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Lettre de chercheur.es aux jeunes et moins-jeunes

Publié le 05 septembre 2019 par Boprat

Source : https://lundi.am/Lettre-de-chercheur-es-aux-jeunes-et-moins-jeunes-qui-se-sont-mobilise-es-les?
Lettre de chercheur.es aux jeunes et moins-jeunes
« Notre mode de vie actuel est-il compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique ? »

paru dans lundimatin#185, le 2 avril 2019
S’il fallait reconnaître un mérite à la catastrophe annoncée que constitue le réchauffement climatique, c’est celui de rendre inévitablement politique la question de notre environnement et de nos modes de vie. Alors que la tradition universitaire française et probablement mondiale voudrait que seules les sciences sociales se mêlent aux débats de société, de plus en plus de chercheurs en sciences dites « dures » rentrent dans la mêlée. 

Nous publions ici une tribune émanant de plusieurs chercheurs participant à un Atelier d’écologique politique, communauté pluridisciplinaire de scientifiques travaillant ou réfléchissant aux multiples aspects liés aux bouleversements écologiques. Dans l’objectif de tisser des liens entre des connaissances dispersées et de réfléchir à la façon de les partager avec l’ensemble de la société, afin d’oeuvrer avec elle aux moyens de réorienter notre trajectoire en changeant en profondeur les modes de fonctionnement socio-économiques actuels.

Astronomes, physiciens, archéologues, historiens et chercheurs en sciences cognitives nous l’annoncent sans détour : le rêve d’une humanité d’immortels « servis et soignés par des robots, buvant des cognac dans des voitures autonomes climatisées en se remémorant avec délice leur dernier voyage en navette spatiale » ne se réalisera pas.
Ils proposent à contrario, de tout reprendre à zéro et de « commencer une nouvelle ère en refusant les technologies qui nous apportent plus d’enfermement que de liberté, en imaginant de nouvelles manières de produire, de nouvelles manières de prendre les décisions qui nous concernent, et de nouvelles manières de communiquer, de voyager, de nous soigner, de mourir, de faire la fête, de travailler et d’apprendre ».

Ces journées de forte mobilisation montrent que la lutte contre le réchauffement climatique et la catastrophe écologique en cours est devenue une préoccupation majeure pour beaucoup d’entre nous. Nous ne pouvons que nous en réjouir. Il y a quelque temps, un autre événement nous avait réjoui.es : il s’agissait du démarrage du mouvement Extinction Rebellion, né en Angleterre et qui s’est lancé il y a quelques jours en France. Pourquoi ce mouvement nous apparaît intéressant ? Parce que leur première revendication, avant même de parler de dioxyde de carbone, est “une communication honnête sur le sujet”. La demande de vérité de ce mouvement nous semble très importante, et nous montre deux choses. La première, c’est que, pour l’instant, ce devoir de vérité n’est pas rempli par le gouvernement, et disons-le, il n’est en fait pas rempli par grand monde, y compris parfois dans les milieux scientifiques. La deuxième, c’est de prendre acte du fait qu’avoir une bonne évaluation de la situation actuelle est un préambule nécessaire avant toute revendication concrète. Analyser la situation nécessite de faire appel à de très nombreuses disciplines, et c’est précisément un des objectifs de notre atelier d’écologie politique que de réunir, au sein d’un même collectif, des spécialistes de disciplines aussi diverses que l’agronomie, l’histoire, la physique, la sociologie, la biologie, l’économie, l’astrophysique ou la climatologie, et de réfléchir ensemble à la catastrophe écologique en cours. Alors, pour participer à ce devoir de vérité nous, membres d’Atecopol, étions les 14 et 15 mars avec les étudiant.es de nos établissements d’enseignement supérieur pour discuter et débattre de la situation. Nous avons le 15 au matin mobilisé notre communauté, celle des chercheur.es et des enseignant.es du supérieur, afin de discuter du positionnement de notre profession face au réchauffement climatique. Et nous étions le 15 après-midi au côté de la jeunesse qui nous interpelle tous.

Le constat

ll y a quelques analyses que nous souhaiterions vous livrer. La première consiste en la réponse à une question très simple, que nombreux.ses parmi vous se sont certainement déjà posée : notre mode de vie actuel est-il compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique ? Ou en d’autres termes peut-on arriver à vivre comme nous le faisons actuellement en nous passant d’énergies fossiles ? La question est simple mais y répondre est compliqué. Pour le faire, il faut passer un temps considérable à lire des rapports du GIEC, lire des articles scientifiques, se documenter sur les énergies renouvelables et réfléchir. Au final, la réponse est relativement simple : c’est non. Ce qui rend les choses très difficiles est l’intermittence des énergies renouvelables, et le fait qu’elles soient extrêmement diluées, et donc nécessitent la couverture d’espaces considérables avec des grosses infrastructures très consommatrices en matériaux pour récupérer de l’énergie, avec toutes les conséquences qu’on peut imaginer en terme de déchets miniers, perte de biodiversité et artificialisation du monde. Il existe néanmoins quelques possibilités. La première, qui n’est d’ailleurs pas si éloignée de la situation actuelle, est que nous exploitions outrageusement le reste du monde.
Il existe effectivement une solution technologiquement possible qui serait qu’une frange ultra- minoritaire de la planète puisse continuer à vivre comme nous aujourd’hui, à condition d’exploiter les travailleurs d’autres pays ou de son propre pays, et de refuser l’accès à ce mode de vie à d’autres, car il ne serait pas compatible avec l’avenir à long terme de la planète. Un Occident qui continuerait son mode de vie et maintiendrait donc l’ensemble du reste du monde dans la pauvreté serait techniquement possible, mais nous serons probablement tous d’accord pour dire que cela ne serait éthiquement pas soutenable. La seconde serait l’utilisation ultra-massive du nucléaire, dans des proportions telles qu’elle n’est envisagée sérieusement par aucun pays, fait de toute façon face au rejet de la majorité des citoyens, et ne pourrait tout au mieux constituer qu’une solution transitoire, en raison de la finitude des réserves d’uranium. La troisième est d’accepter l’intermittence et le fait que nous ne disposerions pas d’énergie à volonté tous les jours, et qu’à certains moments de la journée ou de l’année, on n’en aurait pas ou peu.
Mais finalement, en l’état actuel de nos connaissances, il n’existe pas de solutions technologiques qui permettent à toute la planète d’avoir notre niveau de confort actuel sans mettre en péril le climat et le vivant. Et les gens qui vous disent le contraire se trompent par ignorance, ont fait des erreurs de calcul, ou mentent par intérêt. Les scientifiques et les ingénieurs pourraient être utiles à mettre en place un certain nombre de choses souhaitées par les citoyens et utiles sur le long terme à l’humanité, comme une agriculture résiliente ou un bon système de soins. Mais ce n’est pas la voie qui est très majoritairement suivie. On assiste plutôt à l’heure actuelle à une philosophie très différente en matière d’ingénierie et de recherche scientifique, qui ont toutes deux complètement intégrées une illusoire et dangereuse idée de croissance et de progrès technologiques infinis. La recherche technologique se développe donc actuellement en se basant sur le postulat que demain, l’énergie sera encore très largement abondante, peu chère, et nous permettra de mener à bien des projets pharaoniques. Pourtant, qui peut sérieusement croire que, alors que nous devrions développer les moyens de nous déplacer les plus écologiques possibles, le développement d’un véhicule autonome truffé de capteurs et d’électronique soit une priorité ? Qui rêve encore de conquérir Mars alors que nous ne sommes pas capables de prendre soin de notre planète ? Qui pense encore que, alors qu’il n’a jamais été aussi nécessaire de reprendre en main le destin de l’humanité, nous devrions laisser la gestion de tous nos gestes quotidiens et des objets qui nous entourent à des intelligences artificielles ou à des algorithmes ? Et enfin, qui souhaite encore, alors que les humains ont plus que jamais besoin de retrouver l’humilité nécessaire à la prise de conscience de la finitude de notre planète, de nos ressources et de nos vies, nous vendre un rêve de toute-puissance et d’immortalité ?
Les gens qui nous vendent ce rêve s’imaginent sans doute que leur futur sera celui d’humains immortels, servis et soignés par des robots, buvant des cognac dans des voitures autonomes climatisées tout en se remémorant avec délice leur dernier voyage en navette spatiale. Cette science-fiction pourrait éventuellement devenir réalité mais, même si c’était le cas, nous savons très bien qu’elle ne pourrait être accessible qu’à une ultra-minorité tandis que tout le reste de l’humanité vivrait dans la misère, pour rendre ce rêve possible pour quelques-uns. Et c’est pourtant actuellement précisément ce projet politique, qui consiste en fait à vouloir sauvegarder le mode de vie d’une frange réduite de la population en exploitant le reste du monde qui est à l’œuvre, que ce soit au niveau national comme au niveau mondial. Mais il est désormais de notre devoir de refuser à la fois cette science-fiction et le projet politique associé. Notre rêve pourrait être un vrai rêve populaire, réaliste et humble : que l’immense majorité des habitantes et habitants de Notre Terre puissent dans les siècles à venir continuer à se nourrir, se soigner, à rire et à se divertir, sans avoir à quitter leur terre d’attache, et sans que notre Planète ne sombre dans le chaos. Et les navettes spatiales, les robots assistants et les véhicules autonomes ne participent pas à ce rêve ; au contraire, ils l’en éloignent.

Nous faisons partie de la minorité favorisée

Le problème, dans tout cela, c’est que, dans notre pays, beaucoup parmi nous sommes déjà presque des milliardaires immortels buvant du cognac dans un véhicule climatisé en rêvant de voyages en navette spatiale. Nous pouvons communiquer instantanément avec des gens à l’autre bout du monde, atteindre l’Australie en moins d’une journée, manger de la viande et des denrées provenant d’autres continents presque autant que bon nous semble, et avons une espérance de vie que jamais l’humanité n’a atteinte. La classe moyenne française peut -mais pour combien de temps encore, vu la dynamique de déclassement en cours- vivre dans de vastes maisons bien chauffées et dotées d’une piscine individuelle. Sa voiture est bien entendu dotée de nombreux gadgets électroniques et d’un GPS qui, rappelons-le, nécessite d’envoyer des satellites pour trouver sa route. Lorsqu’elle reçoit ses amis le weekend, elle est censée leur servir une belle portion de saumon d’élevage et de crevettes de Madagascar, dont l’un contribue à une surpêche mortifère dans les océans, et l’autre à la destruction de la mangrove à l’autre bout du monde. Comme le dit Edgar Morin : “Le mot bien-être s’est dégradé en s’identifiant au confort matériel et à la facilité technique que produit notre civilisation. C’est le bien-être des fauteuils profonds, des télécommandes, des vacances polynésiennes, et de l’argent toujours disponible”.
Alors, si nous ne pouvons décemment pas conserver sur le long terme l’ensemble de tout cela, une question complexe reste en suspens : que souhaitons nous conserver de tout le luxe que la civilisation du pétrole nous a donné à connaître, à apprécier et qu’elle a même parfois rendu indispensable pour notre simple vie quotidienne ou notre métier ? Puisque nous partageons avec Extinction Rebellion cette envie de parler vrai, nous plaidons pour que, tous ensemble, nous ayons une discussion honnête et franche sur ce que nous souhaitons vraiment pour nous et pour le reste de l’humanité présente et future, à la lumière de ce qu’il est vraiment possible de faire. Souhaitons-nous maximiser notre bien-être présent sans trop nous soucier du long terme et de celui de nos descendants ? Quel degré d’inégalité à l’échelle d’un pays ou du monde sommes-nous capables de tolérer ? Que souhaitons-nous garder ? Notre espérance de vie ? Nos capacités à voyager loin et rapidement ? La société numérique ? L’alimentation carnée ? De vastes lieux d’habitation chauffés ? Les denrées exotiques ? Des piscines individuelles ? Vous le voyez, ces questions sont complexes car elles bousculent le confort qui nous semble avoir été acquis après des décennies de progrès. Elles sont en tout cas bien éloignées des questions faussement naïves auxquelles on nous propose de répondre dans le Grand Débat.
Nous ne prendrons qu’un seul exemple, qui nous tient particulièrement à cœur au sein de l’Atelier : celui des voyages en avion. Dans nos métiers de chercheuses et chercheurs, nous sommes incités très fortement à voyager en avion et certains parmi nous, comme beaucoup de françaises et de français, le prennent également pour nos vacances. Certains parmi nous ont volontairement arrêté les voyages en avion, mais ils sont très loin d’être majoritaires. Pourtant, actuellement, il n’existe aucune voie raisonnable qui permettrait de diminuer de manière significative la contribution de l’aviation au réchauffement climatique, et il n’y en aura aucune à moyen terme, les ingénieurs vous le confirmeront. Nous allons vous donner un chiffre : pour permettre à chaque Français.e de faire un voyage long-courrier par an en avion, il faudrait consacrer 16 départements français à la culture de l’agro-carburant ! Oui 16 ! Bien entendu, on parle là de monocultures et de techniques agricoles hyper-intensives qui ne peuvent qu’à long terme épuiser la terre et détruire la biodiversité. Nous ne pouvons pas nous permettre cela. Ou bien peut-être pourrions-nous, pour obtenir cet agro-carburant, perpétuer la catastrophe écologique et humaine en cours au Brésil, en déforestant l’Amazonie et expulsant les populations autochtones ? Pourquoi faire ? Pour prendre l’avion et aller constater de nos propres yeux les conséquences désastreuses de notre exploitation du monde ? Où pour aller dans des îlots de pseudo-authenticité maintenus artificiellement par des agences de voyages ou des autochtones pour continuer à vendre du tourisme à quelques privilégiés ? Est-ce cela que nous voulons ? Quant aux électro-carburants, moins gourmands en espace, ils nécessiteraient malgré tout, à l’échelle européenne, d’investir 1500 milliards d’euros, de couvrir l’équivalent de 2 fois la République Tchèque (ou 4 départements français pour la seule consommation française) de panneaux solaires et d’éoliennes uniquement pour l’aviation, le tout pour obtenir un carburant qui serait au mieux quatre fois plus cher que du kérosène et ne permettrait, dans le bien improbable meilleur des cas, de réduire la contribution des avions au réchauffement climatique que d’un facteur deux[S. Schemme et al, Fuel 205 198–221 (2017)]. Autant vous dire que les avions ne sont pas près de s’arrêter de voler au kérosène, alors que c’est maintenant qu’il faut diminuer nos émissions. Prendre l’avion est donc un luxe incompatible avec la sauvegarde de la planète sur le long terme, et il est de notre devoir de vous le dire ! Et toute politique basée sur nos connaissances scientifiques devrait arriver à la conclusion qu’il faut suivre trois voies en parallèle en ce qui concerne l’aviation : réduire, réduire et réduire. Et se poser la question de la nécessité vitale ou pas de maintenir cette technologie. Quelle est la vision politique actuelle autour de l’avion ? à l’échelle mondiale, 1500 nouveaux aéroports sont en projet...
Mais un point difficile, et il faut bien le reconnaître, est que, actuellement, très peu de gens sont prêts à arrêter de prendre l’avion, que ce soit chez les jeunes comme chez les moins jeunes. Pour beaucoup, le mot “voyage” est devenu synonyme de “prendre l’avion pour aller sur un autre continent”. De même, nous n’imaginons plus la vie sans internet, alors que cette technologie n’est présente dans notre quotidien que depuis 20 ans. Sans parler des smartphones, qui ne sont pourtant là que depuis 10 ans, et dont certains parmi vous disent pourtant “je n’imagine pas la vie sans”. Le luxe technologique a colonisé notre imaginaire, et nous sommes devenus incapables d’imaginer une autre vie. C’est dire la puissance qu’ont les forces qui nous entraînent vers une seule et même manière de voir les choses.

Deux propositions... pour commencer

Comment sommes-nous arrivés là ? La société dans laquelle nous vivons nous incite à faire toutes ces dépenses luxueuses à travers la publicité : cette dernière cherche à envahir nos vies jusqu’aux pissotières des bars, et cherche à communiquer avec les smartphones pour proposer des publicités personnalisées, alors que nous cherchons simplement à nous promener paisiblement dans la rue. Alors, plus que jamais, à l’aube de la catastrophe écologique, refuser ce que la société de surconsommation attend de nous devient un impératif. Il nous faut plus que jamais réfléchir à ce qui relève du luxe, et ce qui relève du besoin. Nous devons faire en sorte que le luxe, réservé à une minorité, disparaisse, mais que toute la population puisse satisfaire ses besoins essentiels. Nous devons donc en premier lieu supprimer toute la machinerie publicitaire qui nous fait passer le luxe pour des besoins fondamentaux. L’interdiction totale de la publicité est donc la première mesure que nous proposons pour la transition écologique, car nous ne voyons pas un seul, nous disons bien pas un seul, point positif pour notre société à son existence. Notez bien que nous disons publicité, et pas information. Les informations utiles aux consommateurs peuvent et doivent rester présentes dans les endroits où l’on y accède volontairement. La publicité, qui consiste à imposer une incitation perverse non désirée à surconsommer, doit tout simplement disparaître de nos vies.
Par ailleurs, plus que jamais, la société doit devenir égalitaire car, dans un monde où les ressources et l’énergie vont mécaniquement être amenées à se raréfier, les inégalités vont devenir de plus en plus difficiles à être éthiquement supportables pour les franges les plus aisées, et physiquement supportables pour les franges les plus pauvres. On nous répondra que les inégalités sociales sont intrinsèques aux sociétés humaines. Ceci est un mensonge, bien pratique pour justifier la mainmise de la richesse part quelques-uns. Il existe de nombreux exemples de sociétés humaines ayant vécu, parfois pendant des millénaires, dans des sociétés égalitaires, sans pouvoir, sans rapport de domination, et au sein desquelles les ressources étaient partagées. L’accumulation de richesse était dévalorisée socialement, et l’entraide était la norme. Les inégalités ne sont pas intrinsèques à la nature humaine, elles sont le résultat d’une culture que nous avons le devoir de remettre en question !
Alors, comment pourrait-on mettre en place un vrai régime égalitaire, qui réponde aux besoins de tous, et empêche l’accumulation de luxe qui gaspille nos précieuses ressources et le futur de notre planète ? Dans certains projets politiques, on parle souvent de limitation des salaires ou de taxation des successions. Ces mesures sont intéressantes mais insuffisantes, car des moyens ont toujours été trouvés pour contourner les politiques de répartition et accumuler de la richesse ; il suffit de regarder les statistiques de répartition des richesses pour s’en persuader. Il nous faut proposer un projet politique qui fasse tout simplement perdre son sens à l’accumulation de richesses. Ce que nous proposons ici est différent : il s’agit du contrôle social de la nature de la production. Le système capitaliste repose sur la propriété privée et la liberté d’entreprendre. Nous ne remettons ici nullement en cause la liberté d’entreprendre, mais nous remettons en cause vigoureusement la liberté d’entreprendre, de produire, et de vendre n’importe quoi. Ce qui doit être mis en vente et proposé à l’achat au citoyen doit répondre à un certain nombre de principes et doit être évalué par des assemblées dédiées. Le premier de ces principes est que ce produit doit impérativement prendre soin de la planète, des humains et des autres êtres vivants, tant dans ses matériaux, son mode de production, que dans sa finalité. Il ne s’agit pas juste de répondre à quelques normes, nous voyons bien que cela ne fonctionne pas : il s’agit de passer à un mode de production par autorisation des citoyens, en considérant tous les aspects que l’introduction d’un nouveau produit a sur l’ensemble de la société et sur les sociétés à venir. Le second principe est que tout produit ou service vendu au grand public doit impérativement pouvoir être acheté par le plus grand monde. Ce faisant, l’accumulation de richesses perdra tout son sens, puisque la richesse ne servira plus.

L’an 01

Alors, à l’heure où nous devons imaginer un nouveau futur, un autre rapport à la technologie, une nouvelle évaluation de nos besoins, nous pouvons nous tourner vers nos prédécesseurs, ceux qui avaient refusé de sacrifier leurs rêves et leur environnement au nom du progrès économique, vers tous ceux qui avaient déjà anticipé, depuis deux cents ans, le pétrin dans lequel nous nous trouvons maintenant ! Et ce, alors même qu’il n’était même pas question de réchauffement climatique.
Commençons donc cette nouvelle ère de manière rafraichissante, en (re)-regardant le film l’an 01, ou en lisant la B.D. Ce film commence par une décision partagée par toute la population d’arrêter la production industrielle et la consommation de biens inutiles, et par une réflexion sur ce qu’il est indispensable de continuer à produire pour le bonheur de tous. Le mot d’ordre de ce film est “on arrête tout, on réfléchit, et c’est pas triste”. Jamais ces trois mots d’ordre n’auront été autant d’actualité : “On arrête tout”, car un grand nombre de choses qui nous entourent doivent être arrêtées, c’est indispensable. “On réfléchit”, car la situation dans laquelle nous nous trouvons est d’une complexité inouïe, et qu’il n’y a pas de réponse simple à une situation complexe ; “ et c’est pas triste”, car ce que nous allons chercher à mettre en place, c’est une nouvelle manière d’être heureux et d’être bien ensemble, sans pour autant détruire le vivant. A aucun moment nous ne devons laisser la joie nous quitter, car nous pouvons facilement nous débarrasser de beaucoup de choses sans que notre joie nous quitte, au contraire : aller nous baigner dans les lacs et les rivières plutôt que dans la piscine d’un.e pote, louer une maison à la campagne avec 30 ami.es plutôt que d’aller à Bali, se retrouver dans un parc ou un bar plutôt que de zoner sur facebook, dormir avec un gros pull Casimir orange plutôt qu’en T-Shirt, aller bivouaquer en montagne plutôt que d’y faire du ski, raconter des conneries plutôt que de faire des selfies, manger des poires plutôt que des ananas, brasser de la bière dans son salon plutôt que de bosser pour Airbus, rouler à 70 dans une vieille 4L pourrie en chantant plutôt qu’à 140 dans un SUV et son autoradio bluetooth... le Nouveau Monde que nous allons mettre en place sera tout sauf triste. Ce sont les ennemis du vivant qui veulent faire croire que sobriété rime avec tristesse car pour eux, le bonheur nécessite un yacht. Nous serons heureux, et nous n’aurons pas de yacht... et personne n’en aura, car nous aurons décidé de ne plus en produire.
Alors, comme dans l’An 01, nous décidons nous aussi de commencer une nouvelle ère en refusant les technologies qui nous apportent plus d’enfermement que de liberté, en imaginant de nouvelles manières de produire, de nouvelles manières de prendre les décisions qui nous concernent, et de nouvelles manières de communiquer, de voyager, de nous soigner, de mourir, de faire la fête, de travailler et d’apprendre. Car le système politique et économique actuel, nous le voyons tous les jours, est structurellement incapable de prendre en compte le long terme, et il n’est plus capable de se réformer : il se contente de se protéger et de défendre ses serviteurs, tout en priant qu’une révolution n’ait pas lieu, s’emmurant avec son trésor, un fusil à la main. Il ne s’agit pas d’un problème de personnes. Nous pouvons certes être en désaccord avec M. Macron, mais il n’est que la représentation émergeant naturellement de nos règles et de notre système. Alors, si nous devons mettre fin à quelque chose, c’est plus à notre système actuel qu’à la présidence de Macron.
Ce qu’il adviendra de l’humanité dans les années et les siècles qui viennent n’est pas encore écrit : la réponse dépend de nous, aujourd’hui, car nous vivons un moment unique dans l’histoire. Les commentateur.rices ne peuvent pas dire mieux en disant que nous sommes la première génération à subir les effets du changement climatique, et la dernière à pouvoir le limiter à des niveaux encore tolérables pour le bien-être de nos descendants. Alors peut-être que le 15 mars 2019, l’an 01 a commencé. Le jour où la jeunesse s’est révoltée ! Alors, que le nouvel élan qui souffle aujourd’hui ne s’arrête jamais, et longue vie au mouvement du 15 mars !
Signataires :
Frédéric Boone, astronome adjoint, Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (IRAP), UMR CNRS – UT3.
Guillaume Carbou, maître de conférences en sciences de la communication, Laboratoire Sciences, Philosophie, Humanités (SPH), Université de Bordeaux ; associé au Laboratoire d’études et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales (LéRASS), UT3.
Julian Carrey, professeur en physique, Laboratoire de Physique et Chimie des Nano- Objets (LPCNO), UMR CNRS – INSA – UT3.
Jean-Michel Hupé, CR CNRS en sciences cognitives, Centre de Recherche Cerveau et Cognition (CerCo), UMR CNRS – UT3.
Vanessa Léa, CR CNRS en archéologie, laboratoire TRACES, UMR CNRS – Université Toulouse Jean-Jaurès & Laboratoire d’écologie fonctionnelle et environnement (écoLab), UMR CNRS – INP – UT3.
Sébastien Rozeaux, maître de conférences en histoire contemporaine, laboratoire France, Amérique, Espagne – sociétés, pouvoirs, acteurs (FRAMESPA), UMR CNRS – UT2.


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