Magazine Humeur

Culture, éducation, scolarisation.

Publié le 12 novembre 2019 par Ep2c @jeanclp
La Cité des sens, le blog de Jean-Claude Pompougnac

Au fil du temps s’est consolidée une façon de parler de« la culture », un ensemble de conventions, de routines, de manières de s’entendre entre soi, partagées par les politiques, les techniciens et les milieux « artistiques » : une sorte de doxa « éclairée » qui n’aurait plus à rendre compte de ses convictions et des valeurs qu’elle promeut tant elle s’imposerait comme une évidence.

Quant à l’école (l’éducation nationale/l’institution scolaire/le système éducatif) elle semble être en proie à une « crise » qui n’en est plus une tant elle est permanente et qui engendre un frénésie de réformes, de plans et de lois.

Avant d’approfondir ce dernier point et pour le dire vite :

l’école républicaine persévère dans son être et résiste sans relâche à prendre en compte les différences sociales, culturelles et cognitives : elle ne sait les considérer que comme des inégalités ou des handicaps.

D’où mon agacement devant l’unanimité et la grandiloquence qui auréolent le thème de l ‘éducation artistique et culturellequi, volens nolens, sert de cache-misère à l’absence de perspective historique et prospective, à un manque de rigueur et de continuité de l’action publique tant dans le domaine de l’action culturelle que dans celui de l’instruction publique.

Mais qu’on n’aille pas s’imaginer que j’ai quelque prévention que ce soit contre « l’art à l’école », la nécessité des « enseignements artistiques » ou « l’éducation artistique ».

J’ai été en charge de ces questions au ministère chargé de la culture, puis dans un éphémère ministère de l’éducation nationale et de la culture. C’était il y fort longtemps, il est vrai. Plus avant encore, j’avais été enseignant, en particulier dans les écoles normales d’instituteurs (que j’ai fuies à très grande vitesse lorsqu’elles sont devenues I.U.F.M.); un peu étudié les questions scolaires et l’histoire de l’institution et un peu publié sur le sujet.

Ce qui motivait mon travail et la participation à des groupes de recherche ou d’action militante, c’était (et c’est donc encore) la conviction que pour que vive vraiment la démocratie, le débat public est absolument nécessaire.

Conséquence  impérative : il faut résolument batailler contre la confusion, les approximations et les rideaux de fumée.

C’est pourquoi en 2006, j’ai engagé, sans solliciter l’accord d’aucune « tutelle », l’établissement public de coopération culturelle que je dirigeais dans la création du Forum permanent pour l’éducation artistique.

J’y reviendrai.

Mais auparavant, contre la confusion, les approximations et les rideaux de fumée, je propose d’inviter à lire (ou relire) quelques contributions permettant de préciser ce dont on parle.

L'expression éducation artistique et culturelle mérite d'être interrogée. Que disent ces quatre termes ? Pourquoi ces deux qualificatifs aujourd'hui systématiquement associés ? Qu'apporte culturel par rapport à artistique , Ce qui est artistique peut-il ne pas être culturel ? Que veut-on dire par une éducation artistique et culturelle ? Il semble que ce "et" apporte un élargissement, la notion de culturel englobant la notion d'artistique. Pourtant à y bien réfléchir, on peut y voir une réduction de la notion d'artistique : l'ajout du second adjectif introduit l'idée qu'une éducation artistique pourrait ne pas être culturelle. Dans ce cas-là, qu'est-ce qu'une éducation artistique ? Doit-on voir ici la dichotomie si couramment acceptée entre culture artistique et pratique artistique ? Ou bien doit-on comprendre "et culturelle" comme la marque d'une volonté d'éducation à la culture ? Iraient dans ce sens les analyses des pratiques culturelles (lecture, fréquentation des musées, des bibliothèques, des lieux de spectacles, visite des monuments, participation à des groupes musicaux, des troupes théâtrales ou de danse, inscription dans des associations, des clubs, pratiques plus ou moins régulières dans le temps de différents moyens d'expression, etc.) conduites en France comme dans le reste de l'Europe.

Ainsi commence la contribution

Quelques réflexions à partir de l'expression "éducation artistique et culturelle.

de Magali Chanteux

Inspectrice d'Académie, Inspectrice Pédagogique Régionale

Nantes – Mai 2001  

Cette expression éducation artistique et culturelle trouve son origine dans les débats d'une des cinq commissions du Colloque d'Amiens1, en mars 1968. Parallèlement, la corrélation entre inégalités culturelles et milieu social avait été démontrée entre 1964 et 1966 par Pierre Bourdieu2. Depuis cette période les mêmes affirmations sont répétées au point de nous être aussi familières que certains slogans publicitaires : "l'art ne doit pas être réservé à une élite", "l'accès à l'art doit être démocratisé", "l'éducation artistique n'est pas seulement du ressort des spécialistes"… Dès lors, la nécessité d'une formation culturelle apparaît comme une réalité de même que la mise en synergie des ministères de l'éducation nationale et de la culture. Ces ponts entre éducation nationale et culture et l'idée d'une "action culturelle3" constituent le garant d'une véritable éducation artistique et culturelle de la maternelle à l'université4.

L'éducation par l'art et l'artistique

Dans Education through Art5, Herbert Read développe sa conception de l'éducation artistique. S'appuyant sur ce qu'il présente comme la pensée de Platon la moins bien comprise par la postérité, il considère que "L'art devrait être le fondement de l'éducation6". Dans une conception libérale et démocratique de l'éducation, Herbert Read fait de l'art le véhicule privilégié de l'éducation : l'art permettrait de tendre vers le bien en dépassant l'opposition traditionnelle entre le bien et le mal. Pour cet auteur, "l'éducation par7 l'art" renvoie à une éducation esthétique qui englobe non seulement "l'éducation visuelle ou plastique" mais "tous les modes d'expression personnelle, littéraire et poétique (verbal) autant que musical ou oral" et qui "constitue une approche intégrale de la réalité8". Les propositions de Herbert Read ont été reprises après la seconde guerre mondiale dans une perspective humaniste de lutte contre la barbarie. Ce point de vue reste présent aujourd'hui dans l'opinion courante sur l'éducation artistique : l'éducation artistique est un moyen de lutter contre les inégalités culturelles et elle est également le moyen de lutter contre toute "inhumanité".

Mais les exemples ne manquent pas d'artistes dont les démarches ou les comportements sociaux s'inscrivent en marge des principes admis couramment par la société et ne peuvent pas constituer des repères pour une éducation fondée sur une étroite relation entre éthique et esthétique. On serait donc amené à distinguer l'éducation par l'art d'une éducation effectivement centrée sur l'artistique. Que doit-on entendre par éducation artistique ? S'agit-il pour l'école de démocratiser l'accès à la culture, de permettre à chaque élève de fréquenter les lieux où l'art séjourne et se montre ? S'agit-il de favoriser l'émergence d'amateurs éclairés, de "former des consommateurs d'art, au sens le plus noble du terme9", de cultiver cet esprit critique qui prémunit contre tout endoctrinement ? S'agit-il de faire éprouver ce que peut être une démarche artistique, d'amener à une pratique critique et créatrice ?

© Magali Chanteux

Télécharger ci-dessous le texte intégral de la communication

[doc] QUELQUES RÉFLEXIONS

Communication de Magali Chanteux

Dans un registre différent, celui de la recherche, on peut se reporter aux nombreux travaux de Marie-Christine Bordeaux maître de conférences, responsable du Master de communication scientifique de l’université Stendhal (Grenoble), par exemple sa contribution au séminaire La démocratisation culturelle au fil de l’histoire contemporaine, organisé par le Comité d’histoire du Ministère de la culture en 2012,2013 et 2014

Les aléas de l’éducation artistique et culturelle, entre démocratisation et généralisation

L’éducation artistique et culturelle bénéficie et souffre en même temps d’une évidence qui lui est de plus en plus attachée : elle serait le vecteur le plus efficace de la démocratisation culturelle, car elle ouvre aux acteurs culturels ce temps de l’obligation qui caractérise le système scolaire, contrairement aux activités extrascolaires qui sont fondées sur la démarche volontaire des familles et des jeunes. Elle est pourtant traversée par une tension profonde entre deux ambitions : la démocratisation et la généralisation. La démocratisation, selon un processus qui a fait et fait toujours l’objet de sérieuses critiques, est un processus diffusionniste qui cherche à étendre le cercle des publics. Parmi d’autres auteurs, Jean-Claude Passeron a analysé de manière critique cette diffusion du goût pour les œuvres s’étendant par cercles concentriques autour d’un centre qui n’est jamais interrogé1. La généralisation prend appui, non pas sur l’œuvre à diffuser, mais sur une représentation de la population à atteindre et des possibilités concrètes d’y parvenir. Cette tension est peu perceptible dans les textes cadrant l’action publique dans ce domaine, pour deux raisons. La première tient au fait que la défense et la définition de l’éducation artistique occupent toujours une large part dans la rédaction de ces textes, parfois au détriment de l’énoncé des objectifs. La seconde vient de ce que ces deux modèles ne sont pas présents simultanément dans la même période : l’impératif de généralisation succède à l’impératif de démocratisation. Pour autant, la généralisation de l’éducation artistique est-elle l’aboutissement du processus de démocratisation ? Nous allons répondre à cette question en présentant, dans un premier temps, quelle transversalité établissent les politiques d’éducation artistique au sein des politiques publiques. Nous verrons ensuite comment le référentiel de l’éducation artistique et culturelle s’est progressivement défini et imposé, et à quelles conceptions de la transmission culturelle il réfère. À partir de là, nous examinerons les questions posées par ces deux visées que sont la démocratisation et la généralisation2

Accéder au texte de la communication de Marie-Christine Bordeaux.

A SUIVRE...

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La confusion du politique et du pédagogique

Post-scriptum :

Je compte bien m’exprimer plus avant pour justifier l’ordre des mots adopté dans le titre de cette note

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