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Jacques Expert : quand la curiosité est un vilain défaut

Par Samy20002000fr

Jacques Expert : quand la curiosité est un vilain défaut

Comme dans le dernier roman de Jacques Expert, Le Jour de ma mort, ce soir du 13 mai 2019 on pouvait côtoyer au Delaville Café un chat et (au moins) une jeune femme blonde. Mais peut-être ne saura-t-on jamais s’il y avait oui ou non un tueur en série dans la salle – heureusement pour nous, il ne s’est en tout cas pas manifesté ! Car celui que met en mots l’auteur dans ce livre choisit ses victimes selon des critères bien précis : couleur des cheveux, présence d’un chat. Autant vous dire qu’un frisson et quelques rires nerveux parcourent l’assistance au moment où les lecteurs invités s’installent pour la rencontre.

Alors que Pierre de Babelio sympathise avec ledit animal, Jacques Expert fait connaissance avec quelques Babelionautes avant de s’installer pour une heure de questions-réponses. Et puisque tous les lecteurs n’avaient pas terminé le livre avant cette soirée, Pierre et Jacques promettent de ne pas trop évoquer la fin de ce thriller.

Jacques Expert : quand la curiosité est un vilain défaut

Fièvre de l’écriture

Mais revenons un peu en arrière. En avril 2018, Jacques Expert quittait la direction des programmes de RTL pour se consacrer pleinement à son métier d’écrivain. Successivement journaliste, grand reporter et directeur des programmes, l’auteur de La Femme du monstre et Deux gouttes d’eau n’a pourtant pas chômé ces dernières années côté publications, avec pas moins de 6 romans signés chez Sonatine récemment – sur un total de 17 livres.

Nombreux sont les journalistes à se pencher un jour sur la fiction, après avoir rempli les colonnes, écrans et autres ondes de brèves, d’articles, de reportages. Il semblerait que l’on ne se défait pas si facilement de ce virus appelé « roman », et parmi ces journalistes-écrivains Jacques Expert fait figure d’athlète de la plume, d’auteur à la régularité impressionnante. « J’ai la chance d’écrire très vite, ce qui tient sûrement au fait que j’étais journaliste de radio. Cette facilité m’a permis de travailler efficacement dès mes premières années dans le métier. »

Si pour ses reportages, les sujets sont tout trouvés puisqu’ils découlent de faits réels, comment fait-il pour concevoir une œuvre de fiction ? « J’écris à partir d’une idée que je développe, ça vient petit à petit. C’est cette petite étincelle qui fait démarrer l’écriture. Ici c’est tout simplement la lecture d’un horoscope qui m’a mis sur la voie. Ca peut être assez casse-gueule et angoissant, de ne pas faire de plan. Mais moi je ne peux pas connaître toute l’histoire avant de commencer à écrire ; j’ai déjà essayé, et à un moment je cale forcément. »

Mais « pas de plan » ne signifie pas forcément « pas de méthode », et l’auteur avoue tout de même effectuer un travail préparatoire sur au moins un aspect : « J’ai un attrait pour la psychologie des personnages, c’est le seul travail auquel je m’astreins avant de commencer. »

Jacques Expert : quand la curiosité est un vilain défaut

La curiosité, ce vilain défaut

Il y a ceux qui préfèrent ne pas savoir, et les autres. Le personnage principal de Le Jour de ma mort, Charlotte, est de ces derniers. Alors qu’elle est à Marrakech avec trois amies, elles consultent ensemble un voyant, qui lui prédit le jour de sa mort, trois ans plus tard, et une fin violente. Les prédictions que ses trois amies ont reçues se sont bien réalisées : alors que va-t-il se passer pour Charlotte ce dimanche (en plus !) 28 octobre ? « La question centrale du livre, c’est de savoir si elle est vraiment en danger. Il y a ce tueur qui rôde dans Paris, a déjà fait des victimes, et choisit des proies qui lui ressemblent, soit des femmes blondes amatrices de chats. Je voulais que le lecteur puisse dès le début du livre s’identifier au personnage, à travers une question simple : est-ce que je réagirais comme elle ? »

Bon, une chose est sûre : si un tueur est en activité près de chez vous et qu’on vous a prédit une mort violente, vous risquez fort de vous faire du souci ce jour en question. Et c’est bien sûr exactement ce qui arrive à cette jeune femme banale et sans histoire, dès son réveil ce 28 octobre. Avec sans doute la sensation de se lever d’un pied gauche bientôt dans la tombe. Commence dès lors une sorte de course contre la montre où chaque minute passée jusqu’à minuit est à la fois gagnée, et peut-être l’une des dernières à vivre. « J’aimais bien cette idée binaire : soit elle va survivre, soit elle va mourir. Et à côté de ça il y a une paranoïa qui monte en elle, peut-être à raison. J’ai une passion pour la psychologie des gens, pour la complexité du cerveau, et avec ce livre j’explore des questions assez fondamentales de l’existence. Le journalisme m’a appris à m’intéresser plus aux personnes qu’aux faits, et cette leçon je la mets en pratique dans l’écriture. »

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Première personne du serial killer

Si les deux personnages principaux de ce récit restent Charlotte et son compagnon – qui sont d’ailleurs les deux premiers imaginés par Jacques Expert –, un autre a fait pas mal parler de lui ce soir-là : celui du serial killer, pour la simple et bonne raison que c’est le seul à parler à la première personne. Car si dans ce livre on entre dans un cerveau, c’est bien dans le sien, et pas dans celui de Charlotte : « C’était intéressant pour moi d’écrire ce personnage à la première personne. Il est cynique, intelligent, parfois drôle, et presque plus sympathique que Charlotte finalement. Je me suis éclaté à développer ses processus psychologiques, à trouver les conseils qu’il donne pour devenir un bon tueur. »

Et l’auteur d’expliquer qu’il trouve en effet certains tueurs en série assez fascinants : « Comment on peut tuer autant de personnes ? Etre aussi froid ? En fait ce sont des personnes souvent paradoxales : parfois drôles, aimants, sympathiques, et totalement intégrés dans la société. Pour moi ça révèle des aspects très profonds de la nature humaine. On est au fond tous un peu gris, personne n’est totalement pur ou impur, blanc ou noir. Chacun a une part de monstre en lui. »

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Cercle polar

Pour étayer cette vision somme toute pessimiste (mais néanmoins réaliste) de l’humanité, l’auteur nous raconte quelques-uns des reportages qui l’ont le plus marqué, et l’ont confronté à la violence sans qu’il comprenne parfois pourquoi. Comme lors de ce barbecue en Yougoslavie dans les années 1990, où tout le monde buvait, discutait, riait et dansait ensemble, dans la joie et l’allégresse. Lorsque Jacques Expert repasse par ce village huit jours plus tard et apprend que les Serbes avaient massacré la moitié des Croates présents, il n’en revient pas. Voilà sans doute une expérience qui modifie votre sens des réalités et la perception de vos « semblables » à tout jamais. Même chose en Colombie, quand il voit de ses yeux des familles découper leurs enfants à la scie pour les sortir de la boue…

« Je suis assez habitué à la violence, j’y ai été confronté tôt. Je le vis très bien. Ces souvenirs m’ont construit, m’ont enlevé des illusions sur la nature humaine. C’est sans doute pour ça d’ailleurs que j’écris des romans psychologiques et pas du polar gore. Et si j’écris surtout du polar et pas autre chose, c’est aussi parce que j’en ai toujours lu, et particulièrement des auteurs américains (mais pas seulement bien sûr). Encore aujourd’hui, sur 10 livres je vais lire 7 polars. Pour moi un auteur comme Georges Simenon a réussi à sonder la nature humaine de manière exceptionnelle, surtout dans ses romans non-Maigret. »

Jacques Expert : quand la curiosité est un vilain défaut

Jacques Expert aime donc écrire des romans noirs, très noirs, et se montre parfois assez cruel avec ses personnages. A l’image de cette Charlotte, une « fille d’à côté » à qui il fait décidément passer une sale journée, et qui a visiblement plus souvent agacé certains lecteurs que provoqué de l’empathie. Mais au fait, « Pourquoi cette date du 28 octobre ? » demande un Babelionaute ayant entamé la lecture du roman le matin même. Et Pierre et Jacques de rire, avant que ce dernier réponde : « La date est fondamentale, il faut le lire jusqu’au bout pour comprendre. » Pas de spoiler donc ce soir-là, mais une envie latente pour ceux qui n’avaient pas encore pu terminer le livre d’avancer dans celui-ci, voire de le dévorer en rentrant chez eux.

Avant ça, ils ont pu profiter de la présence d’un auteur disponible pour discuter avec lui pendant de longues minutes, autour d’un verre. Le chat refait alors son apparition dans la salle du Delaville Café, alors que la dernière lectrice aux cheveux blonds rentre chez elle. On attend encore de ses nouvelles.

Découvrez Le Jour de ma mort de Jacques Expert, paru aux éditions Sonatine.


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