Magazine Journal intime

L'extrait du... 25 novembre

Par Gui10sto
L'extrait du... 25 novembre"Il s’est mis à neiger tard la nuit dernière. Des flocons mouillés tombaient devant les fenêtres, la neige recouvrait les lucarnes. Nous avons regardé un moment, surpris et heureux. Content d’être ici, et nulle part ailleurs. J’ai alimenté le poêle à bois. Ajusté le tuyau. Nous sommes allés au lit, où j’ai aussitôt fermé les yeux. Mais pour une raison quelconque, avant de m’endormir, je me suis souvenu de la scène à l’aéroport de Buenos Aires le soir où nous sommes partis. Comme l’endroit semblait silencieux et désert ! Un silence absolu, sauf le bruit des moteurs lorsque nous avons fait marche arrière devant la porte d’embarquement et roulé lentement sur la piste dans une neige légère. Les vitres du terminal étaient obscures. Personne en vue, pas même une équipe au sol. « C’est comme si tous les aéroports étaient en deuil », as-tu dit.
J’ai ouvert les yeux. Ta respiration disait que tu dormais profondément. Je t’ai couverte d’un bras et je suis passé de l’Argentine à une maison où j’avais autrefois vécu à Palo Alto. Pas de neige à Palo Alto. Mais j’avais une chambre et deux fenêtres qui donnaient sur l’autoroute de Bayshore. Le réfrigérateur se trouvait près du lit. Quand j’étais déshydraté au milieu de la nuit, tout ce que j’avais à faire pour étancher ma soif c’était tendre le bras pour ouvrir la porte. La lumière à l’intérieur indiquait le chemin d’une bouteille d’eau fraîche. Une plaque chauffante jouxtait le lavabo à la salle de bain. Quand je me rasais, la casserole d’eau bouillait sur la spirale électrique à côté du bocal de café en grains.
Ce matin il y a de la neige partout. Nous en faisons état. Tu me dis que tu n’as pas bien dormi. Je réponds que moi non plus. Tu as passé une nuit épouvantable. « Moi aussi. ». Nous sommes extraordinairement calmes et tendres comme si chacun devinait l’état d’esprit délabré de l’autre. Comme si nous savions ce que l’autre pensait. Ce n’est pas le cas, bien sûr. Ce n’est jamais le cas. Qu’importe. C’est la tendresse qui compte pour moi. Voilà le don ce matin qui m’émeut et me tient. Comme chaque matin.J’étais assis sur mon lit un matin, habillé, rasé de frais, à boire du café, remettant à plus tard ce que j’avais décidé de faire. Finalement j’ai composé le numéro de Jim Houston à Santa Cruz. Et je lui ai demandé 75 $. Il a dit qu’il ne les avait pas. Sa femme était partie au Mexique une semaine. Il ne les avait vraiment pas. Il était serré ce mois-là. « Pas de problème, j’ai dit. Je comprends. »Et c’était vrai. Nous avons bavardé encore un peu, avant de raccrocher. Il ne les avait pas.
J’ai terminé le café, plus ou moins au moment où l’avion quittait la piste vers le soleil couchant. Je me suis tourné sur mon siège pour jeter un dernier regard aux lumières de Buenos Aires. J’ai fermé les yeux pour le long voyage du retour."Raymond Carver - La vitesse foudroyante du passé (L'Olivier, trad.Emmanuel Moses)

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