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Tania bruguera : une artiste actuelle cubaine rebelle

Publié le 19 juillet 2019 par Aicasc @aica_sc
TANIA BRUGUERA : UNE ARTISTE ACTUELLE CUBAINE REBELLE

1 – Tania Bruguera

Intéressons- nous à une artiste, cubaine : Tania Bruguera qui se consacre à la performance et à l’art vidéo. Elle partage son temps entre Chicago  et sa ville natale. Née à La Havane le 18 juin 1968, plusieurs de ses œuvres, dont Statistis de 1996 se trouvent au Musée National  des Beaux – Arts de Cuba.

ITANIA BRUGUERA : UNE ARTISTE ACTUELLE CUBAINE REBELLE

2 – T. Bruguera – Statiscas – cheveux, fils, tissus

Dans Statistics, (1996/98), l’artiste nous offre le premier drapeau d’une série réalisée en attachant des cheveux de ses amis et voisins cubains vivants sur l’île, qu’elle invite à fabriquer avec elle, d’une manière œcuménique. Cette pièce suggère le drapeau cubain, mais les couleurs sont différentes. Les cheveux sont roulés en bandes et cousus sur un tissu qui sert de support à l’œuvre. Le drapeau peut-être vu à l’arrière. Cette pièce a été créée grâce à une collaboration de 5 mois de tous les participants.  Elle a un fort impact car elle est une sorte de souvenir de la façon dont le drapeau national, drapeau de la libération, a été fabriqué de manière intime et subversive, principalement par des femmes  dans la sphère domestique du Cuba colonial au XIXe siècle.

Nous savons que la performance est un mode d’expression artistique né dans les années 1960, au sein de la beat generation, avec ce que l’on appelait les happenings. Tania Bruguera utilise de façon militante ce mode d’expression, combiné avec d’autres créations : vidéos, dessins, installations… Et ceci depuis le milieu des années 1980.

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3- Académie San Alejandro de La Havane

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4 – Ecole supérieure d’arts ISA de La Havane

Tania commence ses études d’art à l’âge de douze ans. Elle suivra les enseignements à l’académie San Alejandro à La Havane  et poursuivra ses études à l’I.S.A[1]. Elle effectue sa première performance en 1986 à la Fototeca de La Havane.

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5- Fototeca- Plaza vieja de La Havane

Une performance dans laquelle elle reprend les œuvres d’Ana Mendieta[1] (Visuel N°6) dans lesquelles Ana utilisait le sang, particulièrement la performance intitulée Blood Traces, (Visuel N° 7) réalisée par Ana Mendieta en 1974 à l’Université de Iowa. Trempant ses avant-bras dans un seau rempli de sang d’animal, Ana Mendieta leva les deux mains au-dessus de sa tête puis les traîna au sol, laissant une tache en forme de V sur le mur. A son tour, Tania Bruguera réalisera ce même travail dans le musée de la Fototeca de La vielle Havane devant un public d’environ 70 artistes et amis lors du vernissage de l’exposition : No por mucho madrugar amanece mas temprano. Pour Tania Bruguera, alors âgée seulement de 18 ans et à peine diplômée de l’Académie des beaux-arts de San Alejandro à La Havane, c’était sa façon, selon elle, de «ramener Ana Mendieta à Cuba». Tania Bruguera reprendra plusieurs représentations d’Ana Mendieta au cours de la prochaine décennie, en se basant ultérieurement sur un catalogue d’expositions de la rétrospective d’Ana Mendieta présentée au New Museum of Contemporary Art de New York en 1987. Tania a commencé à Cuba à faire connaitre le travail de cette artiste qui était encore inconnue dans son pays. Les reprises par Tania Bruguera des œuvres d’un autre artiste sont remarquables par leur approche entièrement nouvelle de l’histoire de la performance, que l’artiste conçoit comme un acte de résistance interpelant les spectateurs dans un acte de participation active.

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6 – Ana Mendieta

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7 – Ana Mendieta – Blood Traces – Performance

Les premières œuvres de Tania Bruguera utilisent des matériaux éphémères, comme le fusain, le thé, car la permanence de l’œuvre ne l’intéresse pas.

Dans les années 2000, elle porte un projet majeur, la Cátedra Arte de Conducta, un centre d’étude du comportement à La Havane, dans sa maison de Tejadillo. C’est à la fois un lieu d’exposition, d’ateliers, d’échanges entre artistes, et une école. Cátedra Arte de Conducta , (Département des arts de comportement – 2002-2009) a émergé comme une œuvre d’art public destinée à créer un espace de formation alternatif au système d’études de l’art dans la société cubaine contemporaine. Il s’agit d’une intervention, à long terme, axée sur la discussion et l’analyse du comportement sociopolitique et de la compréhension de l’art en tant qu’instrument de transformation de l’idéologie par l’activation de l’action civique sur son environnement. Il a été créé comme un espace pour la pratique de l’Arte de Conducta (Art du comportement)

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8 – Tania Bruguera – Arte de Conducta

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9 – Arte de conducta

 Actions visant à transformer certains espaces de la société par le biais de l’art, transcendant la représentation symbolique ou la métaphore et rencontrant avec leur activité des déficits dans la réalité et dans la vie. l’Arte de Conducta se veut être la création d’un modèle pédagogique qui pallie le manque d’espaces de discussion civiques sur la fonction de l’art dans la société cubaine actuelle et qui favorise les nouvelles générations d’artistes et d’intellectuels. Ce travail propose un discours politique issu de l’art et favorise l’exploration des relations entre l’art et le contexte.

Les membres du projet proviennent de différents domaines: architecture, théâtre, écriture, ingénierie, scénographie, musique, cinéma, sociologie, arts visuels, histoire de l’art et même artistes autodidactes. Toutes les activités de la Catedra Arte de Conducta sont gratuites et ouvertes à tout type de public intéressé. Tous les ateliers durent une semaine et, tout comme les membres du projet, les professeurs invités viennent de divers domaines de la vie sociale: avocats, architectes, artistes en arts visuels, marchands d’art, conservateurs, écrivains, scientifiques, danseurs, anciens détenus, metteurs en scène de théâtre, scénaristes, acteurs, anthropologues… En raison du faible accès aux sources d’information à Cuba, la Cátedra Arte de Conducta a pris les premières mesures en vue de la création d’une archive spécialisée dans l’art contemporain international, accordant une importance particulière à la performance et aux questions sociales en abonnant à des magazines sur l’art et la culture contemporaine. Le projet a favorisé les échanges entre les écoles de différents pays, les projets artistiques et les résidences internationales, ainsi qu’avec des personnalités importantes de l’art cubain et la critique, établissant une interaction avec divers systèmes de pensée. Les membres du projet gèrent un flux d’informations leur permettant de comprendre et de choisir leur position vis-à-vis de l’art et de la société.

Le Département avait mis en place des expositions thématiques, généralement liées au contexte sociopolitique national, qui se tiendraient tous les six mois. Ses membres ont créé des pièces en participant à des événements organisés par des commissaires invités. Après six années d’exercices continus, ces expériences créatives et critiques ont donné lieu à l’une des orientations les plus expérimentales et radicales de la production artistique cubaine actuelle.

Cátedra Arte de Conducta est la première œuvre d’art et, en même temps, la première institution axée sur la création d’un programme d’études d’art comportemental et d’art politique. Ainsi, il est devenu un modèle pour les projets éducatifs à caractère social et artistique et pour les projets artistiques centrés sur l’offre d’activités éducatives.

Tania Bruguera, tout en développant ce caractère activiste de l’art dans son île, a participé à différentes expositions internationales dont la Biennale de Venise en 2001 et en 2005 et la Documenta 9 de Cassel en 2002.

Invitée à animer des forums et à réaliser des performances en 2012 à la Tate Modern, elle se montre intéressée mais méfiante à l’égard du musée : « c’est un peu triste et étrange d’assister à cette institutionnalisation », concède-t-elle, « mais en même temps c’est une opportunité très excitante, cela va nous permettre de nous échapper de la tradition théâtrale. J’espère que les performeurs ne vont pas devenir complaisants avec l’institution, à qui ils ont toujours donné des impulsions ».[3]

Une œuvre achevée en 2009, lors de 10 me Biennale de la Havane, relate bien la représentation du rapport à l’autre que l’artiste veut établir avec les cubains et son pays. Il s’agit d’une performance collective qui se déroula au Centre d’art Wilfredo Lam à la Havane

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Art gallery Wilfredo Lam in Old Havana, pink building © Cuba Absolutely, 2014

, proche de la place de la cathédrale. Cette immense performance collective est intitulée El Susurro de Tatlin (Le murmure de Tatline)

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11 – T. Bruguera – El susuro de Tatlin – Centre W. LAM

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Dans la cour intérieure du centre – l’un des centres d’art contemporain cubain les plus actifs car il organise tous les 2 ans la Biennale internationale de La Havane – le cadre de cette performance collective se composait des éléments suivants : un immense rideau brun doré qui avait été tendu derrière un podium, un microphone et de chaque côté du podium, un homme et une femme habillés en uniforme cubain. La femme plaçait une colombe sur l’épaule de chaque orateur, une référence à la colombe qui avait atterri sur Fidel Castro lors de son célèbre discours du 8 janvier 1957 à la Havane. Tania Bruguera avait également fourni au public 200 appareils photographiques jetables pour immortaliser ce moment.

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12 – Fidel Castro – Place de la Révolution La Havane

Dans sa scénographie, elle avait mis en place un haut- parleur pour diffuser les travaux de l’événement à l’extérieur du musée, bien trop petit pour accueillir tous les spectateurs. Au total, 39 personnes ont fait usage du micro pour exprimer leur affinité ou critiquer le système politique cubain. L’action était simple : les membres du public volontaire ont été invités à monter sur le podium et à prendre la parole durant 1 minute. Les témoignages se sont principalement orientés sur le besoin à Cuba d’une plus grande liberté d’expression.

En effet, durant cette performance, les mots de liberté et de démocratie ont été souvent prononcés : certains cubains demandaient le respect du régime ; d’autres ont proclamé des raisons pour ne pas continuer dans le chemin de la révolution de Fidel Castro ; d’autres encore ont parlé de la nécessité de réaliser de nouvelles élections. Une femme a pleuré comme si elle n’avait pas le choix de la parole ; d’autres sont restés silencieux.

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13 – T. Bruguera – Le murmure de Tatline – Centre W. Lam

Un court extrait de la vidéo traduit l’ambiance et l’abondance des spectateurs, aussi acteurs. Les 1res images montrent l’artiste en train de coordonner la performance. La dernière image filme une femme connue à Cuba, Yoani Sanchez, officiellement étiquetée comme une dissidente politique activiste qui a plaidé pour un accès gratuit à Internet.

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14 – Yoani Sanchez durant la performance

L’artiste par cette performance a ainsi donné la parole aux autres, et à travers ces 39 témoignages, elle a donné la parole à son peuple.

D’ailleurs, le 30 décembre 2014, l’artiste alors âgée de 46 ans, pour célébrer l’assouplissement du régime castriste et la normalisation des liens avec les États-Unis, se met en tête d’organiser de nouveau une grande performance à La Havane, sur la place de la Révolution – celle où Fidel Castro prononçait dans le passé ses longs discours. Les passants seraient invités à s’exprimer librement pendant une minute. Mais la manifestation est interdite et vaut à l’artiste trois jours de prison et la confiscation de son passeport, dans l’attente de son jugement. Une pétition est lancée à l’échelle mondiale pour la soutenir. On saisit son ordinateur, celui de sa mère, les tee-shirts où sont imprimés : Yo tambien exigo (Moi aussi j’exige). Elle n’a rien récupéré. On l’a inculpée «  d’incitation à la délinquance ». Aujourd’hui, elle peut aller et venir, parler, mais le régime cubain la surveille.

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15 – T. Bruguera performance place de la Révolution de La Havane

Tatlin’s Whisper # 5 de 2008, présentée à La Tate Galery de Londres, est une autre performance d’art qui s’efforce de ne pas l’être, comme toujours dans l’œuvre de Tania Bruguera. Elle s’est déroulée à la Tate Modern les 26 et 7 janvier 2008, dans une succession d’éclats de vingt minutes dans le cadre d’un week-end de performances intitulé UBS Openings: Live – The Living Currency. 

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16 – T. Bruguera -Tatlin’s Whispper #5 – Tate G. Londres

La performance consistait en une interaction entre deux policiers à cheval et des visiteurs du musée qui se trouvaient sur le pont de Turbine Hall. Les officiers étaient des membres de la police métropolitaine de Londres et ils appliquaient des techniques de contrôle des foules lors de la réunion accidentelle, rassemblant des personnes, les divisant en groupes plus petits ou plus grands. Selon l’artiste Tania Bruguera, la pièce dépend de la non-reconnaissance immédiate de l’art.

Un tel objectif peut sembler aussi trivial que banal. La recherche artistique d’une étincelle radicale résidant dans le non-art a une longue histoire, particulièrement en ce qui concerne la performance, qui a cherché à susciter la réflexion du spectateur sur le monde. Dans le cas de Tania Bruguera, toutefois, la lutte contre le cadre esthétique découlait de plus que de la volonté de surmonter une passivité spectrale présumée et d’encourager une participation active. Au lieu de cela, Tatlin’s Whisper # 5 a utilisé judicieusement la dissonance cognitive produite lorsque les symboles du pouvoir du « monde réel » se matérialisent dans le « monde de l’art », dans le musée et dans la chair.

Cependant, avec ces deux policiers à cheval sur les lieux, il était impossible de s’échapper. Les visiteurs sont devenus à la fois sujet et objet de la représentation. Ainsi, Tania Bruguera répertorie les composants matériels de Whisper # 5 de Tatlin en tant que techniques de contrôle des foules.

Il s’agit là, d’une sorte de « Performance inopinée » signifiant qu’il n’y avait aucun avertissement ou encadrement explicite (pas de signe, pas d’étiquette murale, pas d’annonce) pour présenter l’œuvre en tant qu’art. Cela fournissait les conditions pour que «l’art du comportement» et la «décontextualisation d’une action» prennent forme. Comme la représentation n’est pas annoncée, la vue de la police qui s’approche et la possibilité de subir son contrôle induisent une confusion grave, sinon une crainte de la part du spectateur. La « décontextualisation » signifiait donc exploitation du cadre du musée pour mettre en doute les hypothèses des visiteurs sur ce qui s’y passait. La performance offrant une vitrine à leurs réponses: leur comportement. Que fait-on quand, surveillant ses propres affaires et regardant des œuvres d’art dans un musée, un policier à cheval se présente et dit qu’il n’est pas correct de rester ici et qu’il faut se déplacer?

En introduisant la police dans le musée, Tania Bruguera n’offrait pas au public une zone autonome temporaire – ou ce que nous pourrions appeler un « espace sécurisé » – dans lequel expérimenter la rébellion, en rejetant sans le vouloir les exigences des personnalités faisant autorité. En fait, c’est le contraire qui a été observé, car la représentation a imaginé à quel point un espace sécurisé peut facilement devenir une menace lorsque le pouvoir s’annonce. Pour l’artiste, provoquer une expérience vécue et ressentie d’un pouvoir est plus efficace que l’approche « allégorique » plus habituelle de l’art en matière de politique. Plutôt que de représenter la politique et d’utiliser l’espace artistique pour imaginer d’autres mondes, elle souhaite créer un art qui concrétise la politique telle qu’elle existe dans la vie quotidienne des gens.

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Tatlin’s Whisper #5 2008 Tania Bruguera born 1968 Purchased with funds provided by Alin Ryan von Buch 2009 http://www.tate.org.uk/art/work/T12989

Tatlin’s Whisper # 5 est la cinquième œuvre d’une série, qui ont toutes le même titre principal. Le titre fait référence à l’artiste russe constructiviste Vladimir Tatline (1885-1953), dont les œuvres d’art utopiques étaient vouées à la diffusion de messages politiques dans l’ensemble de la société afin de créer un monde nouveau. Cela a été résumé dans son Monument à la Troisième Internationale de 1920 non réalisé, une sculpture de grande envergure qui aurait également servi de tour de diffusion radio.

Le titre de Bruguera suggère que ce qui aurait été amplifié au début du XXe siècle a maintenant été réduit à un murmure doux, même si celui-ci perdure à travers les âges. Le murmure avertit que l’art n’est pas à l’abri des machinations du pouvoir. Tania Bruguera estime que les tentatives de l’art de façonner de nouvelles réalités politiques sont intrinsèquement liées à son moment culturel et à ses relations sociales spécifiques. En fait, tout comme Tatline pensait qu’une œuvre d’art pouvait exprimer la vraie nature de ses composants matériels (bois, métal, etc.), Tania Bruguera estimait que l’art avait la même capacité en ce qui concerne les structures de pouvoir qu’il engage. Dans Tatlin’s Whisper # 5, l’artiste a eu recours à la police montée pour transformer le musée et l’expérience de l’observation de l’art en une confrontation avec l’asservissement et le contrôle.

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18 – Vladimir Tatline (1885-1953)

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19 – Vladimir Tatline – Monument à la 3e Internationale

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20 – T. Bruguera – Tatlin’s Whispper #5

De plus, cet ajustement de la vision critique et historique est loin d’être un exercice théorique. Il est à la fois corroboré et illustré par la manière dont Tatlin’s Whisper # 5 est entré dans la collection de Tate.

Une autre performance relève ce même principe de répression. Celle organisée en 2018 à la Tate Gallery de Londres. L’artiste militante cubaine prend de nouveau possession du gigantesque hall de la Tate Modern de Londres avec une œuvre interactive et surprenante destinée à sensibiliser l’opinion sur le sort des migrants dans le monde. Installée dans le hall de 3.300 m2 du musée d’art moderne, l’œuvre-performance est constituée d’un immense rectangle de peinture grise thermo chromique (qui devient transparente en fonction de la température des corps) dessiné à même le sol, cachant le portrait d’un jeune réfugié syrien. Pour le faire apparaître, les visiteurs doivent s’allonger sur le sol, la chaleur de leurs corps faisant alors réagir la peinture. Pour voir l’intégralité du visage, il est nécessaire que plusieurs centaines de personnes s’allongent en même temps.

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21 – T. Brueguera – 10 142 929 – Tate G. Londres

Après avoir fui son pays en 2011, le jeune réfugié syrien avait erré dans les rues de la capitale britannique, avant de recevoir le soutien d’une organisation caritative installée dans le quartier du musée, une solidarité qu’a souhaité souligner Tania Bruguera à travers son installation.

L’œuvre a été intitulée provisoirement « 10.142.926 », soit le nombre de personnes ayant migré d’un pays à l’autre l’an passé, auquel a été ajouté le nombre de migrants morts cette année, un nom qui devrait donc évoluer au fil des tragédies qui endeuillent les déplacements des populations dans le monde.

TANIA BRUGUERA : UNE ARTISTE ACTUELLE CUBAINE REBELLE

22 T. Bruguera-10143075

TANIA BRUGUERA : UNE ARTISTE ACTUELLE CUBAINE REBELLE

23 – T. Bruguera – 10.142.926 – Tate Gallery – Londres

Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 1.700 migrants sont morts ou sont portés disparus en Méditerranée depuis le début de l’année.

En pénétrant dans une petite pièce adjacente au hall, les visiteurs se font tamponner sur la main le nom de l’exposition, tandis qu’une substance lacrymogène diffusée, les fait ressortir les larmes aux yeux.

Les œuvres  de Tania Bruguera traduisent les relations à l’autre qui innovent des représentation des individus dans une relation qui est souvent cathartique – j’entends par là, le sens premier donné par Aristote, c’est-à-dire le phénomène de libération des passions chez les spectateurs, libération à caractère émotionnel – donc, ces relations à l’autre, aux autres, sont dans le cas de ses  œuvres, totalement existentielles et bouleversent totalement l’idée de l’art comme peinture de chevalet que nous pouvons avoir vu dans le passé. Elles engagent la vie totale de l’artiste et son côté rebelle face au régime cubain.

En ce sens, l’Autre est un élément essentiel à la réalisation et à la vitalité de l’œuvre dans le travail de Tania Bruguera.

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24 – Tania Bruguera

SOPHIE RAVION D’INGIANNI

Docteure en Sciences de l’Art et Esthétique – Paris 1 – Sorbonne
Historienne et critique d’art – Commissaire d’expositions
Membre du CEREAP et du CRILLASH (Université de Martinique)
Membre de l’AICA Caraïbe du Sud 

[1] L’Institut Supérieur de l’Art, ISA, est l’université cubaine des arts. Il a ouvert ses portes le premier septembre 1976 suite à la Loi 1307 du 29 juillet 1976, dans laquelle sa création a été déterminée. La structure initiale a compté trois facultés : Musique, Arts Plastiques et Arts Scéniques, avec trois carrières qui correspondaient aux facultés mentionnées. Actuellement, l’Institut Supérieur de l’Art compte quatre facultés, les trois initiales et celle d’Arts des Moyens de Communication Audio-visuelle. Il y a aussi quatre Unités d’Enseignement en province, une à Camagüey, deux à Holguín et une à Santiago de Cuba.

[2] Ana Mendieta est née le 18 novembre 1948 à la Havane et morte d’une chute de son immeuble  le 8 septembre 1985 à New York. Elle vivait alors avec le sculpteur américain minimaliste Carl André. Elle est une performeusesculptricepeintre, photographe et artiste vidéo américano-cubaine dont l’œuvre se situe à la croisée du land art et du body art. Elle est surtout connue pour son travail earth-body. Son œuvre, explorant la binarité du genre, s’inscrit dans une vision essentialiste du corps et des rapports entre les sexes. Ana Mendieta réalisait des travaux et des ateliers avec un groupe d’artistes des années 80 (José Bédia, Juan Francisco Elso, Ricardo Rodriguez Brey, Flavio Garciendia pour les plus connus), groupe d’artistes intitulé : Volumo Uno.

[3] Entretiens avec l’artiste en 2013 à La Havane.


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