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Us. Les Afro-Américain·e·s au miroir de l'American Way of Life

Par Balndorn

Us. Les Afro-Américain·e·s au miroir de l'American Way of Life
Résumé : De retour dans sa maison d’enfance, à Santa Cruz sur la côte californienne, Adelaïde Wilson a décidé de passer des vacances de rêves avec son mari Gabe et leurs deux enfants : Zora et Jason. Un traumatisme aussi mystérieux qu’irrésolu refait surface suite à une série d’étranges coïncidences qui déclenchent la paranoïa de cette mère de famille de plus en plus persuadée qu’un terrible malheur va s’abattre sur ceux qu’elle aime. Après une journée tendue à la plage avec leurs amis les Tyler, les Wilson rentrent enfin à la maison où ils découvrent quatre personnes se tenant la main dans leur allée. Ils vont alors affronter le plus terrifiant et inattendu des adversaires : leurs propres doubles.
Le pitch d’Us n’a rien de particulièrement original. La thématique du double, le maléfique doppelgänger de la tradition germanique, nourrit le cinéma fantastique depuis ses origines. Cependant, on aura rarement vu une mise en scène se confronter aussi frontalement à la représentation du double. Dans ce face-à-face littéral se reflète notre monde en miroir inversé.
L’horreur née d’un traumatisme
À l’instar de la séquence d’ouverture du palais des glaces d’une fête foraine miteuse, la mise en scène d’Us cultive un froid glaçant. Alors que les doubles ne surgissent qu’assez tard, un climat de tension nerveuse agite déjà le premier tiers du film. Cette atmosphère délétère naît de la perception du monde altérée d’Abby (Lupita Nyong’o). C’est elle en effet qui s’égara dans le labyrinthe aux miroirs du début et, au détour d’un couloir, tomba nez-à-nez avec son double en chair et os. La rencontre la traumatisa à vie ; en résulte, à l’âge adulte, un état d’esprit constamment sur le qui-vive, qui voit dans le moindre détail le signe qu’une catastrophe imminente va se produire (avec raison).Ainsi, la plage familiale de Santa Cruz – avec ses francs aplats de couleur, sa lumière crue et sa profondeur de champ – vire au cauchemar lorsque le petit Jason (Evan Alex), enfant lunatique, vient à s’éclipser pour aller aux toilettes sans prévenir sa mère, et qu’en chemin il tombe sur un homme bizarre contemplant l’océan. Pour exprimer l’angoisse maternelle, Jordan Peele transplante simplement les codes de l’horreur en plein jour : des obstacles obstruent le champ de vision, les plans se rapprochent du visage horrifié, le contrechamp tarde à lever le mystère sur l’étrange quidam. Une âme torturée s’invente son propre huis-clos.Sur ce point, Us poursuit le travail de Get Out. Le succès du premier long-métrage de Jordan Peele reposait en effet sur la caractérisation raciale des codes de l’horreur. L’angoisse de Chris Washington (Daniel Kaluuya) naissait de son immersion dans un univers blanc et bourgeois qui sentait bon son racisme : on se souvient la scène de la réception chez les Armitage, au fonctionnement similaire à la scène de la plage évoquée plus haut.
Les doubles ou l’envers de la réussite
Même si Us les explicite moins que Get Out, les problématiques raciales structurent pourtant le film entier. Comme Peele aime à le rappeler, on n’a jamais vu – ou si peu – de famille afro-américaine au centre d’un film d’horreur. Le fait que les Wilson soient les premières victimes des doubles illustre la vulnérabilité symbolique de la classe moyenne afro-américaine. Celle-ci, à travers les Wilson, souffre doublement. D’une part, la classe moyenne blanche cherche toujours à s’en distinguer en prouvant sa supériorité : en témoignent les comportements exaspérants de leurs voisins les Tyler, l’homme (Tim Heidecker) frimant avec sa voiture flambant neuf, la femme (Elisabeth Moss) avec ses bouteilles de rosé. D’autre part, elle risque toujours de retomber au bas de l’échelle sociale.C’est ici qu’il faut parler du discours des doubles. Red (Lupita Nyong’o), l’avatar maléfique d’Abby, en tient un très cohérent lorsqu’elle et sa famille coincent les Wilson. « La petite fille [Abby enfant] recevait des jouets magnifiques ; l’ombre se coupait les mains avec les cadeaux qu’on lui donnait. » De manière très claire, les « ombres » constituent l’envers de la réussite du « monde d’en haut ». Leur souffrance, caricature grotesque de l’American Way of Life et du confort moderne, rappelle à ceux du haut d’où ils viennent et leur fait voir le précipice dans lequel leur superbe pourrait les entraîner.
Un empouvoirement individualiste
Des Wilson, Abby est celle qui prend le plus à cœur les leçons que lui débite son double. Là encore, Us prolonge Get Out, au féminin cette fois. Il n’est pour les Afro-Américain·e·s d’autre échappatoire que leur empouvoirement musclé. Dans la lignée des Black Panthers, les personnages de Jordan Peele assurent eux-mêmes leur salut. On pourrait toutefois objecter qu’à la différence des Panthers, ils ne se constituent pas en collectif mais demeurent irrémédiablement individualistes (ou, dans le cas d’Abby, limitée à sa cellule familiale). L’empouvoirement ne se restreint pas seulement à la dimension raciale. Pour Abby – et dans une moindre mesure, sa fille Zora (Shahadi Wright Joseph) –, elle prend également une tonalité féministe. C’est elle en effet, après la blessure de son fanfaron de mari (Winston Duke), qui défend le foyer. Contrairement à bon nombre d’héroïnes, elle n’hésite pas à trucider brutalement ses adversaires, et la mise en scène ne rechigne pas non plus à la faire souffrir. Ce faisant, elle rejoint les héroïnes des années 80 – telles Ellen Ripley (Aliens le retour) et Sarah Connor (Terminator : Le Jugement dernier) – dont l’empouvoirement naît de la faillite des hommes pour protéger leurs enfants.Gardons pour finir une remarque au sujet des personnages de Jordan Peele. Il n’y en a – au cinéma (je ne connais pas bien ses courts-métrages antérieurs) – pour l’instant que deux, très normaux. Chris et Abby sont hétérosexuel·le·s, urbain·e·s et appartiennent à la classe moyenne supérieure (bien qu’ils aient tous deux une origine populaire). Leur but n’est pas tant d’acquérir un nouveau statut que de légitimer leur appartenance à l’American Way of Lifeen défendant leur territoire. C’est une des limites que je vois au cinéma de Jordan Peele : une posture de défense, et non d’attaque de l’ordre racial états-unien.
Us. Les Afro-Américain·e·s au miroir de l'American Way of Life
Us, Jordan Peele, 2019, 1h56
Maxime
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