La cle usb

de Jean-Philippe Toussaint
Roman - 190 pages
Editions de Minuit - septembre 2019
Jean Detrez a longtemps travaillé dans la prospective. Le voilà conseiller à Bruxelles pour la commission européenne comme expert sur le minage, les bitcoins, les blockchains. Intègre, il est toujours resté à distance des lobbys. Un jour, il est approché par Stavropoulos de XO-BR Consulting représentant les intérêts de la société bulgare Kaliakras Ltd. et chargée d'acheter en leur nom des machines informatiques de minage en Chine, à l'entreprise BTPool Corporation.  John Stavropoulos est assez habile pour lui donner assez envie d'en savoir davantage sur B Corp, China. Après un rendez vous secret, il découvre une clé USB égarée (sciemment ?) par son interlocuteur et décide de la garder et d'en explorer le contenu. Des milliers de données sur les programmes de minage à la pointe, avec peut-être en plus une backdoor…
Extrait :
"John Stavropoulos, physique d'acteur, avec sa sempiternelle gabardine beige et ses cheveux blonds ondulés qui tiraient sur le roux, avait un physique démodé et presque anachronique. Il portait de fines moustaches, relevées aux extrémités, qu'il devait enduire de gel pour façonner souplement entre ses doigts le tranchant effilé des crocs. Les lèvres boursouflées, le teint pâle et le visage hautain, il avait une allure de monarque espagnol peint par Vélasquez, avec cette morgue molle dans le menton, cette lassitude boudeuse, distante, aristocratique, cette rouerie un peu éteinte. Parfois, quand il vous regardait fixement de ses yeux globuleux, on pouvait craindre qu'il n'allât tenter de vous hypnotiser sur le sofa. Puis ses traits se relâchaient, et il vous adressait un sourire enjôleur qui faisait fondre l'expression de dureté qui recouvrait ses traits quelques instants plus tôt."
La clé USB est l'histoire d'un homme seul, divorcé, qui s'embarque malgré lui dans des aventures dignes du contre espionnage technologique. Un texte d'une précision et d'une justesse extrême, à la fois sur le plan technique et également psychologique. Jean Detrez est lucide, il est spécialiste de prospective, mais il n'est pas devin, et encore moins en capacité de prédire son propre avenir. Et c'est peut-être que le fait que ce futur puisse lui échapper qui, au fond, lui plaît.
Extrait :"Je regardais cette ville inconnue à travers la vitre du taxi, et je songeais que, dans cette parenthèse dans ma vie que constituait ce voyage en Chine, au cœur même de ce blanc que j’avais ménagé dans mon emploi du temps, j’étais en train d’ouvrir une nouvelle parenthèse en quelque sorte, encore plus secrète, encore plus vertigineuse. J’étais maintenant en train de m’enfoncer profondément dans la clandestinité, de sorte que plus personne au monde ne pouvait savoir où j’étais en ce moment et ce que j’étais en train de faire."
Ce roman est aussi, avec cet univers très bien décrit, documenté, un petit aperçu du microcosme de la commission européenne et des rôles de ses commissaires. Technologiquement, on (j') apprend également l'existence des blockchains, ces procédés de stockage qui multiplient les calculs complexes pour générer ensuite un résultat financier et la création de cryptomonnaies. Et cette ambiance obscure, défiante, qui colle aux pages du roman ne nous lâche plus, jusqu'à cette issue, ce retour, cet atterrissage peu prévisible et si anticipable à la fois. Un très bon roman.
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