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Les Misérables. Un autre regard sur la banlieue

Par Balndorn
Les Misérables. Un autre regard sur la banlieue
Résumé : Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il va faire la rencontre de ses nouveaux coéquipiers, Chris et Gwada, deux "Bacqueux" d’expérience. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors qu’ils se trouvent débordés lors d’une interpellation, un drone filme leurs moindres faits et gestes...
« Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, éclairez-la, moralisez-la, utilisez-la ; vous n’aurez pas besoin de la couper ».Victor Hugo, Claude Gueux
10 décembre 2019. Je pensais avoir bouclé mon top 10 de 2019. Et voilà qu’avec Les Misérables, Ladj Ly m’assène une claque, tant son film chamboule les représentations cinématographiques des banlieues françaises.
Un miroir inversé de La Haine
On n’avait pas connu un tel bouleversement depuis La Haine(Matthieu Kassovitz,1995). Depuis, bon nombre de productions ont suivi, mais soit versaient dans l’exotisme de la banlieue (Banlieue 13, Taxi), soit racontaient comment s’en sortir (Le Brio). D’une certaine manière, Les Misérablespropose un miroir inversé de La Haine. On y retrouve un trio masculin, composé cette fois-ci de policiers (incarnés par Damien Bonnard, Alexis Manenti et Djebril Zonga) ; on y parle d’une émeute de la cité, mais avant qu’elle n’éclate ; La Haine brille par son noir et blanc, Les Misérables par ses couleurs de juillet éclatantes ; enfin, le plan final évoque fortement celui de Kassovitz.Néanmoins, réduire Les Misérables à un hommage complémentaire à La Haineamoindrirait considérablement la portée du geste esth-éthique de Ladj Ly. Sans nier la spécificité du modèle banlieusard à la française – dominé par ses grandes barres contrôlées jour et nuit par la BAC –, le cinéaste puise ses sources d’inspiration outre-Atlantique. En particulier auprès d’un film récent : Detroit(Kathryn Bigelow, 2017). Au dernier long-métrage de Bigelow, Ly emprunte le caractère immersif du cinéma. On retrouve d’un film à l’autre des mêmes motifs formels : la caméra portée vacillante, image d’un monde intranquille ; la prédominance des couleurs chaudes ; des zooms abrupts, qui collent aux corps errant dans la cité. Ainsi, de manière à mon goût plus intense que dans La Haine, Ly parvient à saisir l’étincelle naissante de l’insurrection banlieusarde, en l’agrippant alors qu’elle suinte encore tout juste des corps malmenés.
Changer de perspective, changer de regard
À la différence de La Haine également, Ly ne peint pas une cité homogène. Les jeunes y prédominent, certes, mais ils ne font pas l’unanimité auprès des anciens. De même, la police a beau y être communément détestée elle y trouve cependant des appuis, comme auprès de la bande de Lemaire (Steve Tientcheu) ou de La Pince (Nizar Ben Fatma), eux-mêmes contestés par le rigorisme égalitariste de Salah (Almany Kanoute). Ni bons, ni méchants, mais un ensemble d’acteurs interagissant dont le film épouse, le temps d’une ou plusieurs séquences, le point de vue, sans les prendre de haut.Et pourtant, de surplomb, il en est bien question avec le point de vue du drone, dont Ladj Ly était lui-même un fervent adepte à Montfermeil, et dont c’est le fils lui-même (Al-Hassan Ly) qui reprend le rôle. Si le drone capte la bavure policière, il montre également un autre visage de la cité. Aux plans en hélicoptère du début de La Haine, qui expose la perspective écrasante des barres, répondent les plans stationnaires du drone, sous lequel flamboient les couleurs vives du marché local.De la même manière que La Vie scolaire(Grand Corps Malade et Mehdi Inir), sorti quelques mois plus tôt, bousculait la représentation coloniale de l’enseignement en REP, Les Misérables s’attaque à l’inverse aux représentations manichéennes de la banlieue. Bref, attendons-nous à ce que dans les années à venir fleurisse une nouvelle flopée de films sur le sujet – qu’on espère débarrassés des scories habituelles.
Les Misérables. Un autre regard sur la banlieue
Les Misérables, Ladj Ly, 2019, 1h42
Maxime
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