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Sorry We Missed You. Esclave de son destin

Par Balndorn
Sorry We Missed You. Esclave de son destin
Résumé : Ricky, Abby et leurs deux enfants vivent à Newcastle. Leur famille est soudée et les parents travaillent dur. Alors qu’Abby travaille avec dévouement pour des personnes âgées à domicile, Ricky enchaîne les jobs mal payés ; ils réalisent que jamais ils ne pourront devenir indépendants ni propriétaires de leur maison. C’est maintenant ou jamais ! Une réelle opportunité semble leur être offerte par la révolution numérique : Abby vend alors sa voiture pour que Ricky puisse acheter une camionnette afin de devenir chauffeur-livreur à son compte. Mais les dérives de ce nouveau monde moderne auront des répercussions majeures sur toute la famille…
« Tu seras maître de ton destin ». L’avertissement qu’adresse Maloney, patron d’un entrepôt logistique, à Ricky Turner contient en substance la vérité du travail à l’heure d’Uber : le travailleur qui se croit maître de son œuvre en devient bientôt l’esclave.
Un regard précis, une œuvre authentique
Éclairons la justesse du regard de Ken Loach dans son dernier film avec deux statistiques. Outre-Manche, la mobilisation des Gilets jaunes aura rendu visibles et soudé les nouvelles classes laborieuses. Parmi les femmes engagées dans la lutte, 40% travaillent dans le domaine du soin, comme Abby (Debbie Honeywood). Chez les hommes, plus de 30% travaillent comme chauffeurs, routiers, caristes ou employés de la logistique, fonctions que cumule Ricky (Kris Hitchen) dans son nouveau poste[1]. Cette pertinence dans le choix du personnel fictionnel mérite d’être soulignée.Dans la même veine, on relèvera la méthode du cinéaste pour rendre authentique Sorry We Missed You. Un carton au générique indique toutes les personnes, anonymes ou non, qui lui ont fourni de véritables anecdotes professionnelles. Et l’on sent effectivement que chaque mésaventure qui frappe les personnages transpire le vrai, le vécu.
Un ensemble d’acteurs piégés dans leur logique
Remercions encore Ken Loach de ne sombrer ni dans le misérabilisme, ni dans le manichéisme. Il n’y a ni pauvres pathétiques, ni méchants patrons, mais un ensemble d’acteurs doués de logiques propres qui s’enferrent dans un système socio-économique qui les dépasse et qui les broie. Maloney (Ross Brewster) n’est pas un mauvais bougre, mais, du fait de son rôle de courroie de transmission entre les plateformes de distribution (à commencer par Amazon) et leurs clients, il se montre intraitable lorsqu’un de ses chauffeurs ralentit l’inexorable chaîne de travail. De son côté, Ricky n’a rien d’un saint, puisque pour se lancer dans la logistique, il force sa femme, en bon représentant du patriarcat, à vendre sa voiture pour acheter son camion. Quant à Seb (Rhys Stone), l’aîné d’Abby et de Ricky, sa révolte adolescente n’est pas puérile mais traduit une insurrection vitale contre la domination qui écrase ses parents. Comme dans le précédent Moi, Daniel Blake, Loach ramène l’institution à ce qui la constitue à la base : un agrégat d’humains motivés par des intérêts particuliers et que l’idéologie en vigueur divise et oppose pour mieux régner.Car en somme, la critique ne cible pas tant des personnes, ni même des entreprises particulières, mais l’idéologie, individualiste au possible, qui pousse les dominé·es à intérioriser leurs échecs et protège du même coup les géants du secteur. Invisibles dans Sorry We Missed You, ce sont pourtant eux qui, silencieusement, façonnent le monde à leur image. 
Sorry We Missed You. Esclave de son destin
Sorry We Missed You, Ken Loach, 1h40, 2019
Maxime

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[1]Ces chiffres proviennent de l’enquête effectuée par Loïc Bonnin et Pauline Liochon. « Gilets Jaunes : Des fractions de classes particulièrement mobilisées, comment l’expliquer ? », Lundi matin, 23 septembre 2019.

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