, empruntant au kotéba. Il est question du racisme, oui, d’un racisme profond ancré dans la société française.
Il est question dans ce roman de comment organiser cette communauté. Est-ce que l’art peut participer à cette reconstruction. Bokoum explore toutes les strates de cette reconstruction. C’est ainsi qu’il analyse en parallèle la relation de son personnage aux femmes et l’évolution sur le plan dermique avec des formes différentes d’aliénation dans ces rapports. Chaque fois, le portrait qu’il propose est riche, dense. Et Kanaan permet d’envisager toutes ses relations. Rien que l’explosion en vol de sa copine mulâtre, membre de la troupe de théâtre est une auscultation de l’héritage psychologique des descendants de signares au Sénégal. Des âmes abusées. Des âmes enchaînées. Chaîne est un roman précurseur. Volontairement oublié, parce que je pense sincèrement qu’en 1974, écrire sur la condition des noirs en France n’était pas un sujet intéressant, pertinent pour Bokoum. D’ailleurs, les personnes qu’il décrit sont des très petites gens : des ouvriers, des étudiants en difficulté alors que la mode à l’époque est de faire des croquis littéraires à partir des grands dictateurs africains
Un peu comme Fantouré, Bokoum est un visionnaire ou, en tout cas un auteur qui refuse d’enfoncer des portes ouvertes. Chaîne est de ce point de vue un roman unique. Rien n’a été effet d’aussi dense sur ce sujet. Dans les années 80, des auteurs comme Bolya ou Blaise Ndjehoya ont emprunté son discours dans certains de leurs textes. Mais Chaîne reste particulier. La communauté qu’il interroge part de l’Afrique subsaharienne aux Antilles françaises et à Haïti.

Cheikh Oumar Kanté :

Je pourrai évoquer cet auteur guinéen que j’ai rencontré dans le cadre du festival Paroles indigo de Arles. Journaliste de formation, Cheikh Oumar Kanté fait partie de ces élites qui ont dû partir pour ne pas finir au camp Boiro ou dans une prison malodorante. Il est auteur de plusieurs textes relevant à la fois de la fiction comme 12 pour une coupe (Editions Présence Africaine) ou les réflexions qu’il mène sur son rapport à la prise de parole. Que ce soit celle de sa mère, griot, celle du journaliste. Dans 12 pour une coupe c’est la question du retour qui l’interpelle, thème majeure de la littérature produite hors d’Afrique. Comment revenir ? Quel regard sur le retour et le pays laissé ?

Tierno Monemembo

Il est incontestablement l’écrivain guinéen centemporain le plus connu sur la scène internationale. Prix Renaudot pour son roman Le roi de Kahel (Editions du Seuil) ou encore Grand Prix de l’Académie française pour l’ensemble de son oeuvre, Tierno Monemembo est un auteur exceptionnel. C’est un artiste des mots. La musique de son écriture est magnifique et il fait partie de ces auteurs qui me rappellent que la littérature est avant tout un art qui n’est pas donné à tous. Je dois dire, et c’est le lecteur qui parle, que Monemembo est un esthète dans une forme d’écriture classique. Contrairement à Henri Lopes, Ahmadou Kourouma ou à Sony Labou Tansi qui n’ont pas hésité à revisiter la langue française et à lui faire des petits métis avec les langues africaines, Monemembo est un puriste.
Quand vous lisez un roman pour lequel il a personnellement souffert, L’aîné des orphelins, il est difficile de ne pas succomber au charme de son écriture. Cette histoire se passe au Rwanda où il a séjourné avec une demi douzaine d'écrivains dans le cadre d’une résidence littéraire portant sur le génocide Tutsi au Rwanda. L’émotion qui ponctue ce roman me bouscule encore. Pourtant, on peut dire que de manière directe, il ne parle pas de ce conflit. Mais il arrive à vous raconter l’histoire d’un enfant des rues de Kigali, un de ses nombreux orphelins, un personnage complexe, retors, attachant. Et quand on termine ce roman, on se dit que j’aurais pu être à sa place. Que serait-il arrivé pour moi, si j’avais vécu dans ma chair un dixième de ce que ce môme a enduré.
Nous ferons une lecture Des écailles du ciel qui est son deuxième roman pour lequel il a obtenu le Grand Prix littéraire d’Afrique noire
Monemembo a un attachement au peuple peul. Il a consacré d’ailleurs un roman entier à ce groupe auquel il appartient. Dans les écailles du ciel, on retrouve 
Extrait Les écailles du ciel
« Si les regards sont volontiers timides, c’est pour mieux cacher la ruse atavique. Si les gestes sont gauches, c’est pour mieux enfouir le penchant à la fourberie. Si les voix sont feutrées et même obséquieuses, il y a là-dessous une âme entêtée naturellement rebelle, consciencieusement rogue.Ici, la solitude est un réflexe. Les cœurs sont gros et chatouilleux : chacun a vite fait de s’effaroucher pour un oui ou pour non et d’aller planter sa hutte plus loin. Il paraît que cela vient de l’eau de ce pays, de son air malicieusement irritant et qui exalte l’orgueil. C’est de son sang fielleux que vient le caractère indubitablement difficile, savoureusement grognard. Je dis que c’est une terre de douce férocité, de mesquines querelles et de rancunes tenaces qui explosent en esclandres meurtriers. Un effluve de tourment et de folie sort de ses bois, de ses marais, du front coriace de ses hommes. Je dis que c’est un pays discret et radin ; que ses hommes portent volontiers la guenille, auraient-ils nombre de terres et de bœufs. Mais la guenille n’ôte rien à la fierté. Le plus mal vêtu va un pas de prince, jetant un regard paresseux et méprisant sur les hommes et les choses. »
Page 32, Collection Points.
Monemembo voyage. Il n’est pas pris en otage par le thème ou de la société guinéenne. Il peut parler avec puissance d’un orphelin rwandais rescapé du génocide, évoquer la splendeur d’un résistant africain dans les Vosges pendant la seconde guerre mondiale (Le terroriste noir), planté sa tente à Cuba ou en Algérie. Chaque fois, il le réalise avec maestria, refusant de reproduire une musique déjà ressassée jusqu’à épuisement.
Il y aurait beaucoup à dire sur le travail de Tierno Monemembo. Peut-être que la question a posé est la suivante : La littérature guinéenne ainsi modestement décrite est surement par ses ambassadeurs que j’ai cités l’une des plus originales, une des plus singulières de l'espace francophone. Elle s’est principalement écrite hors de la Guinée. Ces auteurs guinéens sont-ils connus, mieux, lus en Guinée. ? Il s’avère que si je suis le propos d’une actrice du monde du livre en Guinée, Marie-Paule Huet directrice littéraire chez Ganndal, ces auteurs pour la plupart seraient inaccessibles au commun des guinéens. Le niveau des élèves guinéens a beaucoup baissé ces dernières années. En particulier dans le domaine de la langue française. D’où la nécessité de se projeter dans une démarche de reconstruction du lectorat afin que la finalité de cette littérature n’ait pas pour seule vocation d’écrire pour les autres. La collection Gos & Gars s’inscrit dans cette logique. Entreprise ambitieuse et riche. Entreprise prometteuse, car de ces lecteurs et naîtrons de nouvelles générations d’écrivains innovants.

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