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X-Men : Dark Phoenix. Penser la violence des femmes

Par Balndorn
X-Men : Dark Phoenix. Penser la violence des femmes
Résumé : Au cours d'une mission de sauvetage dans l'espace, Jean Grey frôle la mort, frappée par une mystérieuse force cosmique. De retour sur Terre, cette force la rend non seulement infiniment plus puissante, mais aussi beaucoup plus instable. En lutte contre elle-même, Jean Grey déchaîne ses pouvoirs, incapable de les comprendre ou de les maîtriser. Devenue incontrôlable et dangereuse pour ses proches, elle défait peu à peu les liens qui unissent les X-Men.
Soyons clairs. Il n’y a rien de bon à attendre de X-Men : Dark Phoenix, dernier volet (et a priori l’ultime de la Fox) de la deuxième saga. J’y allais sans aucun espoir, simplement pour me tenir au courant des (non)-évolutions du genre super-héroïque. La seule raison (et encore) de lui sacrifier un billet de cinéma, c’est pour voir de quelle manière un grand studio hollywoodien pense la violence des femmes.
{Attention : cet article divulgâche une bonne partie de l’intrigue du film}
X-Men, un mythe patriarcal
Un ouvragecodirigé par Coline Cardi et Geneviève Pruvost portait précisément sur la question de la violence des femmes. Il y répondait de manière négative. De manière générale, les institutions du monde patriarcal pensent la violence des femmes en des termes pathologiques, cliniques, ou en la rejetant du côté de la sauvagerie. Une femme violente serait toujours « hystérique », « folle », « vengeresse » et son action, placée sous le sceau des passions, dépourvue de fondement politique.Quel meilleur exemple que celui de Jean Grey (Sophie Turner) pour aborder la question ? Le passage de la gentille Jean Grey à la puissante Dark Phoenix a déjà fait l’objet de deux films : X-Men : L’affrontement final (Brett Rattner, 2006) et à présent X-Men : Dark Phoenix. Le traitement de la figure de la femme révoltée est assez proche, même si on peut y repérer quelques nuances. Lors de sa première apparition, interprétée par Famke Janssen, Dark Phoenix semble pleinement maîtresse de ses pouvoirs ; seulement, ses rivaux masculins (son mentor Charles Xavier et son amant Wolverine) lui répètent constamment que son excès de puissance la rend sauvage et dangereuse pour le bien commun (entendez : « l’ordre patriarcal »). Comme le fait remarquer l’historienne du cinéma Betty Kaklamanidou dans son article « The Mythos of Patriarchy in the X-MenFilms », la mise en scène disqualifie aisément la révolte potentiellement émancipatrice de Dark Phoenix en la transformant en villain. Dès lors, rien de plus facile d’étouffer l’insurrection en la tuant et restaurer ainsi la bonne vieille division sexuelle du monde. Aux hommes le monopole de la violence, aux femmes le soin de guérir leurs bobos.X-Men : Dark Phoenix change à peine la critique. Si Dark Phoenix est toujours aussi physiquement puissante – sinon plus, maintenant qu’un accident l’a carrément dotée des forces à l’origine de l’univers, oui oui –, sa force de caractère, elle, a connu une sévère baisse de régime. La jeune femme vit une grave crise identitaire. Au lieu d’utiliser ses nouveaux pouvoirs pour s’affirmer, elle s’isole davantage – toujours dans le souci de ne pas causer de mal à ses petits camarades, toujours ce besoin de care – et perd le maigre rôle social qu’elle occupait dans l’académie des X-Men. Bref, plus que des super-pouvoirs, ses nouvelles capacités ressemblent à des super-maladies dont il faudrait l’en guérir au plus vite pour ramener la malheureuse brebis galeuse dans le rang. Cette fois, le pathologique, sous son aspect hystérique, a pris le dessus sur la sauvagerie primitive du troisième X-Men.Une différence de taille néanmoins : la fin de Jean Grey. On se souvient que dans les bras de Rattner, c’est Wolverine (Hugh Jackman) qui, amant déchiré et patriarche heureux, achève Dark Phoenix d’un coup de griffe et consolide l’ordre qu’elle s’efforçait de détruire. La télépathe était allée trop loin dans la violence ; nulle rédemption ne l’attendait dans le monde des hommes. La version Sophie Turner, quant à elle, sauve d’elle-même le patriarcat qu’elle menaçait ; cependant, elle disparaît elle aussi – toujours cette quête du sacrifice féminin pour expier la moindre faute. La nouvelle mort de Dark Phoenix s’inscrit dans la nouvelle lignée de super-héroïnes. Wonder Woman, Okoye ou encore Black Widow acceptent leur violence (à la différence de Jean Grey), mais la mettent au service de l’ordre patriarcal – confondu avec le bien commun – sans jamais poser la question de l’émancipation féminine.
Tous ensemble pour opprimer les femmes !
D’ailleurs, les rares modèles de femmes émancipées perdent toute légitimité dans X-Men : Dark Phoenix. Jessica Chastain campe Vuk, une ridicule villain de série Z, extraterrestre désireuse de s’approprier les pouvoirs de Dark Phoenix pour que son peuple, les D’Bari, prennent le contrôle de la Terre. Folie, manigance, ambition personnelle : rien de bon pour une femme en colère. Quant à Raven (Jennifer Lawrence), la seule X-Men (ou plutôt, « X-Woman », comme elle tance Charles Xavier) à porter un discours un tant soit peu critique de l’optimisme légaliste du professeur, Jean Grey la tue lors d’un accès de colère, éliminant de fait sa seule alliée.Face à des femmes divisées, les hommes, eux, font comme toujours front commun. Bien que leurs méthodes divergent – Magneto (Michael Fassbender) préconisant la force brute et Charles Xavier (James McAvoy) la manipulation et le mensonge (qu’il appelle poliment « la protéger de la vérité ») –, ils s’accordent sur un point : tout est bon pour maintenir l’oppression masculine sur la gent féminine. Que pas une seule femme ne prenne l’ascendant sur un homme ; sinon toutes emboîteront son pas.Mesdames, empruntez gaiement les pas des Amazones, des frondeuses, des guerrières du Dahomey et des pétroleuses : mettez en pièces ce vieil édifice patriarcal qui retarde toujours sa chute.
X-Men : Dark Phoenix. Penser la violence des femmes
X-Men : Dark Phoenix, Simon Kinberg, 2019, 1h56
Maxime
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