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Ce que Macron doit à l'extrême droite - 637ème semaine politique

Publié le 27 juillet 2019 par Juan
Ce que Macron doit à l'extrême droite - 637ème semaine politique

Après les élections européennes, tout se prépare pour donner une nouvelle victoire politique à l'extrême droite française, d'abord aux élections municipales en mars 2020, puis aux scrutins régionaux (2021) présidentiel et législatif (2022). Par victoire, on n'entend pas la conquête du pouvoir absolu, quoique, mais une énième progression dans les esprits et les organes du pouvoir.


L'extrême droite est un mouvement inutile et néfaste. Elle a prouvé son inutilité par ses outrances qui empêchent toute majorité politique de se constituer autour d'elle ou avec elle, par l'incompétence crasse de ses dirigeant(e)s (y compris Marine et Marion Le Pen), ou par la bêtise de son programme dont le débat présidentiel de l'entre-deux tours présidentiels a révélé l'ampleur. Mais en trois ou quatre décennies, elle a réussi à imposer son agenda politique clivant dans le débat politique, c'est un constat tristement trivial.
Ce que Macron doit à l'extrême droite - 637ème semaine politique
Elle est aussi néfaste, faut-il encore le rappeler. Qu'importe ses changements de nom, d'incarnations, de slogans. C'est une horreur politique qui a des racines dans les parties les plus ignobles de notre histoire nationale. Il ne s'agit pas d'avoir le moindre doute là-dessus. De temps à autres, quelques mouches d'autres bords sont attirées par l'odeur, faisant mine de croire qu'il y a enfin les "réponses" aux problèmes du monde que d'autres mouvements politiques n'apporteraient pas. Récemment, on a ainsi vu Thierry Mariani, petite frappe de la droite furibarde, et Andréa Kotarak, obscur élu local de la France insoumise, prêter allégeance
Le Rassemblement national, anciennement Front National, s'appuie sur la xénophobie. La xénophobie dernière est son pivot, son ADN politique, le point central duquel tout se décline: culture, économie, société, défense, environnement, tout procède de la xénophobie ou emprunte à la xénophobie, au sens littéral du terme. Cette xénophobie a pris des formes variables au cours des dernières années: l'antisémitisme, toujours présent chez les seconds couteaux de Marine Le Pen, comme ces Identitaires qui promeuvent la suprématie de la "race" blanche  et font le salut nazi lors de leurs beuveries clandestines (observez Philippe Vardon aux côtés de Jordan Bardella au soir de son discours de victoire aux élections européennes le 26 mai 2019) s'est enrichie d'une obsession islamophobe largement documentée depuis plusieurs années. Cette dernière lui permet d'attraper la laïcité dans son argumentaire, d'agiter la peur de l'arabe, de crier à la guerre des civilisations comme Valls, Sarko ou, maintenant, Macron.
"C'est une guerre, c'est notre civilisation qui est en cause." Nicolas Sarkozy, 21 janvier 2015
"Nous ne pouvons pas perdre cette guerre parce que c’est au fond une guerre de civilisation. C’est notre société, notre civilisation, nos valeurs que nous défendons ." Manuel Valls, 28 juin 2015
"Je l’assume : notre combat est aussi un combat de civilisations." Emmanuel Macron, 27 décembre 2017.
Cette extrême droite chipe parfois à gauche des éléments de discours social.  Pourtant, une xénophobie maladive se cache derrière cette surface peu solide: "Je veux aussi rendre leur argent aux Français, parce que depuis de trop nombreuses années, notre politique sociale et fiscale appauvrit les classes moyennes et populaires, alors qu’elle enrichit les multinationales et dilapide l’argent public via une immigration totalement incontrôlée" écrivait Marine Le Pen dans son programme présidentiel 2017, dès les pages d'introduction.  L'extrême droite défend aussi un hostilité évidente au libre-échange capitaliste qui aime faire voyager les marchandises et mettre en concurrence les mains d’œuvre du monde.
Tout cela permet à l'aristocratie au pouvoir de l'amalgamer avec la gauche. La médiacratie lui emboite ensuite volontiers le pas à coups d'analyses biaisées et de sondages orientés pour insister sur cette gémellité prétendue. Les mêmes taisent pourtant d'autres convergences, plus troublantes, plus effarantes, et prouvées par les faits de l'action politique.
Qu'a donc à faire la Macronie avec cet épouvantail ? Beaucoup, beaucoup plus que les Marcheurs n'osent ne l'avouer.
La République en Marche a besoin du Rassemblement national. Ce dernier est le ciment de la peur, l'argument facile du "moi ou le chaos", la simplification du débat politique. Le RN est essentiel à la survie politique de la Macronie car il est caricatural, extrême, et suffisamment dangereux pour faire peur et taire les différences. N'importe quel(le) candidat(e) qualifié au second tour présidentiel l'emporte face à l'extrême droite. Macron n'a obtenu qu'un pénible 43% des inscrits (66% des votants) que grâce à une mobilisation contre le spectre frontiste et un chantage à la défense de la République. Au lieu de quoi, la politique qui a été conduite depuis fut une forme de libéral-autoritarisme, une prédation pour les plus riches aux détriments de la majorité des gens, adossé à une politique de plus de plus liberticide et autoritaire.
Le RN est l'idiot utile de cette contre-révolution des riches contre les gens.
Pour les élections européennes, les mêmes ont tenté de refaire ce match-là, pour mieux occulter tout débat politique sur les programmes. La Macronie ne s'est embêté à détailler son programme européen que 3 semaines avant le scrutin. L'essentiel de la campagne s'est conduit sur un chantage à l'extrême droite, et des slogans creux sur l'Europe de la paix et de la lutte pour l'environnement.
Il y a bien sûr des différences réelles entre la Macronie et l'extrême droite (pas d'amalgame!). Si l'on oublie la cohorte de nouveaux députés mal formés, souvent absents et incompétents, sélectionnés par le clan Macron pour faire illusion d'un mouvement populaire, la Macronista s'appuie des gens qui savent très bien ce qu'il font, pourquoi ils le font et comment il faut le faire: ces laquais de la contre-révolution conservatrice sont souriants, rapides et efficaces pour réduire la pression fiscale des plus riches et des revenus du capital, affaiblir les droits des salariés et des chômeurs, et reprendre d'une main (réduction des allocations chômage de 3 milliards; réduction des dépenses d'APL de 1,5 milliards; économies annoncées au cours de l'été 2019 sur les congés parentaux et les allocations familiales pour encore 3 milliards) ce qu'ils font mine de donner d'une autre (les 11 milliards pour les "Gilets Jaunes"). La Macronista sait très bien retranscrire les désiderata des lobbies industriels les plus variés dans ses textes de lois (loi Alimentation, loi sur le secret des affaires, loi Logement, loi Pacte, etc). A l'inverse, l'extrême droite affiche une incompétence crasse sur nombre de sujets économiques: sa gestion municipale est en général calamiteuse pour les finances publiques. Nombre de ses élus locaux ont été poursuivis pour des faits de détournements d'argent public. Son programme économie est inepte. Et les explications de ses candidats nationaux (Marine Le Pen, Jordan Bardella pour le scrutin européen) sont au mieux confuses, au pire stupides.
Sur quelques sujets sociétaux, importants mais anecdotiques dans l'ensemble de la politique macroniste, les marcheurs sont radicalement opposés à l'extrême droite. Ils les agitent d'ailleurs comme un vieux chiffon. Exemple récent, le Rassemblement national se déclare hostile à la PMA, et demande un référendum. Le vieux fonds de droite identitaire et conservatrice est encore là. Mais surtout le calcul est aussi politique. Le Pen veut vider les Républicains du peu qu'il leur reste. Et les contingents minoritaires mais bruyants de la "Manif pour Tous" seraient de belles prises.
Le Pen 2017, Macron 2019
Pour le reste, Macronie et extrême droite ont des convergences nombreuses, évidentes, et à peine masquées. La campagne foutraque de 2017 n'a pas permis de les relever. Mais deux ans plus tard, maintenant que Macron a dévoilé bien davantage de son programme réel qu'il ne l'avait fait lors des élections présidentielles et législatives de 2017, il est enfin temps de relire le programme de Marine Le Pen... et de relever les convergences dangereuses avec l'action et les postures de Macron.
Ce que Macron doit à l'extrême droite - 637ème semaine politique Comme Emmanuel Macron, Le Pen préfère un pouvoir exécutif plus fort encore: comme lui, elle souhaitait "abaisser le nombre de députés à 300 (contre 577 aujourd’hui) et le nombre de sénateurs à 200 (contre 348 aujourd’hui)" (Programme présidentiel). Comme lui, elle voulait affaiblir corps intermédiaires: les syndicats en supprimant leur monopole de représentativité dans les entreprises; les magistrats, en supprimant l'Ecole Nationale de la Magistrature (Macron l'a un temps envisagé avant d'y renoncer devant la bronca des avocats et des magistrats). Comme Macron, Le Pen souhaitait la centralisation des services de renseignements sous la coupe directe du pouvoir exécutif.
En matière économique, à la différence de Macron, l'essentiel de sa politique économique vise les TPE et PME (réorientation du CICE, accès aux marchés publics, baisses de cotisations sociales, etc), mais comme Macron, Marine Le Pen défendait la simplification du droit du travail (seuil de 50 salariés), la suppression du compte pénibilité ou la défiscalisation des heures supplémentaires. Elle est aussi hostile à la revalorisation du SMIC, ... avec les mêmes arguments macronistes. Comme Macron, elle prônait l'introduction de la sélection à l'université publique. Comme Macron, Le Pen avait de grandes ambitions militaires, avec l'augmentation de l'effort de Défense à 2 puis 3% du PIB. Comme Macron, Le Pen défendait la filière nucléaire, et refusait de fermer la centrale obsolète de Fessenheim.
Mais la plus grande des convergences est institutionnelle, sécuritaire et migratoire. Sur le coeur du projet neo-fasciste - la réduction des libertés des opposants, la refus des étrangers, la défense de l'Etat fort - la Macronie emprunte tout à l'extrême droite, mais avec le sourire. Loin de la grossièreté d'un Salvini ou d'une Le Pen, Macron et ses sbires appliquent avec méthode et rigueur une belle partie du programme politique défendue par l'extrême droite française en matière de politique sécuritaire et migratoire. La différence entre les deux n'est que de quelques degrés, pas de nature.
Primo, l'extrême droite française aura peu à faire en matière sécuritaire tant l'arsenal liberticide et répressif a été "amélioré".  Certes, il faudra créer davantage de places de prison (Le Pen en promettait 40 000 supplémentaires, Macron "seulement" 15 000), mais sinon tout est là: l'Etat peut désormais, sans intervention de juges indépendants, créer des zones de protection où la police a tout pouvoir, assigner à résidence (loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, 2017 ) interdire de manifester, censurer des journalistes (loi sur le secret des affaires, 2018).
Ce que Macron doit à l'extrême droite - 637ème semaine politique Secundo, la Macronie a aussi légitimé l'usage inconsidéré de la force policière, sans contrôle ni enquête sur les eaxctions, et la manipulation de l'information (fausse rumeur d'attaque d'hôpital véhiculée par le ministre de l'Intérieur, silence sur les violences policières, "les 24 gilets jaunes éborgnés, les 315 blessés à la tête, les 5 mains arrachées"; silence sur la disparition d'un civil à Nantes, etc) à des fins de répression de toutes sortes d'oppositions: lycéens, étudiants, infirmiers, Gilets Jaunes, retraités, syndicalistes, grévistes, etc. La Macronie décore même les auteurs de violences.
Tertio, sous les applaudissements de l'extrême droite, elle a dégradé l'attitude de l’État républicain face aux migrants en réduisant le droit d'asile et en allongeant l'enfermement des migrants au point d'en dégouter la CIMADE (loi Asile, avril 2018), en recyclant les accusations infondées de l'extrême droite contre les associations d'aide aux migrants (Castaner, octobre 2018), en défendant la double peine (Macron, octobre 2017), ou en interdisant l'aide alimentaire des ONG près de Calais (Macron, janvier 2018). Elle a envoyé des équipes administratives recenser les occupants des centres d'hébergement d'urgence.Elle exige des services du 115 qu'ils dénoncent les réfugiés secourus.
Oui, Macron va "plus loin que ses prédécesseurs sur l'immigration", plus loin vers la xénophobie désormais d’État, assumée et revendiquée. Le 10 décembre 2018, quand Emmanuel Macron promet, entre autres choses, un Grand Débat pour sortir de la crise des Gilets Jaunes, les macronistes retiennent leur souffle. La fraction "de gauche" de ces marcheurs, qui sert d'alibi minable à la contre-révolution conservatrice, a des sueurs froides quand elle entend son monarque mentionner l'immigration et l'identité nationale comme l'un des thèmes à venir du Grand Débat alors que le sujet est totalement absent des mouvements des Gilets Jaunes: "Je veux aussi que nous mettions d’accord la nation avec elle-même sur ce qu’est son identité profonde, que nous abordions la question de l’immigration. Il nous faut l’affronter."  Puis dans sa "Lettre aux Français" le 15 janvier, rebelote. Le jeune monarque en remet une couche, Jupiter y tient. Il reprend l'argument frontiste - l'immigration est "un défi qui va durer".

La Macronie a ainsi brisé les dernières digues morales qui pouvaient encore faire se dresser contre l'extrême droite. Quelle légitimité accordera-t-on demain à ces pompiers pyromanes ? Qui écoutera ces humanistes de pacotille qui hurlent à "l'assassinat" de François De Rugy mais se taisent sur les morts de Zineb Redouane et de Steve Caniço ? Qui se mobilisera derrière les appels à la défense de la démocratie et des libertés publiques quand tant de militants macronistes ont applaudi au tir à vue de grenades militaires contre des civils "au nom de l'ordre" ?
Qui ne rira pas jaune ?
***
L'extrême droite chipe à la gauche quelques mesures qui ne sont ni son héritage ni ses marqueurs. Le macronisme s'appuie, sans se l'avouer mais pleinement, sur l'héritage xénophobe et sécuritaire nauséabond de cette extrême droite. Il légitime l'extrême droite en appliquant une partie de son programme. Il facilite son arrivée au pouvoir en s'aliénant le peuple au nom des ultra-riches.
Ami(e) macroniste, es-tu à l'aise ?


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