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Les limites du credo libéral américain à cause de la crise de Boeing

Publié le 09 septembre 2019 par Infoguerre

Les limites du credo libéral américain à cause de la crise de Boeing

Le 29 octobre 2018, un avion de la compagnie low cost indonésienne Lion Air s’écrase, quelques minutes après son décollage, faisant 189 morts. Le 10 mars 2019, dans des conditions similaires, le vol d’Ethopian Airlines, s’écrase lui aussi dans les minutes suivant son départ, tuant les 157 occupants de l’avion. Dans les deux cas, deux avions flambants neufs, des 737Max 8, derniers nés des B737, se sont écrasés peu après le décollage après avoir connu des montées et des descentes irrégulières lors de la phase de montée (l’avion pique 24 fois en 13 minutes dans le cas de Lion Air). Dès le 11 mars, la Chine, demande que les 737Max soient cloués au sol. Les réactions d’interdiction s’enchaînent et même Singapour qui n’a pas de 737Max ne veut de ces appareils dans son espace aérien.Il faudra attendre trois jours après la catastrophe pour que le président américain annonce lui-même l’interdiction aux 737 Max de voler.

Retour sur la naissance du 737Max

Le 1er 737 est sorti en 1968. A ce jour le 737 à connu 12 modèles répartis sur 4 générations. C’est l’avion le plus vendu de l’ère moderne. Ces biréacteurs, monocouloir, constituent le marché le plus porteur de l’aviation commerciale aujourd’hui (environ 70% des livraisons dans le monde). Ce secteur des moyen-courriers est dynamisé par le développement des compagnies low cost et par les sociétés de leasing. Les derniers modèles, les 737 Max 7, 8, 9 et 10 ont été conçus en réponse à l’arrivée sur les marchés de l’A320 Neo, le concurrent direct chez Airbus du 737. Cette nouvelle génération d’Airbus, propose de nouveaux moteurs permettant une économie de carburant significative de l’ordre de 15% à 20%. D’après les experts du secteur, Boeing ne comptait pas investir dans un nouveau modèle de 737 et se concentrait sur le développement de son NMA, New Midsize Aircraft, le 787 Dreamliner. Gageons que le fait de proposer des économies d’hydrocarbures à ses clients n’était pas une priorité pour l’américain.

En décembre 2010 Airbus lance l’A320Neo. Sa mise en service, initialement prévue pour la mi-2016, est même avancée à octobre 2015. Boeing ne change pas de stratégie. Au salon du Bourget de 2011, les commandes d’A320 Neo pleuvent, y compris de la part d’American Airlines, un des clients historiques du constructeur américain, qui en commande 260 d’un coup. Boeing panique et décide de revoir sa position. Il se lance dans la course et annonce en août 2011 la sortie du 737Max, pour 2017, nouvelle génération de 737 qui sera lui aussi équipé de ces moteurs à consommation réduite, les LEAP-X. Airbus et Boeing se livre une véritable guerre commerciale depuis des années et si Boeing reste le n° 1 des ventes d’avions civils et militaires, Airbus, qui grignote des parts de marché de plus en plus importantes, semble pour la 1ère fois devancer Boeing et l’oblige à modifier sa stratégie.

De multiples défaillances : quand la course au gain empiète sur la qualité et la sécurité.

La combinaison de multiples défaillances concoure à cette catastrophe et à sa durée. Dans un contexte économique tendu Boeing enchaîne des défauts de conception, de certification et de procédure.

Un défaut de conception

Les nouveaux moteurs, moins-disant en consommation d’hydrocarbure sont tellement plus gros qu’il faut, sur la nouvelle version du B737, ajouter un mât supportant le réacteur au-dessus de l’aile, ce qui a pour effet de le déporter vers l’avant. L’aérodynamisme de l’avion s’en trouve modifié de façon significative. Très vite, Boeing s’aperçoit que le logiciel qui élabore les commandes de vol ne peut s’adapter sur la nouvelle génération. Plutôt que de modifier le logiciel, les équipes techniques proposent un patch, c’est-à-dire un correctif logiciel, qui ne sera pas documenté dans le manuel de l’avion, le Maneuvering Characteristics Augmentation System (MCAS), qui agit sur les commandes à l’insu des pilotes, dès qu’il anticipe un risque de décrochage, et place automatiquement l’appareil en léger piqué afin qu’il reprenne de la vitesse et regagne de la portance. Le MCAS tire ses informations de sondes d’incidence, capteurs présents sur chaque flanc de l’appareil mais dans le cas présent, il n’utilisait les informations que d’une seule sonde, ce qui pose problème en cas de dysfonctionnement de la sonde… Boeing avait pourtant mis au point un signal d’alerte avertissant en cas d’informations erronées. Mais Boeing avait choisi de rendre optionnel et payant le signal d’alerte lumineux.

Un défaut de certification

En vue d’une certification rapide pour rattraper la concurrence, Boeing minore l’importance du logiciel jusqu’au moment de l’homologation par la Federal Aviation Administration. La FAA, est l’agence gouvernementale chargée des réglementations et des contrôles concernant l’aviation civile aux États-Unis. La FAA, homologue le MAX sans l’avoir inspecté indépendamment et sans tester le MCAS. En effet depuis 2005, la procédure dite ODA (Organization Designation Authorization) est le moyen par lequel la FAA accorde l’autorité des personnes désignées à des organisations ou à des sociétés. Autrement dit, Boeing a choisi les ingénieurs devant inspecter ses avions, et la FAA n’a plus eu qu’à apposé son sceau. Cette procédure prend sa source dans la loi « Vision 100–Century of Aviation Reauthorization Act », de 2003, qui dans la section intitulée « CERTIFICATS D’ORGANISME DE CONCEPTION », charge la FAA d’élire les concepteurs, afin que les concepteurs certifient la conformité aux exigences et aux normes minimales … pour la certification de type d’aéronefs, de moteurs d’aéronefs, d’hélices ou d’appareils.

La suite est simple : sous la pression du lobby aéronautique, et dans un contexte de baisse de ses moyens, la FAA confie à Boeing la « surveillance interne des nouveaux avions en production et l’approbation des réparations et modifications majeures ». L’ingénieur du fabricant est chargé d’examiner la conception, de planifier et d’observer les essais et de certifier leur conformité aux normes applicables. Le personnel de la FAA assiste « à de nombreux tests critiques impliquant des problèmes de sécurité – tels que l’inflammabilité de nouveaux matériaux et la conception des commandes de vol ». Le statut d’ODA est accordé à un constructeur aéronautique pour agir en tant que mandataire en matière de surveillance de la certification. Avant le programme ODA, les ingénieurs dans ce rôle étaient approuvés par la FAA et relevaient directement de celle-ci.

Un défaut de procédure

Jusqu’à l’accident de Lion Air en octobre, le MCAS ne figurait pas nommément dans la documentation des pilotes. A la suite du 1er crash l’autorité de régulation a « fourni aux pilotes les procédures appropriées ». Pire, Ali Bahrami, haut responsable de la sécurité à la FAA, explique la décision de ne pas informer les pilotes du système MCAS (avant l’entrée en service des MAX) qui constituait « un équilibre délicat entre fournir suffisamment d’informations pour pouvoir contrôler l’avion et submerger les pilotes de toutes sortes d’informations qui pourraient ne pas être pertinentes », a jouté le dirigeant, le MCAS étant censé « fonctionner en arrière-plan et être transparent pour les pilotes ».  Boeing aurait souhaité faciliter la tâche de l’autorité de certification pour éviter qu’elle ne se noie de détails de moindre importance. Afin de maximiser sa marge, dans une recherche permanente de profit (rappelons que le 737 existe depuis 40 ans et que l’appareil même modernisé est amorti depuis longtemps), Boeing a rogné sur la formation des pilotes. Nul besoin d’entraînement sur des simulateurs, trois heures de formation sur tablette suffiront. Or lorsque dans ses différentes communications depuis les crashs, Boeing évoque les tests avec des pilotes chevronnés c’est nier la réalité : il n’y a pas que les pilotes avec plusieurs milliers de kilomètres « au compteur » qui vont piloter un 737max.

Pourquoi la polémique enfle ?

 Depuis le début de la crise, les médias (Seattles Times, New York Times) ont révélé à travers des articles documentés que Boeing connaissait les défauts techniques de son avion, que le passage de la certification était une formalité puisque Boeing choisissait elle-même les ingénieurs qui certifiaient l’avion, que pour des raisons économiques, des formations en simulateur n’avaient pas été prévues, que Boeing n’avait pas prévenu les pilotes de l’existence du MCAS, et n’avait rédigé une procédure que suite à la 1ère défaillance… Pourquoi la FAA a-t-elle mis plus de trois jours pour annoncer l’arrêt des vols de 737 ? Pourquoi d’ailleurs est-ce Trump, et non l’autorité de régulation elle-même qui a lancé cette alerte ? Dès mars, le congrès américain lançait une enquête sur le processus de certification de la FAA, alors pourquoi il n’y a toujours pas de résultat ? Pourquoi ni le CEO de Boeing, ni son conseil d’administration n’ont été convoqués dans le cadre des procédures ? Pourquoi les enquêtes lancées par le congrès (aussi bien la Chambre que le Sénat) ou encore celle du ministère américain de la justice, lancée en novembre 2018 sur le développement et la certification du B737MAX, n’avancent-elles pas ?

Les relations entre Boeing et les autorités américaines 

Les actions de Lobbying

D’après le site Opensecrets.org, center for responsive politics, Boeing est à la dixième place du classement des plus gros donateurs en matière de lobbying, de 1998 à 2019. En 2018, Boeing dépensait $15,120,000 dans ses actions de lobbying. Si la pratique est courante aux Etats-Unis, Boeing possède un budget conséquent pour ses actions et un essaim de 28 lobbyistes, toujours selon les mêmes sources. D’autres transferts d’argent illustrent les liens étroits entre Boeing et Washington. Le comité d’action politique de Boeing donne des millions de dollars aux candidats fédéraux lors de chaque cycle électoral. Selon les données de la Federal Election Commission, plus de 4,5 millions de dollars ont été versés aux candidats au congrès et à d’autres comités politiques rien qu’à la mi-mandat, en 2018. Boeing a partagé ses contributions politiques en faveur des candidats entre démocrates et républicains. Ainsi la sénatrice Maria Cantwell, de Washington, était la principale destinataire des sommes versées par Boeing, totalisant un peu plus de 54 000 dollars à mi-mandat, selon les données du centre. Cantwell, qui a été élue pour un quatrième mandat en novembre dernier, est membre notamment, de la commission sénatoriale des transports.

Lors de l’élection présidentielle de 2016, les employés de Boeing ont fait davantage de dons à la démocrate Hillary Clinton qu’à Trump, qui a largement financé sa première campagne politique avec des contributions modestes et son propre argent. Mais le géant de l’aéronef a comblé l’écart après l’élection avec un don d’un million de dollars au comité inaugural de Trump. La loi fédérale interdit aux entreprises de faire des dons directs aux candidats, mais elles peuvent donner aux comités inauguraux et ne sont soumises à aucune limite légale quant au montant de leur contribution pour soutenir les festivités entourant une assermentation présidentielle.

D’après les documents déposés en 2018, le sujet de lobbying le plus souvent traité était le Tax Cuts and Jobs Act, le projet de loi (adopté fin 2017) républicain et soutenu par Trump qui réduisait l’impôt sur les sociétés de 35% à 21%. Boeing a également dépensé plus de 3 millions de dollars pour un projet de loi qui affaiblirait le Clean Air Act, loi fédérale de 1970 considérée comme la 1ère loi d’envergure sur l’environnement. Le plus important bénéficiaire des dons de campagne liés à Boeing lors des élections de mi-mandat de 2018 était le «Senate leadership fund», un comité d’action politique qui soutient les républicains au Sénat créé par les alliés du chef de la majorité du Sénat, Mitch McConnell, et dirigé par son ancien chef de cabinet. McConnell est marié à Elaine Chao, secrétaire du ministère des Transports, qui supervise la FAA. Le 13 mars, Dan Elwell, administrateur par intérim de la FAA, déclarait aux journalistes que la décision de la FAA concernant les avions de Boeing avait été prise « en consultation constante » avec Chao.  »

Un article paru le 12 mars sur le site de KEYT TV, chaîne de télévision appartenant au groupe ABC, repris ensuite dans de nombreux médias américains, pointe du doigt le travail du lobbyiste John Keast, qui a notamment travaillé pour Boeing et qui est désormais directeur du personnel du Comité sénatorial sur le commerce, les sciences et les transports. (Cette commission a d’ailleurs annoncé dès le surlendemain du crash d’ethiopian airlines une audience sur la sécurité de l’aviation). Selon des rapports de lobbying déposés au Sénat, John Keast, ancien directeur principal de Cornerstone Government Affairs, avait exercé des pressions sur la Chambre et le Sénat l’année dernière au nom de Boeing. L’année dernière, Boeing a dépensé 200 000 dollars pour Cornerstone. Cette société se présente en tant que « société de conseil bipartite à service complet spécialisée dans les relations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des États, les affaires publiques et le conseil aux entreprises ». Keast a des liens de longue date avec le président du comité du commerce, des sciences, et du transport, le sénateur Roger Wicker du Mississippi dont il a été le chef de cabinet à la Chambre des représentants des États-Unis et avait dirigé la première campagne électorale réussie de M. Wicker en 1994.

Les embauches et les carrières : pantouflage et risques de collision

Depuis 2008, Boeing a embauché 19 fonctionnaires du ministère de la Défense, selon le Project on Government Oversight, organisation à but non lucratif non partisane basée à Washington, qui « mène des enquêtes et dénonce le gaspillage, la fraude, les abus et les conflits d’intérêts au sein du gouvernement fédéral américain ». Ainsi, Trump a nommé Patrick Shanahan, dirigeant de Boeing pendant plus de trois décennies sans expérience militaire, au poste de secrétaire adjoint à la Défense en juillet 2017 ; quand le secrétaire de la défense (ie ministre) a quitté le gouvernement, Shanahan prend son poste par interim. Rappelons que le budget du Pentagone est de 700 milliards de dollars.

Shanahan vient d’ailleurs d’être inquiété par une plainte déposée contre lui par Citizens for Responsibility and Ethics qui l’accuse d’avoir fait des déclarations en faveur de son ancien employeur et demande une enquête pour violation de l’éthique. Dan Elwell, président par intérim de la FAA, est un ancien lobbyiste et dirigeant d’une compagnie aérienne, qui travaillait pour l’Association des industries aérospatiales, qui compte parmi ses membres Boeing. Boeing a également embauché des dizaines d’anciens adjoints du Congrès et de membres de l’exécutif, dont Arthur Cameron, ancien membre du Comité des crédits du Sénat, qui est le vice-président des affaires fédérales de la société, et Amy Smith, adjointe du comité de la Chambre des transports et de l’infrastructure, actuellement directrice de l’aviation.

Par ailleurs, si on regarde le board de Boeing, il est notamment constitué de :     Nikki Haley, l’ancienne ambassadrice des Etats-Unis aux Nations unies, et gouverneur de Caroline du Sud et avant cela, membre de la Chambre des représentants de la Caroline du Sud, qui a été nommée au conseil d’administration de Boeing en début d’année. Susan C. Schwab, qui dans sa carrière a été, entre autres, consultant pour le département du Trésor américain, et représentante du commerce pour les États-Unis. Caroline Kennedy, cette avocate a été ambassadrice des Etats-Unis au Japon. L’amiral Edmund P. Giambastiani Jr. est le septième vice-président des chefs d’état-major américains ; ancien commandant suprême des forces alliées de l’OTAN. Ancien commandant du commandement des forces conjointes des États-Unis. Il a notamment été coprésident du conseil d’acquisition de la défense et président du conseil de surveillance des Besoins Interarmes. On pourrait pousser l’enquête plus loin mais ces quelques noms montrent déjà les imbrications fortes des liens entre l’administration et l’industrie.

Les liens avec le Pentagone

Ces relations entre la grande industrie et le gouvernement américain, ne sont pas nouvelles. Le président Dwight Eisenhower appelait ce lien fort le « complexe militaro-industriel ». Dès la fin de la seconde guerre mondiale, Boeing s’est vu confier les marchés d’aviation militaire du gouvernement des Etats-Unis. Boeing a reçu du Pentagone 21 milliards de dollars en contrats gouvernementaux en 2017, soit environ 22% de ses revenus nets. Au cours du second semestre de 2018, la société a remporté trois contrats de plusieurs milliards de dollars pour de grands programmes d’avions du Département de la Défense, alors même qu’elle reste en retard pour d’autres travaux.On se souvient de EADS, qui, en position de gagner un super contrat pour 179 ravitailleurs pour le ministère de la défense américain avait subi différentes attaques.

La Chambre des représentants avait alors voté un amendement au projet de budget du Pentagone donnant l’avantage à Boeing. Il était question de tenir compte de « tout avantage concurrentiel injuste ». Ce qui faisait référence aux aides au développement consenties à Airbus par les gouvernements européens. Ces aides, qualifiées de « subventions illégales » par les défenseurs de Boeing, ont fait l’objet d’une plainte des Etats-Unis auprès de l’Organisation mondiale du commerce. L’OMC a d’ailleurs condamné Airbus, et Boeing quelques temps plus tard pour les mêmes raisons. Interviewé au moment de quitter son poste, Louis Gallois assurait que ces avances remboursables étaient totalement remboursées et qu’EADS payait même des royalties à certains états. On pourrait regretter que l’UE n’agisse pas de façon aussi conservatrice avec ses membres qu’elle subventionne, comme la Pologne qui décide dernièrement d’acheter des fighters américains de chez Lockheed Martin. Ce faisant, elle rejoint le Pays-Bas, le Danemark, la Belgique, l’Italie, la Norvège et la Grande-Bretagne, déjà équipés chez le fournisseur.

Les gouvernements Bush et Obama ont clairement favorisés le maintien de « l’entreprise emblématique » comme l’appelait Obama. Trump, a continué en ce sens. Ainsi, si la FAA en tant qu’agence de l’Etat, a vu son budget diminué, cela fut un choix gouvernemental qui a permis plus de lattitude aux industries, ici Boeing. Les liens entre le président américain et le président de Boeing sont connus. On sait que lorsque Trump à menacé de retirer la fabrication d’Air Force One à Boeing, Dennis Muilenburg, lui rendit visite dans sa résidence en Floride. Il a également téléphoné au locataire de la Maison Blanche le mardi 12 mars pour retarder l’immobilisation du 737 MAX, a indiqué à l’AFP une source proche.

Qui sort gagnant ?

Pour l’instant Airbus est gagnant à la marge. Son carnet de commande est rempli et il a pris de vitesse Boeing en annonçant lors du salon du Bourget l’A321 XLR qui concurrence le NMA (New MidSize Aircraft) que Boeing a dû mettre de côté le temps de gérer la crise du 737Max. Ce succès a été minoré par l’annonce d’une lettre d’intention de commande de 200 avions de la part d’IAG, habituellement cliente d’Airbus, lors de ce même salon. Il ne s’agit pas d’une commande ferme mais permet à Boeing de sauver la face aux yeux du grand public. Airbus a indiqué son intention de faire une contre-proposition en l’absence d’appel d’offre. Dès le 12 mars, Norwegian Air Shuttle, compagnie low cost annonçait qu’elle allait demander des compensations à Boeing sur le manque à gagner des vols annulés. Le 28 mars, une 1ère plainte est déposée contre Boeing par la famille d’une victime rwandaise du crash d’Ethiopian Airlines. D’autres suivront, assez peu tout de même, certainement par méconnaissance du système et la crainte d’être dans le rôle d’un David qui n’est pas assuré de gagner contre Goliath.

Le 23 juin, 400 pilotes portent plainte contre Airbus pour « dissimulation sans précédent » concernant les preuves détenues par Boeing sur les « défauts de construction » de son 737 MAX. Une audience est prévue le 21/10 à Chicago. Les pilotes estiment que Boeing a pris part à une campagne sans précédent pour dissimuler les défauts de conception du MAX, qui ont, de façon prédictible, entraîné le crash de deux avions MAX. L’image de Boeing est écornée : les autorités fédérales du monde entier ne font pas confiance à la FAA et vérifieront elles-mêmes si les certifications à nouveau réalisées par la FAA sont acceptables. Les pilotes qui avaient alerté à de nombreuses reprises, avant les 1ers crashs, ont eux aussi perdu confiance et le public n’est pas prêt à monter dans un 737Max.

Les coûts engendrés par cette crise s’élèveraient selon une étude prospective du cabinet Archery Strategy Consulting en juillet dernier, à 10 milliards de dollars de perte. Il faut en effet compter les frais liés à l’immobilisation au sol, d’éventuels frais techniques supplémentaires en cas, par exemple, d’ajout d’une 3ème sonde pour corriger le MCAS, de formation sur simulateur des pilotes, de frais liés au dédommagement des victimes, de dommages et intérêts pour immobilisation, de pénalités pour retard, d’annulations de commande, de gestes commerciaux à venir… sachant que le 737Max représente 80% du carnet de commandes de Boeing et que c’est la réponse commerciale permettant de tenir face à Airbus et son A320Neo en étant sur ce segment de marché.

Cependant, d’après Dennis Muilenburg, Boeing est suffisamment solide pour passer la crise financière : il compte sur les gains liés au marché des services et évoque la fin de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis qui « quelle que soit l’issue » devrait profiter à Boeing. Dans ses prévisions, la Chine a besoin de 7700 nouveaux avions d’ici 20 ans, et le dirigeant rappelle qu’aucune commande n’a été passée « depuis un an et demi ». L’année dernière, l’avionneur a même installé à Zhoushan, dans l’est de la Chine, son premier centre de finition hors des Etats-Unis. Rappelons que la Chine (qui souhaite concurrencer Airbus et Boeing avec sa société Comac) a été la première à tirer opportunité de la catastrophe du vol d’Ethopian airlines en interdisant les vols des 737Max. Dans la guerre qu’elle mène aux Etats-Unis elle démontre sa capacité de nuisance.

Conclusion 

Le 30 août, alors que le monde entier attendait les conclusions de l’enquête pour début septembre et que Boeing maintenait ses prévisions optimistes pour une reprise des vols en octobre, la FAA annonce que le comité d’experts internationaux chargé du dossier du Boeing 737 MAX aurait besoin de quelques semaines supplémentaires pour achever son rapport sur la certification. Le 31 aout, United Airlines qui avait annulé les vols de 737Max jusqu’au 3/11 prolonge les annulations jusqu’au 19 décembre. Southwest Airlines a annulé ses vols jusqu’au 5 janvier 2020. Interdire le 737Max c’est risquer la déstabilisation de Boeing et du marché. Le sachant, toute l’administration américaine à joué en faveur de son champion afin de maintenir la confiance des clients et a freiné manifestement les enquêtes visant la vérification de la procédure de certification et pouvant atteindre l’aviateur.

Combien de temps vont pouvoir attendre les autorités américaines et quelle sera sa position ? Même si la FAA certifiait le MCAS, les autorités du monde entier ne certifierait pas pour autant l’avion et plusieurs ont annoncé refaire leurs propres tests. Si Boeing annonce avoir les reins solides financièrement, son image en sera durablement écornée, notamment parmi les pilotes. Boeing peut commencer à craindre que les compagnies fassent jouer les clauses de leur contrat, permettant d’annuler sans frais une commande et va entrer dans une ère de procès. Le consortium russe Rostec a annoncé le 27 août, vouloir annuler sa commande de 35 737Max et demande le remboursement avec intérêts du dépôt de 35 M$ réalisé lors de la signature du contrat (soit 1 M$ par avion) ainsi que 75 M$ au titre des « bénéfices perdus » sur les locations de Boeing 737 MAX qui n’ont pu être réalisées et 115 M$ supplémentaires à titre de compensations.

Aude Zeller

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