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Beaux et bons

Publié le 21 septembre 2019 par Morduedetheatre @_MDT_

Beaux et bons

Critique des Beaux, de Léonore Confino, vu le 17 septembre 2019 au Petit Saint-Martin
Avec Elodie Navarre et Emmanuel Noblet, dans une mise en scène de Côme de Bellescize

J’étais un peu dubitative en me dirigeant vers ces Beaux qui semblaient déjà faire les beaux jours du Petit Saint-Martin. Et pour cause : il y a près de 6 ans maintenant, au même endroit, sur le même thème j’y avais vu Ring par la même autrice qui ne me laisse pas grand chose d’autre qu’un vague goût d’oubli en bouche. Mais après tout, des années ont passé, ma vision du couple a évolué, l’écriture de Léonore Confino aussi : allons-y !

La pièce s’ouvre sur un couple parfait. Ils sont beaux, ils s’aiment, ils sont tellement irréprochables que c’en devient presque flippant. Parfois, des cris résonnent au-dessus de leur tête qui semble les effrayer, leur conversation s’interrompt alors brusquement et ils cherchent alors à se cacher dans les coussins du canapé. Ces êtres merveilleux sont en réalité des reproductions réduites des parents de la petite Alice, qu’elle met en scène tout au long de la journée pour échapper à un quotidien de cris et d’engueulades. Une fois la supercherie dévoilée, on passera dans le vrai monde, avec les vrais parents qui font subir ce supplice bruyant à leur fille. Un beaux-nheur.

D’abord, je dois dire que je suis un poil déçue de m’être fait spoiler l’histoire avant le début du spectacle. Allez savoir pourquoi, moi qui ne lis jamais les bibles, voilà que j’ai pris connaissance de celle-là quelques minutes avant le début du spectacle. Je n’ai donc pas eu la surprise de la situation et cela m’a manqué. Je pense – même si je vous ai moi même divulgâché l’histoire, vous m’en voyez désolée – qu’on doit gagner en surprise et en intérêt à essayer de comprendre ce qui est en jeu. Je n’ai pas eu cette chance.

Néanmoins, j’ai trouvé l’idée intéressante et très bien utilisée. La restitution d’Alice est littérale, ce qui donne certaines situations un peu cocasses – mais après tout, c’est vrai, que représente un chasseur de tête pour une enfant de 7 ans ? Le monde de l’enfance est parfaitement reproduit, avec ses incompréhensions, sa naïveté, sa vision déformée et une pointe de cruauté qui vient saupoudrer le tout, c’est d’ailleurs d’autant plus cruel que l’image – parfaite – et le son – plutôt glauque – sont totalement décalées. J’aurais d’ailleurs beaux-coup aimé que le parallèle entre les deux couples – celui en plastique et celui en chair – se poursuive dans la suite du spectacle. Mais elle devient encore plus sombre que la première partie.

Ici, on passe dans la « vraie vie ». Les cris sont réels, les insultes violentes, les punchlines fusent. La cruauté d’Alice en devient presque attendrissante. Le rire, léger dans la première partie, se fait bien plus jaune ici : les situations sont certes caricaturales mais elles sonnent douloureusement justes. Clairement, on est sur des scènes de la vie quotidienne vécues. Répétées, amplifiées, mais vécues. Les répliques sont cinglantes. Ca fuse de partout et c’est très bien mené. Deux petits regrets malgré tout : le rôle d’Alice, qui ne semble qu’un prétexte à la première scène et ne revient que peu par la suite, ce qui est presque frustrant, et la fin qui cherche un peu trop l’émotion pour convaincre réellement. Cette histoire d’Alice qui travers le miroir tombe un peu comme un cheveu sur la soupe

C’est suffisamment rare pour être souligné : le trio écriture mise en scène acteurs est vraiment convaincant. Le travail de Côme de Bellescize rythme parfaitement ce texte explosif et la coordination entre les décors et l’avancée de l’histoire est finement pensée. Il complète le tableau avec une direction d’acteurs au poil : les deux comédiens tiennent leurs échanges avec ardeur, faisant de cette joute verbale un match de beau-xe où l’on ne compte plus les points. Son personnage de mère perdue donne à entendre quelques accents de désamour pour son enfant toujours très subtils et sans jugement, et Élodie Navarre semble errer durant toute la pièce dans un triangle sans fin : mère-femme-épouse. Lui passe avec brio de la douceur à la folie, les yeux soudainement écarquillés et le visage tendu comme si toute sa haine passait dans ses grimaces. Il est effrayant à souhait. Et au milieu de tout cet emportement, entre leurs insultes, on parvient malgré tout à saisir une pointe de détresse, sans pathos, très bien dosée.  Un beau duo !

Conseillé, mais il faudra accepter certaines vérités…

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