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La panthère des neiges, de Sylvain Tesson

Publié le 28 octobre 2019 par Francisrichard @francisrichard
La panthère des neiges, de Sylvain Tesson

Dans ma jumelle, je la vis s'étirer. Elle se recoucha. Elle régnait sur sa vie. Elle était la formule du lieu. Sa seule présence signifiait "pouvoir". Le monde constituant son trône, elle emplissait l'espace là où elle se tenait. Elle incarnait ce mystérieux concept du "corps du roi". Un vrai souverain se contente d'être. Il s'épargne d'agir et se dispense d'apparaître. Son existence fonde son autorité.

Elle? La panthère des neiges, telle qu'elle apparaît, en majesté, pour la première fois, à Sylvain Tesson...

Un jour Sylvain Tesson rencontre le photographe animalier Vincent Munier qui lui parle des techniques de l'affût, sans lequel il n'est pas possible de photographier les bêtes et qui suppose de les guetter longtemps, sans le moindre mouvement et en silence:

A l'affût, on connaît ce que l'on attend. Les bêtes sont des dieux déjà apparus. Rien ne conteste leur existence. Si quelque chose advient, ce sera la récompense. Si rien n'arrive, on lèvera le camp, décidé à reprendre l'affût le lendemain. Alors, si la bête se montre, ce sera la fête. Et l'on accueillera ce compagnon dont la présence était sûre, mais la visite incertaine. L'affût est une foi modeste.

Vincent Munier l'emmène d'abord avec lui en Moselle à l'affût d'une famille de blaireaux. Comme il s'aperçoit de sa joie, il lui propose de venir avec lui pour apercevoir si possible une bête qu'il poursuit depuis six ans au Tibet, la panthère des neiges, justement.

L'hiver au Tibet, en haute altitude, la température est fortement négative. Il faut vraiment vouloir s'y rendre pour voir apparaître peut-être une bête, au nombre de cinq mille dans le monde. Mais Sylvain Tesson trouve noble, antimoderne, cette acceptation de l'incertitude.

Sylvain part avec Vincent et sa fiancée Marie, et Léo, un philosophe, à la recherche de l'animal mythique, qui vit en haute Asie. Au bout d'un grand nombre de jours d'attente, elle apparaît enfin à ses yeux dans la lunette la plus puissante que lui a passée Vincent:

Les traits de la face convergeaient vers le museau, en lignes de force. Elle tourna la tête, pleine face. Les yeux me fixèrent. C'étaient deux cristaux de mépris, brûlants, glacials. Elle se leva, tendit l'encolure vers nous. "Elle nous a repérés, pensai-je. Que va-t-elle faire? Bondir?"

Elle bâilla.

Voilà l'effet de l'homme sur la panthère du Tibet.

Sylvain Tesson, cet antimoderne assumé, ne serait pas lui-même si son récit n'était pas jalonné de réflexions, notamment cette antienne sur l'homme et les bêtes, que celui-ci aurait éradiquées en faisant le ménage, avec pour conséquence ultime de se retrouver seul...

On peut préférer son analogie entre l'attente de  la panthère des neiges et le contentement que le Swann de La Recherche, amoureux d'Odette de Crécy, tirait de la simple certitude qu'elle pouvait se trouver près de lui quand bien même ne la rencontrerait-il pas:

La possibilité de la panthère palpitait dans la montagne. Et nous ne demandions qu'à elle de maintenir une tension d'espérance suffisante pour tout supporter.

Francis Richard

La panthère de neiges, Sylvain Tesson, 176 pages, Gallimard

Livre précédent avec Thomas Goisque chez Albin Michel:

En avant, calme et fou (2018)

Livres précédents de Sylvain Tesson:

Aux éditions Équateurs:

Une très légère oscillation (2017)

Notre-Dame de Paris - Ô Reine de douleur (2019)

Aux éditions Gallimard:

Dans les forêts de Sibérie (2011)

S'abandonner à vivre (2014)

Sur les chemins noirs (2016)

Aux éditions Guérin:

Berezina (2015)


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