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Louis XVI et Parmentier : au royaume de la patate

Par Plumehistoire
Louis XVI et Parmentier : au royaume de la patate

Cuisinée à toutes les sauces et sous toutes les formes, la pomme de terre est aujourd'hui un aliment incontournable de nos assiettes françaises. Mais le combat fut de longue haleine ! En soutenant les initiatives d'Antoine Parmentier, roi de la communication et véritable chimiste de l'alimentation, Louis XVI contribue à l'avènement de " l'impératrice des légumes " !

La révélation

Né en 1737 à Montdidier, dans la Somme, Antoine Parmentier est promis à une carrière de scientifique foisonnante qui reste difficile à catégoriser : il est à la fois agronome, pionnier de la nutrition et chimiste, mais aussi vulgarisateur, journaliste et auteur. C'est en tant que pharmacien qu'il intègre l'armée dès ses 20 ans. En 1756 débute la Guerre de Sept ans, dramatique période de disette dans toute l'Europe.

Captif des Prussiens, Parmentier partage le quotidien des prisonniers et leur alimentation. La ration quotidienne est à base... de bouillie de pomme de terre. Surprise, ce tubercule se révèle parfaitement comestible ! Parmentier est aussitôt convaincu que la patate va connaître de grandes heures en France. Pourtant, rien ne paraît moins évident...

Le tubercule maléfique

D'abord cultivée à profusion en Amérique du Sud, surtout au Pérou et au Chili, la pomme de terre traverse l'océan grâce aux conquistadors espagnols et aux explorateurs anglais du XVI ème siècle. Elle devient rapidement la base de l'alimentation des Irlandais puis se répand petit à petit à travers l'Europe.

En France cependant, les débuts de sa culture, cantonnés à la Franche-Comté et aux Vosges, sont timides. Comment expliquer ce rejet ? Des superstitions ancestrales encore bien ancrées dans les esprits lui font une très mauvaise publicité. Rappelons que le Moyen-Âge situe l'Enfer sous terre : ce qui pousse dans l'antre du Diable ne peut être que maléfique ! On craint que la pomme de terre ne rende les terres infertiles et ne transmette la peste ou la lèpre, plus tard la fièvre.

Si le tubercule commence à s'imposer dans l'alimentation des paysans, c'est par la force des choses : les famines qui ravagent l'Europe au XVIII ème siècle obligent à chercher des aliments de substitution faciles à cultiver. On commence donc à en manger dans certaines campagnes, mais la pomme de terre reste boudée par les villes.

À Paris, le Parlement en interdit même la consommation, la jugeant toxique.

On la regardait [...] avec condescendance. À côté de la brillante carotte, ou du petit pois coquet, elle était terne, elle était lourde et gauche. Et Versailles la trouvait " roturière ".

À la Cour en effet, on la considère comme " un fruit vil et grossier " peu digne de l'homme, tout juste bon à nourrir les cochons ! Bientôt cependant, elle allait connaître un sort glorieux...

Le Propagateur de la Pomme de terre

À sa libération en 1763, Parmentier rentre au pays et réalise ses propres expériences et analyses sur la pomme de terre. Il n'a de cesse de vanter les bienfaits de sa nouvelle passion et se lance dans une véritable campagne d'information sur ce " féculent injustement boudé ".

Entre 1769 et 1770, son mémoire portant sur la question " Quels sont les végétaux qui pourraient suppléer en temps de disette à ceux que l'on emploie communément à la nourriture des hommes, et quelle devrait en être la préparation ? " est couronné par l'Académie de Besançon à l'issue d'un concours. Il y montre que l'amidon des pommes de terre est un élément nutritif important.

En 1772, quelques mois après sa nomination comme apothicaire en chef de l'hôtel royal des Invalides, la Faculté de médecine de Paris déclare la pomme de terre sans danger. Victoire ! Le Parlement de Paris doit reconnaître qu'elle est comestible et lever l'interdiction qui frappe sa consommation depuis des décennies.

Aidé de la Société royale d'Agriculture, Parmentier poursuit son travail de recherches. Il publie le résultat de ses expériences dans son ouvrage Examen chimique de la Pomme de terre, édité en 1778. Mais la partie est loin d'être gagnée et le savant a de nombreux détracteurs. La Gazette du commerce du 20 mars 1779 précise que l'homme " n'a pu s'empêcher de faire quelques observations sur les critiques et les difficultés qu'il a essuyées de la part de certains esprits qui sont toujours prêts à contredire toutes les nouveautés utiles. "

Loin de se laisser abattre, Parmentier redouble d'inventivité. Pour redorer l'image de la patate, il a une idée de génie : organiser des repas avec des savants et des personnalités publiques. Le 29 octobre 1778 par exemple, dans le quartier des Invalides, Benjamin Franklin et le chimiste Antoine Lavoisier se retrouvent attablés chez Parmentier pour partager un bon plat de pommes de terre !

Les Sablons : le cadeau du roi

Louis XVI, grand amateur de sciences et sensible au progrès, décide de soutenir l'initiative de Parmentier. Pour lui permettre d'expérimenter la culture du tubercule à grande échelle, il lui concède en 1785 à titre gracieux deux arpents de terre dans la plaine de Sablons à l'ouest de Paris. C'est un terrain peu fertile, ravagé par les manœuvres des troupes, dont personne n'a jamais réussi à tirer profit. Confiant, le pharmacien se met à l'ouvrage et surveille chaque jour l'évolution de ses plantations.

On s'était moqué des plantations de Parmentier dans l'aride plaine de Neuilly mais, agronome et horticulteur de premier ordre, il savait que les pommes de terre aiment les terrains sablonneux et il mit les rieurs de son côté quand on vit le " Sahara des Sablons " couvert d'une verdoyante moisson.

En effet, la population est frappée de stupeur lorsque des tiges sortent de terre et se couvrent de fleurs bleues et blanches à pistil jaune !

La consécration versaillaise

Le pic de floraison des pommes de terre survient le 24 août 1786, veille de la Saint-Louis... Parmentier ne peut laisser filer une si belle opportunité. Il se présente triomphant à Versailles, armé d'un bouquet de jolies fleurs.

Louis XVI est alors en promenade. Il profite des jardins avec Marie-Antoinette, entouré de toute la Cour. Le savant offre solennellement son présent symbolique au monarque qui, ravi, accroche une fleur à sa boutonnière et en glisse une dans les cheveux de la reine. Il aurait dit ensuite une phrase qui est entrée dans la légende : " Le royaume vous remerciera un jour d'avoir trouvé le pain des pauvres. " Le succès est total !

Louis XVI vient en personne assister à la récolte des pommes de terre, épisode immortalisé par une fresque de Gervex et que l'on peut admirer à la mairie de Neuilly-sur-Seine.

Avec cette récolte de la plaine des Sablons, Parmentier donne un dîner dont tous les mets consistent en pommes de terre déclinées sous 20 formes différentes, menu détaillé par Le monde illustré :

D'abord on servit deux potages, dont l'un était une purée du nouveau légume, et l'autre un bouillon gras dans lequel était coupé en tranches un pain de pommes de terre qui mitonnait assez bien sans trop s'émietter. Puis venaient comme entrées des pommes de terre en matelote, à la sauce blanche, à la maître d'hôtel et au roux. Rôti : pommes de terre frites, salade de pommes de terre. - Entremets, beignets et confitures de pommes de terre. Le repas se terminait par un fromage de pommes de terre, et un gâteau de fécule ; et l'on mangea pendant tout le dîner un pain mêlé de pulpe de pommes de terre et de farine de froment !

On sert maintenant la patate, cette " parmentière ", à la table royale. Les réticences s'évanouissent et tout le monde veut goûter au tubercule si longtemps méprisé ! Il devient même une mode et Marie-Antoinette porte des coiffures, concoctées par Rose Bertin, ornées de fleurs de pommes de terre...

Suivant les conseils de Louis XVI, Parmentier met en place un dernier stratagème pour populariser le légume. Il fait surveiller le champ des Sablons par des gardes françaises, qui ont pour ordre de rentrer chez eux à la nuit tombée. Au fait de la nouvelle lubie de la Cour, la population assouvit sa curiosité en s'introduisant sur le site pour subtiliser ce produit jugé si précieux !

Ainsi soutenu par le roi, Parmentier triomphe des préjugés. Signe qui ne trompe pas : les fleurs de pomme de terre ornent encore aujourd'hui le blason de la ville de Neuilly-sur-Seine ! Il faudra cependant attendre les guerres napoléoniennes pour que la patate devienne un produit alimentaire courant dans l'alimentation des Français. Je laisse le mot de la fin au Petit Journal du 13 août 1937 :

La pomme de terre a débarqué en France grossière et grise. Sous les doigts des cuisiniers français, elle s'est transformée, affinée, ennoblie. Tantôt croustillante et dorée, tantôt pâle, ornant les plats de ses lamelles ovales, de ses bâtonnets salés ou de ses montages de purée ensoleillée, elle éclipsa ses rivales qui l'avaient autrefois méprisée. Elle devint l'impératrice des légumes.

Sources

♦ La pomme de terre de Collectif

♦ Histoire de Neuilly et de ses châteaux, de Alexandre Bellanger

♦ Marie-Antoinette, une biographie gastronomique de Pierre-Yves Beaurepaire

♦ Des fourchettes dans les étoiles de Béatrix de l'Aulnoit et Philippe Alexandre

♦ Presse : Le Petit Journal du 13 août 1937 - Le monde illustré du 8 mai 1886 et du 3 octobre 1936 - Paris-midi du 25 août 1936

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